Marina : la mélodie du bonheur…

Un gamin arrive dans les quartiers miniers du Limbourg. Il est italien et ne comprend pas ce que les gens autour de lui racontent. Encore moins les raisons qui ont poussé son père à quitter le soleil pour venir patauger dans la boue et fouiller les entrailles de la terre à la recherche de ce charbon qui, jour après jour, le laisse sans souffle. Nous sommes à la fin des années quarante et les immigrés sont regroupés dans des ghettos branlants où aucune intimité n’est permise.

Avec sa gouaille ritale et sa frimousse de gamin des rues, Rocco se fait rapidement des copains et reluque gentiment la fille de l’épicier du coin, un type pas très sympa qui n’aime pas qu’un gamin de mineur tourne autour de sa pépite.

Dix ans plus tard, rien ou presque n’a changé. Les travailleurs de fond toussent plus souvent, certains ont gagné le droit d’habiter dans des maisons un peu plus cossues, mais ils restent des parias pour la plupart des autochtones accrochés à leurs privilèges.

 

Rocco Granata est maintenant un jeune homme, mais il n’a pas renoncé à ses rêves: il sera musicien, jamais mineur. Et il espère toujours séduire la belle Héléna pas du tout insensible à son charme latin.

 

 

Le miracle de Marina est de nous embarquer pendant près de deux heures dans un voyage gentiment rétro où, faisant feu de tout bois, le réalisateur nous plonge au cœur des années 50.

Comme nous l’avons expliqué ICI, c’est un travail de longue haleine qui a donné naissance au film. Encore fallait-il transformer l’essai en réussissant avec brio la transposition d’un scénario finement ciselé sur le grand l’écran.  Pour nous faire croire à l’improbable histoire d’un jeune accordéoniste (voir ici) amoureux d’une Limbourgeoise et faire de cette anecdote lumineuse une œuvre qui s’adresse à tous, le talent reconnu de Stijn Coninx a pu s’appuyer sur des interprètes formidables.

Car le réservoir des acteurs flamands semble sans fond. La raison? Une culture de la série télévisée qui permet aux jeunes comédiens de beaucoup jouer, se formant au jour le jour, dans des conditions souvent exigeantes: le tournage de séries impose d’être rapidement excellent, et de pouvoir accepter un rythme soutenu et répétitif.

 

 

Mattéo Simoni et Evelien Bosman sont de cette école. Le très charismatique interprète de Rocco, inconnu au sud du pays, a fait ses classes dans Louis Louise (98 épisodes), team Kwistenbiebel (6 épisodes) et Rang 1 (8 épisodes). Après le tournage de Marina, il est revenu au petit écran avec Safety First (8 épisodes tournés en 2013) et Amateurs (neuf épisodes). La preuve qu’en Flandre, comme aux États-Unis aujourd’hui, on passe sans souci d’un média à l’autre. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.

À la vision de Marina, on a vite compris que Mattéo est un phénomène. Enthousiaste, mutin, il est aussi très beau, ce qui ne gâche rien. Difficile à croire que lorsqu’il s’est présenté au casting, il ne parlait pas l’italien et ne jouait pas d’accordéon (voir ici).

 

 

Evelyn Bosman est faite du même bois. Même si c’est le cinéma qui l’a fait découvrir pour la première fois au grand public. Dans Groenten uit Balen, les producteurs lui ont confié d’office un des rôles principaux. Résultat: elle décroche l’Ensor 2012 de la meilleure actrice, tout simplement. Elle enchaîna alors avec deux séries: Red Sonja et Rang 1 où elle rencontra Matteo avant de devenir la jeune peste adorable qui va bouleverser le chanteur en herbe dans Marina. Un autre choix gagnant.

 

 

Pour entourer le duo central de ce film qui est donc aussi une jolie histoire d’amour (voir ici), Eyeworks et Stijn Coninx ont engagé l’acteur italien Luigi Lo Cascio, fameux sur ses terres depuis sa prestation dans la minisérie (diffusée au cinéma chez nous) Nos Meilleures années, et Donatella Finocchiaro. Autre trouvaille: le jeune Christiaan Campagna qui incarne un formidable Rocco à huit ans.

 

S’appuyant sur ce casting solide à défaut d’être particulièrement célèbre, Stijn Coninx a pu consacrer toute son énergie et son talent à tourner un film d’époque avec un budget assez étriqué qui aura été rentabilisé au maximum. Les premiers plans en Italie où le spectateur se trouve immergé dans une nature aride, mais grandiose, justifient les décors limbourgeois sombres et étroits, comme une nuit sans lune est encore plus effrayante après une journée de grand soleil.

 

 

Quelques scènes de foule intelligemment animées et un travail pointu sur les décors et les costumes emportent la mise. Ajoutez-y quelques carrosseries rutilantes, une vespa, une vieille radio (capitale) et la mine patibulaire de quelques authentiques Belges perclus d’arrogance (Jappe Claes et Vincent Grass récemment vu dans Yam Dam sont vraiment très énervants) et vous obtenez une recette magique qui échappe au réalisme sordide pour atteindre à une poésie qui emprunte autant à l’image d’Épinal qu’au cours d’histoire.

 

 

Essentiellement joué en italien et en Flamand, Marina s’offre aussi quelques répliques en français.  Mais c’est à chaque fois pour souligner que les plus snobs des Flamands l’utilisaient alors pour avoir l’air d’être un bourgeois de la classe huppée.

Cela mis à part, le film aurait pu être tourné à Seraing, Hornu ou Morlanwelz sans qu’on ait à changer d’éléments du scénario (voir ici). Marina raconte une histoire universelle et devrait en toute logique devenir le film référence d’une ou deux générations de travailleurs aujourd’hui bien intégrés chez nous, mais qui ont connu des jours beaucoup plus difficiles. Cette remarque n’exclut naturellement personne : Marina est une œuvre tellement enivrante qu’elle doit absolument être vue par le plus grand nombre. Que du bonheur ! (confirmation ici)

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