« I Am Chance », filles des rues

Ce mercredi sort le nouveau film de Marc-Henri Wajnberg, I Am Chance, plongée au coeur de Kinshasa, aux côtés de ses explosives et émouvantes filles des rues. 

Difficile de les suivre. Chancelvie, Shekinah, Dodo et Gracia vivent dans les rues de Kinshasa. Plus qu’y vivre même, elles les habitent. Elles s’y faufilent comme des souris, en connaissant les moindres recoins. Elles arpentent la terre battue, foulent la chaussée, hèlent les automobilistes à l’arrêt et interpellent les passants. 

Chancelvie, Shekina, Dodo et Gracia ont entre 10 et 15 ans. La rue, c’est leur vie, elles y ont d’ailleurs vécu presque toute leur vie. Leur quotidien est fait de bagarres et de complicité, de mendicité et de créativité, un tourbillon d’émotions et de violence, rarement traversé de quelques accalmies. Sous le soleil de plomb de la capitale congolaise, elles hésitent entre le peigne et la machette. Leur vie est un combat quotidien, pour leur survie comme pour leur intégrité physique. Sans cesse suspendues aux dangers de la prostitution, à la merci constante d’une agression, elles ont appris à se défendre, et à se serrer les coudes. Entre deux rixes, elles se confient, s’épanchent, s’entraident. 

Elles dévoilent leurs contradictions, sures de trouver dans cette vie dans les rues qui les asservit, malgré la précarité, malgré les dangers, une liberté qu’elles n’auraient pas dans un centre qui accueillent les enfants abandonnés. 

Après avoir découvert Kinshasa il y a une dizaine d’années à la faveur d’un projet qu’il pensait alors axer autour de la musique, le cinéaste belge Marc-Henri Wajnberg suit sur grand écran l’évolution de groupes d’enfants des rues, d’abord dans Kinshasa Kids, puis dans Kinshasa Now, aujourd’hui dans I Am Chance. Mais pour la première fois, il s’attache à suivre une bande de filles, témoin engagé auprès d’elles pour partager leur expérience, et leur donner la parole. 

Invisibles parmi les invisibles, elles sont soumises à plus encore de dominations et de vicissitudes que les garçons. Sans être épargnées par la violence physique (celle du monde extérieur, et parfois celle qu’elles s’infligent entre elles), elles sont aussi victimes de violences sexuelles. La prostitution reste un moyen quasiment incontournable pour elles de survivre, mais c’est aussi un facteur de danger, tant les conditions d’exercice sont périlleuses. La solidarité qui les unit est parfois ébranlée par des coups de sang, des luttes de pouvoir. 

Pourtant, le temps de quelques scènes, Chancelvie, Shekinah et les autres brillent par leur énergie, leur complicité, et aussi par leurs relations avec une troupe d’artistes qui sillonne les rues de Kinshasa. Ces plasticiens recyclent et réinventent les déchets, leur redonnent vie, et interrogent notre rapport au monde, celui de leurs concitoyens comme le nôtre, car ces déchets sont aussi les nôtres, ceux que l’Occident envoie à l’autre bout du monde pour les faire disparaitre de sa vue. 

A travers cette rencontre entre les invisibles, les filles des rues, et celles et ceux qui nous donnent à voir le monde s’ouvre un espace poétique puissant, qui transcende le quotidien. L’art s’impose comme un refuge, émotionnel, intellectuel, et parfois aussi physique, quand les jeunes filles trouvent chez ces artistes une communauté où s’épancher et se réfugier. 

L’art, et la vie. Quand débute le film, Chancelvie est enceinte. On la suit pour sa grossesse, on la suit pour son accouchement, on la suit encore quand il s’agit de décider de l’avenir de son enfant. Convient-il pour elle de se résoudre à entrer dans un centre? Est-elle prête à renoncer à sa liberté? Ces questionnements, et bien plus encore sont au coeur de ce documentaire aussi terrible que lumineux, traversé par une énergie vibrante et étonnamment pleine d’espoir. 

Retrouvez ici notre interview avec Marc-Henri Wajnberg.

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