Isha et Salim Talbi à propos de « Fils de »

On avait croisé Camille Pistone, Antoine Négrevergne, Mara Taquin et Marka, rendez-vous aujourd’hui avec Isha et Salim Talbi pour parler de Fils de, la nouvelle série de la RTBF qui débarque le 15 mai sur Tipik, déjà disponible sur Auvio.

D’aucun·es parmi vous connaissent Isha pour ses performances électriques, ou son 1er album, Labrador Bleu, qui vient de sortir. Mais le rappeur n’est jamais là où on l’attend. Alors qu’il concrétise sur la scène musicale les espoirs placés en lui, le voilà qui se lance en même temps dans une carrière de comédien qui débute sous de beaux auspices. Dans Fils de, il joue Marcus, tout à la fois un grand frère, un oncle, un chef de gang, un dealer forcément pas net, et pourtant un modèle paternel. Un rôle complexe, qu’il endosse avec naturel et conviction.

Un test grandeur nature, pour celui à qui l’on répète depuis des années: « Tu devrais faire du cinéma! ».« Quand c’est une ou deux personnes qui disent la même chose, confie-t-il, je n’en tiens pas forcément compte, mais quand ce sont 10 personnes, j’ai tendance à prendre ça comme un signe. L’opportunité s’est présentée, et je me suis dit que c’était une belle occasion. Moi j’ai besoin de changement, j’aime goûter à différentes choses sur le plan artistique, et là une porte s’est ouverte au bon moment. » Il faut dire que les conditions étaient idéales, puisqu’Isha connaissait depuis longtemps Salim Talbi et Camille Pistone, deux des créateurs de la série.

(Photo: Jo Voets)

Il aborde le tournage « sereinement, dans le sens où je me suis vite rendu compte que ça allait être fait dans un cadre familial. Camille et Salim, ce sont des potes, Safi, ma soeur dans la série est interprété par Bwanga Pilipili, ma vraie soeur. C’était sans prise de tête, les gens étaient très gentils, très attentionnés. »

Pour Salim Talbi, co-créateur et co-scénariste de la série, dans laquelle il interprète également le rôle de Salim, Isha était une évidence, d’autant qu’il rêvait, avec ses camarades, « de mettre Bruxelles en avant, notre Bruxelles, qu’on ne voyait pas assez au cinéma. On voulait filmer la ville différemment de ce qu’on avait l’habitude de voir. » Une autre Bruxelles, d’autres visages, « même si c’était loin d’être un gimmick pour nous, d’avoir des comédien·nes de toutes origines, ou une façon d’être dans l’air du temps. C’était vraiment constitutif du projet. On souhaitait montrer comment cette ville vibre de plein de langues, de plein d’accents du monde. » 

Il faut dire que Salim Talbi garde un souvenir précieux de son enfance bruxelloise. « J’ai eu la chance d’aller à l’école à Schaerbeek, à Saint Dominique, une école très artistique, et où j’ai très vite compris qu’il y avait plein de familles différentes. Je me suis fait des amis qui avaient d’autres codes, qui venaient d’autres classes sociales, et ça n’aurait jamais pu arriver sans l’école. » 

(Photo: Jo Voets)

Avec Camille Pistone, avec lequel il suit les cours du Conservatoire, il écrit, beaucoup, par plaisir, par envie, mais aussi par besoin, pour imaginer les rôles qu’on le lui propose pas, parce que « au lieu de se plaindre, au bout d’un moment, on se dit qu’on va écrire les histoires dans lesquelles on a envie de jouer ». 

Alors du coup, dans Fils de, Camille joue Camille, et Salim joue Salim. Un personnage proche de lui, forcément, un jeune homme qui « n’aime pas trop les problèmes », qui serait même plutôt « du genre à le fuir. » Mais ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air: « Jouer un personnage proche de soi, c’est forcément compliqué, parce que ça peut réveiller certaines blessures que l’on porte en soi, dans son âme, dans sa chair. Rejouer quelque chose que l’on a vécu, ce n’est jamais évident. Le corps se souvient, le mental se souvient. »

