Oubliez tout ce que vous pensiez savoir du cinéma belge, et accrochez-vous bien à votre siège. Le BIFFF dévoile en première mondiale Hotel Poseidon, trip hallucinatoire glauque et déjanté, premier long métrage de Stef Lernous, tête pensante de la compagnie théâtrale trash Abattoir Fermé, dans le cadre de la White Raven Competition, à voir en ligne jusqu’au 18 avril.
Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Hotel Poseidon. Ou plutôt, y’a-t-il quelque chose qui ne soit pas pourri à l’Hotel Poseidon?
Bienvenue à l’Hotel Poseidon, petit établissement de charme à la décoration intérieure innovante et personnelle, fusion des styles verdâtres et décatis, avec moisissures apparentes, bordel généralisé, et crasse à tous les étages.
Chaque matin, Dave, gérant malgré lui, se lève encore fatigué dans son hôtel fermé, où tout semble singulièrement disfonctionner. Les néons crépitent, les ampoules frôlent l’auto-combustion, les robinets gouttent, bien sûr, et les frigos bourdonnent. Sans grande conviction, mais inlassablement, il performe le même rituel, joue la comédie de l’hygiène élémentaire, prend des pilules, met du gel dans les cheveux, vide une bombe de déodorant. C’est vrai qu’il y a comme une odeur de pourriture dans l’air.
Si Dave semble (très) profondément dépressif – et il faut dire qu’il a particulièrement mauvaise mine -, on distingue encore au fond de son regard un peu terne une lueur de mélancolie, qui à terme, pourrait même raviver une once d’espoir, qui sait. C’est du moins ce que semble penser une jeune touriste hollandaise, bien décidée à poser ses valises à l’Hotel Poseidon. Elle ne sait pas encore que son séjour sera ponctué de rencontres improbables, et d’hallucinations collectives qui tournent tour à tour au cauchemar ou à la renaissance.
C’est peu de dire qu’Hotel Poseidon offre un véritable choc esthétique. Ode à la pourriture, la moisissure, la putréfaction, la déliquescence et la décomposition.Une esthétique de la décrépitude, qui joue sur le dégoût du spectateur, dégoût qui pourtant peut virer à la fascination. Une fascination pour le sordide et le grotesque, pour un monde répugnant, mais qui pourtant nous rappelle quelque chose…
Souvent au cinéma l’apocalypse est spectaculaire, une onde de choc qui bouleverse les vies et les certitudes. Ici, loin d’être un évènement, l’apocalypse est un processus, lent et insidieux. Les âmes en peine de l’hôtel évoquent au premier abord une armée bien peu belliqueuse de zombies dépressifs, mais bientôt, ils apparaissent plutôt comme des êtres bien vivants, mais vivant une forme de vie dégradée, corrompue.
S’en suit un défilé monstrueux, de personnages grotesques aux rictus appuyés, qui déambulent dans ce décor cauchemardesque où se déploie une insalubrité généralisée. C’est un monde de l’entre-deux. On est avant le champ de ruines, avant le moment où il apparait enfin possible de faire table rase du passé. Avant la fin. Et donc pas encore prêts pour le nouveau début.
Hotel Poseidon, sorti de l’imagination de Stef Lernous, metteur en scène de théâtre fondateur de la Compagnie Abbatoir Fermé, est une transposition sur grand écran d’un univers visuel grand-guignolesque et cauchemardesque, qui s’inspire autant de Lynch que de Bosch. Le film propose une succession de tableaux grotesques et baroques, qui entrainent le spectateur réceptif à son univers dans un bad trip complètement hallucinatoire, où on l’invite à s’interroger sur une société en totale décrépitude, qui pourrit de l’intérieur, où seule un résidu de force vitale et un retour à la nature pourrait offrir la possibilité d’une porte de sortie, d’un recommencement. Une expérience filmique inattendue et exigeante, à ne pas forcément mettre devant tous les yeux, qui mise sur la fascination, à la limite de la transe, et portée notamment par le comédien Tom Vermeir (vu et adoré dans Belgica et Seule à mon mariage), qui se met littéralement dans tous ses états.