Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert: « C’est le point de vue du village que l’on veut adopter »

On a rencontré Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert, réalisateur·ices de Vitrival, film aussi inclassable qu’inattendu, enquête policière de quartier sur une épidémie de tags à caractère sexuel et de suicides dans une petite bourgade wallonne, présenté en juin dernier au Brussels International Film Festival où le film s’est vu décerné le Prix d’interprétation pour Pierre Bastin et Benjamin Lambillote. Le film sort ce 26 novembre en Belgique. 

L’histoire? Benjamin et le Petit Pierre, deux cousins agents de quartier, patrouillent dans Vitrival en écoutant Radio Chevauchoir. Ils ont fort à faire: des graffitis de bites pullulent sur les murs du village, et personne n’a rien vu. Au même moment, c’est un habitant suicidé qu’on enterre… puis deux, puis trois. Saison après saison, tandis qu’un tambour fait du tapage, les graffitis continuent, les suicides aussi. Que peuvent faire Pierre et Benjamin? Cela n’empêchera pas les jours et les fêtes de continuer leur cours. On vous en dit plus sur le film ici.

Noëlle, Baptiste, Vitrival est votre premier long métrage de fiction, mais votre huitième film ensemble, pourriez-vous vous présenter rapidement? 

Noëlle: Alors moi, je viens de Vitrival, j’ai fait des études en langues et littératures française et romane. Je n’avais pas de projet dans le cinéma, mais je savais que j’avais envie de créer, plutôt sous une forme littéraire dans un premier temps. Quand j’ai rencontré Baptiste, il m’a proposé d’écrire un scénario pour un appel à projets, on a été retenus. Parallèlement, j’ai commencé à m’intéresser au cinéma, et les choses se sont enchaînées.

Baptiste: Moi je viens de Charleroi, qui n’est pas très loin de Vitrival. J’ai d’abord fait des études en communication à l’ULB, puis en gestion culturel et en écriture cinématographique, avant d’entamer des études en photographie à La Cambre. Cela faisait longtemps que j’avais envie de faire du cinéma, j’avais développé une certaine cinéphilie avec des amis en secondaire, et j’ai d’ailleurs tenté de concours d’entrée à l’INSAS avant La Cambre. Bref, j’avais envie de faire des films, mais seul, j’avais le sentiment de ne pas trouver les bonnes idées, d’autant que j’avais l’impression d’avoir été un peu formaté par mes études à la Cambre, où le discours autour de l’œuvre semblait presque compter plus que l’oeuvre elle-même. Quand j’ai rencontré Noëlle, j’ai senti qu’on pourrait créer des films ensemble.

Est-ce que Vitrival s’inscrit dans la continuité de vos 7 premiers films? 

Noëlle: il y a en tous cas des choses que l’on retrouve à travers ces films, par exempe, le fait de travailler avec des acteurs et actrices non-professionel·les, et d’écrire nos scénarios en nous inspirant de ces personnes.

Une façon d’utiliser le réel comme matériau, langage de la fiction?

Noëlle: j’ai l’impression que dans nos films, le réel et la fiction se croisent sans cessent, comme deux fils qui se tisseraient l’un l’autre. Les deux sont fortement colorés l’un de l’autre.

Baptiste: en même temps, même si on retrouve ce goût des acteur·ices non professionnel·les, ou même des plans séquences par exemple, on développe à chacun de nos films des formes spécifiques. Il y a des fictions, d’autres films aussi qui se basent sur une matière plus documentaire. Pendant le Covid, on a fait un film sur base de vidéos « commandées » à des gens qui devaient filmer leur quotidien…

Qu’est-ce qui est à l’origine de Vitrival?

Noëlle: Il y a plusieurs strates, mais la première je crois, c’est un livre de Daniele Zito, Robledo, l’histoire d’un journaliste qui enquête sur une vague de suicides au travail.

Baptiste: finalement, c’est un livre qui porte une critique d’un capitalisme qui rêve tellement d’une main-d’oeuvre qui ne couterait rien qu’elle finirait par s’auto-détruire.

Noëlle: finalement, on s’est éloigné d’une grande partie du livre, mais on a gardé l’idée d’une enquête sur des suicides. Comme on avait envie de filmer Vitrival, on a eu l’idée de deux agents de quartier, qui nous permettraient d’entrer chez les gens.

Baptiste: il y avait l’envie de représenter des territoires wallons que l’on voit rarement en fiction, et quand on les voit, c’est souvent incarnés par des acteurs, et on voit peu les espaces. On voulait montrer des gens de tous les jours, en faire des héros de fiction.

Finalement, Vitrival est le protagoniste principal du film? 