Pourtant, dans cette Bruxelles qui ressemble tant à celle que l’on peut croiser dans la vraie vie, il est naturel d’y croiser Salim, Camille, comme il est naturel d’y croiser Isha. Le rappeur et comédien a d’ailleurs compris sur le set qu’il ne devait pas juste créer un personnage, mais bien le nourrir de son expérience, de sa personnalité. « En fait quand tu incarnes un rôle, nous dit-t-il, on veut te voir incarner ce rôle. Moi je croyais que je devais créer un personnage de toutes pièces, Marcus. Mais en fait, je dois utiliser ma voix, mon énergie, pour interpréter le rôle de Marcus. »

(Photo: Jo Voets)

De petits ajustements vite ressentis par le néo-comédien, passionné par cette nouvelle discipline qui s’ouvre à lui. « Le point commun entre le jeu et le rap, c’est l’interprétation, la justesse de celle-ci. La présence qu’il faut avoir, sur scène ou devant la caméra, c’est la même chose. Ca relève des émotions qu’on cherche à partager. Ca passe par le corps, que ce soit sur scène ou devant la caméra. La grande différence, mais qui m’a beaucoup plu, c’est que quand on est rappeur, tout le monde est à ton service, fait ce que tu veux, c’est toi qui décides, pour la musique, pour la couverture de l’album, etc. Là, pour la première, on s’en foutait de ce que j’avais à dire, c’est moi qui étais au service du réalisateur. Les rôles étaient inversés. Ca m’a fait du bien d’être dans ce rôle d’exécutant. Artistiquement c’est extrêmement intéressant de faire confiance à une personne, qui va sortir quelque chose de nous. »

Mais le musicien perfectionniste revient au galop quand il s’agit de juger rétrospectivement sa performance. « Il y a une chose que je regrette quand même un peu, c’est de ne pas avoir osé prendre trop de risques. J’ai été un peu timide, je m’affirmerai un peu plus la prochaine fois. » Isha, alors qu’il vient de sortir son premier album, multiplie les castings, et compte bien continuer sur cette voie.

En attendant, il se réjouit de faire partie de cette aventure. « Si je devais montrer un film à des Parisiens qui me demandent « C’est quoi Bruxelles ? », s’amuse-t-il, je leur montrerai Fils de. J’adore le fait que ce soit de jeunes Bruxellois de ma génération qui parle de ma ville, qui en comprennent les enjeux et le quotidien. Et j’adore aussi la façon dont à travers la bande-son et les morceaux de rap, les personnages d’adressent directement au spectateur, comme dans Oz, une de mes séries préférées. »

(Photo: Jo Voets)

Ces adresses directement au public, à travers les chansons qui ponctuent, commentent et même interprètent le récit sont l’un des marqueurs fort de la série, et bien qu’elles empruntent ouvertement et formellement les codes du clip, sont aussi une référence théâtrale, et même à la tragédie grecque. « Ca permet de casser le quatrième mur, confirme Salim Talbi, qui sépare les personnages du public. Comme dans les clips, les chanteurs et chanteuses s’expriment face caméra, la regardent. Ils passent dans une autre dimension, en quelque sorte. »

Une façon de mettre encore un peu plus de Bruxelles dans la série. « Quand on est arrivés à Peterbos, ou à la Cité Modèle, explique l’auteur, on a été super bien accueillis, mais les gens étaient surpris de voir une équipe de tournage dans leur quartier. Pour eux, le monde de la télévision, c’est un autre monde. Moi je me souviens que quand j’étais petit, que je voyais un journaliste dans la rue avec une caméra, j’étais passionné, ça me semblait être une autre dimension. »

Aujourd’hui, c’est une fierté pour lui d’être arrivé au bout du projet. « Je sais que pour en arriver là où je suis, ça a été un long chemin, beaucoup de travail, et un minimum de chance, ou en tous cas d’alignement des planètes. 5 ans de développement, c’est à la fois très long, et très court. Je suis fier aussi que ça puisse contribuer à nourrir des vocations, à montrer que tout le monde peut y arriver, avec de la ténacité, de la confiance, et du travail. Et je suis heureux qu’on ait pu montrer cette Bruxelles différente, mélangée. Ma Bruxelles. »

Rendez-vous le 15 mai sur Tipik, ou d’ores-et-déjà sur Auvio.

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