Zagros, à la folie

Avec son premier long métrage, Zagros, Sahim Omar Kalifa trace le contour de la condition des femmes au Kurdistan en dressant le portrait d’un homme perdu, migrant par amour. Déjà primé à Gand, le film a également remporté le Prix de la meilleure réalisation et le Prix du Public ce week-end à Arras.

Zagros (Feyyaz Duman) est berger au Kurdistan, dans les montagnes dont il porte le nom. Il est heureux et comblé, d’autant plus heureux qu’il aime plus que tout au monde Havin (Halima Ilter) sa femme et leur fille, qui partagent avec lui cette vie champêtre et bucolique, au plus près de la terre et des éléments. Mais l’orage gronde, au large des montagnes kurdes, et dans l’esprit de sa femme. Sa liberté de parole et de comportement sied peu aux coutumes locales. Accablée par la rumeur, elle finit par se sentir en danger, et cherche par tous les moyens à fuir cette communauté. Sa soeur, guérillero, héroïne et guerrière féministe, l’encourage à fuir en Belgique, contre l’avis de Zagros, qui bien que fou de sa femme, et conscient de son malaise, ne se sent pas prêt à quitter ses montagnes. Un jour, il est mis devant le fait accompli: sa femme, enceinte, est partie rejoindre un cousin en Belgique, espérant des jours meilleurs pour sa fille, son bébé et elle. Confronté au village à la violence des sentiments de ses pairs, et au poids de la rumeur, il décide presque malgré lui d’accomplir la grande traversée pour retrouver sa femme.

Mais une fois arrivé en Belgique, les choses ne se passent pas comme prévu. Non seulement le pays ne l’accueille pas à bras ouvert, mais en plus, ignorant les codes d’une société qui lui est en tous points inconnue, il ne parvient plus à renouer le dialogue avec sa femme, exaltée par la possibilité d’une émancipation. Sans compter que sa famille ne compte pas en rester là, et laisser son nom salir leur pédigrée. Quand le père de Zagros débarque en Belgique, l’affrontement est inéluctable. Comme dans les tragédies antiques, poursuivi par le doute, les rumeurs et dévoré par la jalousie, Zagros va chuter, victime d’une ironie dramatique planant de plus en plus bas au fil du récit.

Zagros est le premier long métrage de Sahim Omar Kalifa, à qui l’on doit déjà trois courts métrages ayant largement voyagé , et ayant notamment pris part à la course aux Oscars. Difficile devant ce premier long de faire abstraction du parcours du réalisateur, lui-même émigré kurde débarqué en Belgique au début des années 2000 pour rejoindre sa famille harcelée au Kurdistan à cause de l’engagement politique de son père. Si l’insertion du réalisateur fut beaucoup moins chaotique, puisqu’il a pu poursuivre ses études en Belgique, jusqu’à obtenir son diplôme de réalisation à Sint-Lukas à Bruxelles, il s’est longtemps engagé pour les migrants comme traducteur auprès de l’administration. C’est dire qu’il aborde dans ce premier film des thématiques qui non seulement lui sont chères, mais qu’il a expérimentées au premier chef.

Zagros dresse le portrait d’un homme qui en cédant aux sirènes de la suspicion, de la rumeur et de la tradition familiale se trouve lui aussi aliéné par la condition féminine dégradée que sa caste cherche à perpétuer. Une privation de liberté qu’il va lui aussi finir par goûter, dans des circonstances tragiques qu’il aura lui-même convoquées.

Zagros, Grand Prix du Festival de Gand en octobre dernier, et Prix d’interprétation, et sortira en Belgique ce 15 novembre, distribué par Cineart.

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