Baptiste: tout à fait, c’est plutôt un film sur le village que sur des personnages en particulier. C’est le point de vue du village que l’on veut adopter, plus que nous concentrer sur l’évolution psychologique des personnages. C’est pour cela aussi que l’on a choisi de filmer en plusieurs phases, sur une période d’un an, pour montrer le rythme de la vie au village, au fil des saisons. Ce qui nous intéresse, c’est la dynamique des relations entre les gens, plutôt que leurs états d’âme personnels. Pour nous, l’émotion se trouve ailleurs, dans la manière dont les habitants se meuvent dans le paysages, dans leurs petites actions concrètes du quotidien.

Le film se passe dans une petite communauté où les problèmes de voisinage ont l’envergure d’une affaire d’Etat. Finalement, c’est une fiction de l’anti-spectaculaire? 

Noëlle: Oui, disons que ce n’est pas spectaculaire au sens où on l’entend habituellement, mais pour moi, en tant que cinéaste ou que spectatrice, ces petits détails du quotidien, la façon qu’ont les gens de parler, de se déplacer, d’interagir dans et avec le village, pour moi ça fait spectacle. Un spectacle en sourdine, disons!

Baptiste: ce quotidien ressort des observations que l’on a pu faire en accompagnant des agents de quartier. Ca peut sembler clichés, mais ce qu’ils traitent, ce sont des chiens qui aboient trop fort, ou des haies qui dépassent. Sur ces problèmes, on a décidé d’ajouter une couche de fiction, ces vagues de graffitis, et de suicide.

Noëlle: même si en fait, il y a vraiment eu des graffitis de bites dans le village, moins que dans le film, mais ils étaient proches de l’école primaire. C’est donc quand même très inspiré du réel, mais si en termes fictionnels, ça nous permettait aussi de soulever la question de la place des femmes dans le village, notamment à travers le personnage de Louise, à qui l’on refuse le droit de jouer du tambour dans la fanfare justement car elle est une femme. Et puis dans un premier temps, ces graffitis prêtent à rire. C’est drôle à voir, avec un oeil extérieur, mais quand on le vit au quotidien, ça fait quoi?

Cela dit aussi quelque chose de la façon dont vous utilisez l’humour dans le film, le rire laisse vite la place à des questionnements. Le rire n’est qu’une porte d’entrée.

Baptiste: oui, on a aussi conscience qu’il peut y avoir quelque chose de surprenant, éventuellement déceptif dans nos films, dans la mesure où on ne cherche pas à augmenter graduellement l’intensité dramatique du récit, au contraire, on va plutôt observer comme les choses se dégonflent d’elle-même. Ce ne sont pas tant les personnages qui agissent sur les choses que les choses qui s’agissent elles-mêmes.

Peut-on parler de votre méthode de travail? 

Noëlle: Il y a une première phase d’écriture, après avoir déjà fait des repérages, de lieux comme de personnes qui deviendront des personnages, mais c’est une phase où l’on s’autorise tout en terme de fiction, en étant évidemment profondément inspirés âr ce qu’on a vu. Et puis quelques semaines avant le tournage, on confronte le scénario aux comédiens, pour ce film, essentiellement Pierre et Benjamin, on est attentifs à leurs retours, aux choses qu’ils trouvent bizarres, par réaliste. Par exemple, il y avait une où on leur faisait avoir un échange très intime sur leurs sentiments, et ils nous ont bien fait comprendre que c’est une scène qui n’arriverait jamais dans leur réalité. On réecrit donc en fonction de tout ça. Enfin sur le plateau, on travaille beaucoup sur la mémoire à court terme des comédiens, on ne leur donne que leur scène du jour. Pierre et Benjamin n’ont d’ailleurs jamais reçu le scénario.

Baptiste: on ne veut pas qu’il y ait de préméditation par rapport au texte, qu’il y ait des intentions pré-établies. On vise un jeu qui soit naturel, dans l’instant, même si on donne beaucoup d’instructions sur le placement ou les déplacements. Par ailleurs, on a beaucoup tourné en plans séquences, et en plans larges. Ce qu’on veut montrer, c’est la relation entre les gens, et leur environnement.

Le plan large, comme le plan séquence, s’inscrivent dans un temps long qui permet de laisser advenir la vie dans le cadre? 

Baptiste: oui, on prépare beaucoup, le scénario fourmille de détails, mais ce qui m’intéresse, c’est de faire confiance aux choses qui se passent sur le plateau, de voir ce que font les acteurs, plutôt que de devoir le refabriquer au montage.

Noëlle: et puis ça permet un vrai mouvement, de voir la mobilité des visages et des corps. Souvent, je suis frustrée par le découpage dans les films, qui ne permet pas de voir des corps qui se déploient dans le temps, ou même des paroles… ou des silences. J’aime beaucoup ces gestes, ces mots, ces silences qui à première vue ne servent à rien, mais qui sont révélateurs si on les inscrit dans le temps.

 

 

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