La Marche : dix premiers rôles !

Le 3 décembre 1983, une bande de jeunes idéalistes déboule dans Paris. Ils sont dix et viennent de Marseille. Ils ont traversé la France derrière une banderole expliquant qu’ils marchent « pour l’égalité et contre le racisme ». Quand ils débouchent à la Bastille, ils sont sidérés: des dizaines de milliers de manifestants sont là pour les accueillir. Enthousiastes. Exubérants. Emerveillés par ce tour de force unique. Et pourtant tout ne fut pas simple: c’est ce que rappelle le deuxième long métrage de Nabil Ben Yadir qui sort sur nos écrans le 27 octobre.

 

Nous avons déjà raconté ICI combien nous trouvions que la Marche était un film efficace et réussi. Les deux heures et quelque que dure cette odyssée humaniste passent comme un éclair… mais se greffent durablement dans les esprits. Au-delà de l’histoire elle-même et des différentes péripéties qui l’émaillent, au-delà de la mise en images virtuoses, ce sont les personnages charismatiques en diable qui s’incrustent profondément dans nos souvenirs.

 

 

Comme le précise le générique final, le film « s’inspire librement de La marche de 1983 », c’est-à-dire que sa dynamique est bâtie sur des exigences essentiellement cinématographiques. Il n’a jamais été question de reproduire à l’identique la personnalité des marcheurs de l’époque. Nabil Ben Yadir a naturellement beaucoup enquêté avant de se lancer dans cette aventure de très longue haleine. Il voulait comprendre le contexte et les mentalités pour nourrir sa propre démarche. Car, oui, au moment de la vraie marche, le réalisateur avait à peine quatre ans. Il ne conservait donc de cette histoire que l’image de son grand final telle qu’il lui fut conté plus tard.

À Lyon, Nabil a par exemple rencontré, Toumi Djaidja, qui a inspiré le personnage très charismatique de Mohammed. Comme dans le film, Toumi considéré comme un sage, assez érudit pour son âge et définitivement non violent a été blessé par balle. C’est lui qui par réaction a eu l’idée de La Marche pacifique et fédératrice.

 

 

Dans le film, Tewfik Jallab ne lui ressemble pas particulièrement, mais selon le réalisateur, il dégage un charme assez similaire. Arrivé sur le casting avec un pied dans le plâtre Tewfik, très actif au théâtre, vu récemment dans Né quelque part avec Jamel Debbouze déjà, est un leader parfait, beau et charismatique.

 

Au-delà des véritables personnalités, Ahmed Hamidi et Nadia Lakhdar qui ont travaillé sur le scénario avec Nabil  ont donc conçu un groupe de figures fortes qui se distinguent chacun assez fortement l’un de l’autre et n’auraient peut-être même pas pu se côtoyer s’ils ne faisaient partie d’un collectif soudain soudé par un but commun: lutter contre le racisme. Tous les racismes ! Toutes les discriminations ! Dans la petite troupe on trouve des Beurs bien sûr (M’Barek Belkouk qui incarne un des axes légers, voire comiques du film ou le Baron romantique Nader Boussandel), mais également des Français « de souche » (Vincent Rothiers, intense comme à son habitude) ou une Canadienne, lesbienne, qui défend ses propres objectifs (Charlotte Le Bon, très très nature).

 

 

L’autre leader de l’équipe est une meneuse: Kheira, portée par Lubna Azabal qu’on voit beaucoup trop rarement dans des productions belges bien qu’elle tourne énormément à l’étranger. Elle signe ici une nouvelle performance de tout premier plan. En 2012, elle reçut le Magritte de la meilleure actrice de l’année pour son rôle puissant dans un film québécois, Incendies.

Dans La Marche, elle figure l’intransigeance, n’hésitant jamais à se mettre tout le monde à dos pour défendre une opinion. Le moment où elle lève le poing devant la foule est un des temps forts du film. Juste une image, pourtant. Inoubliable. Kheira est également celle qui veille sur sa nièce jouée par Hafsia Herzi, un autre personnage précieux qui, on va progressivement le découvrir, ne manque pas de caractère même si elle ajoute une note romantique au récit en nouant une relation amoureuse avec un des protagonistes.

 

 

Dans cet océan tumultueux, deux acteurs un peu plus âgés tiennent eux aussi des rôles clés: Olivier Gourmet incarne Dubois, un prêtre-ouvrier des Minguettes, premier soutien de l’opération pour être témoin tous les jours d’actes de racisme primaire.

 

Omniprésent à l’écran depuis quelques années, de plus en plus impressionnant, Olivier œuvre ici sur dans un registre bipolaire, entre bienveillance et autorité naturelle. Intelligemment, le scénario ne lui donne jamais le rôle attendu du « père ». Il est plutôt un grand frère, complice, un peu plus mûr sans doute que ses coreligionnaires. Plus sage, plus pondéré, il est celui qui peut parfois remettre l’église au milieu du village quand les antagonismes deviennent trop violents.

 

Dans son sillage, il entraîne René, ancien fromager à la retraite qui a le bon goût d’avoir conservé sa vieille camionnette pourrie (qui pue le camembert) et d’avoir pas mal de temps libre. Ancré dans ses préjugés, René est bougon, n’aime pas trop les jeunes et ne voue pas une passion aveugle aux allochtones. Un rôle en or pour Philippe Nahon (Calvaire, Au nom du fils), avec ses airs de Gabin et sa gouaille inimitable, qui s’amuse à jouer les empotés alors que dans la vraie vie, il est lui-même un militant progressiste comme on en fait peu.

 

 

Reste le comédien sans doute le plus médiatique de la bande qui dans le film, s’inscrit légèrement à la marge puisqu’il ne fait pas partie des « marcheurs permanents ». Jamel Debbouze avait contacté Nabil Ben Yadir après avoir « kiffé sa race » avec les Barons. Il est celui qui booste le film au moment où le récit a besoin d’une petite poussée d’adrénaline avec une prestation virevoltante et un caractère interlope un peu bêta, un peu voleur, qui cache (bien) son cœur d’artichaut sous une mégalo mi-amusante, mi-agaçante. Naturellement, Jamel qui est aujourd’hui un comédien accompli va bien au-delà d’une simple fonction scénaristique. Haut en couleurs,  il taquine et irrite les autres personnages, irradie tout simplement. Il est celui que tous ont envie de baffer ou de prendre dans leurs bras. Parfois en même temps.

 

Même si tous ces comédiens, considérés individuellement, sont des mécaniques de précision, capables d’innombrables nuances, on ne peut pas ne pas apprécier ici le travail de direction d’acteurs d’une efficacité chirurgicale et le formidable équilibre qui en résulte.

Réussir en deux heures à offrir dix rôles essentiels à dix personnalités de premier plan sans mécontenter personne et en enchantant le spectateur est un exploit à peu près unique dans les annales. Qu’on saluera donc avec respect et admiration.

Décidément, où qu’on regarde, La Marche est une pépite dont on n’a pas fini de parler…

 

 

 

 

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