Les Géants et Rundskop
Les nouveaux fers de lance du cinéma belge

Dès le départ, le but des Magritte était d’amener le cinéma belge vers le public. Objectif : médiatiser les artistes et les films qui ont fait l’actualité durant un an. En 2011, certains ont reproché à la manifestation d’avoir placé un seul long métrage sur un piédestal,  ne laissant aux autres que des miettes. Quelques esprits soupçonneux (paranos?) ont alors imaginé une manipulation occulte digne de la CIA. La deuxième édition des Magritte remet les pendules à l’heure avec beaucoup de panache.

 

Si l’an dernier, la cérémonie des Magritte a pu décevoir ceux qui estiment que de tels prix ne doivent pas couronner un unique film, force est de constater que les récompenses de ce deuxième épisode ont été globalement réparties entre un grand nombre de titres effectivement proches les uns des autres par leurs qualités et leur originalité. Mieux: la victoire d’une actrice formidable comme Erika Sainte (révélation féminine) et les deux Magritte attribués à la Fée montrent bien que tout le monde a sa chance et qu’il ne suffit pas de tenter le lobbying à grande échelle pour s’imposer.

 

[Philippe de Pierpont, Erika Sainte et le Michael Bier]


Ni Philippe de Pierpont, ni Abel et Gordon n’ont à aucun moment essayé d’influencer le cours des votes. Et pourtant: ils sont au palmarès. Sur les seules qualités de leur oeuvre.

Mais, bien sûr, l’histoire retiendra deux autres axes marquants  de ces Magritte 2012.

 

 

Première sensation : un long métrage majoritairement flamand, Rundskop a remporté quatre Magritte dans une compétition que certains estimaient trop francophone. Mieux : chacune des nominations du film de Michael Roskam était accueillie par des applaudissements un peu plus chaleureux que la moyenne. On ne vous parle même pas de la seule évocation du nom de Matthias Schoenaerts qui fit monter la température de la salle de quelques degrés. Rundskop est un véritable phénomène. Avant sa récente ressortie en salles, il avait déjà drainé 500.000 spectateurs en Belgique. Toute l’année, il a récolté des trophées partout à travers le monde, Matthias est devenu un des acteurs les plus hot du moment et, vous le savez, Bullhead (c’est son titre international) est engagé dans la dernière ligne droite des Oscars dans la catégorie « Meilleur film en langue étrangère ».

Quand nous avons croisé l’équipe flamande à son arrivée, Peter Bouckaert, le dynamique coproducteur du film nous expliqua qu’il espérait deux récompenses: meilleure coproduction flamande et meilleur acteur. Lorsque nous lui avons pronostiqué le prix du meilleur scénario et du meilleur montage, il a poliment souri. Et pourtant, nous avions mis en plein dans le mille. « Incroyable, » nous dit-il à l’issue de la cérémonie. « Et pour les Oscars, que voyez –vous? »  Pour ce sommet, on parierait hélas sur la victoire d’Une Séparation. Mais on n’est pas à l’abri d’une merveilleuse surprise. Non, pas à l’abri !

 

[Gwen Berrou, Martin Nissen et Elise Ancion : des Géants tout sourire]

 

L’autre camp qui exultait samedi soir est celui des Géants. Car de toute évidence, personne (même pas nous ;-)) n’avait prévu que le formidable film de Bouli serait le grand vainqueur de la remise des trophées. Cinq titres, donc, à porter au crédit de cette aventure que nous avons toujours défendue bec et ongles : meilleure photo (Jean-Paul De Zaeytijd), meilleur second rôle féminin pour Gwen Berrou, meilleure musique pour Bram Van Parys (The Bony King of Nowhere) et surtout, surtout, l’incroyable doublé : meilleure réalisation et meilleur film.

L’air de rien, ce triomphe est un autre coup de tonnerre dans le petit monde du cinéma belge. Face aux frères Dardenne, Bouli faisait un peu figure d’outsider, mais ce sont surtout deux conceptions du cinéma qui s’opposait là: une vision exigeante et un peu sèche, a priori réservée à des cinéphiles et une envie d’offrir un spectacle visuellement grandiose, à l’américaine (mais sans les sous-titres ;-)). Cela dit, le cinéma de Bouli est aussi un cinéma d’auteur (thématique forte qui se développe de film en film, volonté de plonger les personnages dans des décors qui magnifie la Wallonie) et celui des Dardenne s’est largement ouvert au public avec Le Gamin au Vélo que tout le monde a qualifié de film lumineux et positif. Ce qu’il est.

Un coup d’œil au box-office nous démontre d’ailleurs que le Gamin au Vélo (un seul Magritte, incontournable, pour le fantastique Thomas Doret) a largement dominé Les Géants dans les salles, attirant plus d’un million de spectateurs dans les pays où il a été programmé.

 

 

Outre l’opposition de style, c’est donc plutôt à une passation de pouvoir intra-muros qu’on a assisté hier. De l’étranger on aura peut-être un peu de mal à comprendre qu’un film récompensé à Cannes, aux European Film Awards, nominé aux Golden Globes et aux prix Lumière ait été écrasé par Les Géants, mais chez nous, au-delà du film lui-même (formidable, nous n’en démordrons pas) c’est une vision du cinéma qui s’éloigne résolument de l’image traditionnellement accolée à la Belgique et une attitude généreuse de constante ouverture qui a été aussi récompensée.

Un verdict qui, on l’a bien senti dans la salle, était assez inattendu. Y compris dans le camp de Versus, producteur du film. « C’est incroyable ce qui nous arrive expliquait à la réception Élise Ancion, la radieuse compagne et coscénariste de Bouli, nominée pour les meilleurs costumes. « Je suis tellement heureuse pour toute l’équipe. »  Ce n’est pas Gwen Berrou qui la démentira, stupéfaite d’avoir reçu le Magritte du meilleur second rôle féminin.  » Etre nominée était déjà une magnifique surprise, alors ce prix, c’est totalement inespéré. Ce film a été une merveilleuse aventure et nous sommes tous tellement heureux pour Bouli ».

 

 

Et Bouli justement, qu’en pense-t-il? Rien de particulier. Il savoure, il fait le pitre, mais dans le fond on sait bien qu’il n’a pas l’esprit de compétition. Sa grande satisfaction : que la profession le reconnaisse en tant que metteur en scène, alors que beaucoup le voient encore plutôt acteur.

Alors, oui il s’amuse, il rigole. Il est heureux. C’est géant !

 

 

Le palmarès complet est ICI

 

(Toutes les photos © Philippe Pierquin pour Cinevox)

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