Il y a un an, Yam Dam remportait à Namur, le 2e prix Cinevox attribué au meilleur film belge du festival international du film francophone. Une surprise? Oui, en partie, car le jury composé de quatre cinéphiles passionnés, sans attache avec la profession, couronnait là une œuvre intimiste dont, avant le festival, très peu de gens avaient entendu parler.
Yam Dam, nous l’avions, pour notre part, découvert, presque à l’aveugle, au tout début de la manifestation, cueilli par sa pudeur, sa justesse, son humilité. Une vraie révélation. Mais une de ces petites joies qu’on estime très personnelles, car si elles font vibrer en nous une corde sensible, on n’oserait affirmer que cette délicatesse est capable émouvoir beaucoup d’autres spectateurs.
Ce n’est qu’on moment même de la proclamation du résultat que nous avons appris que le jury Cinevox avait, lui aussi, été touché par ses qualités. Au point d’en faire son lauréat, au nez et à la barbe de quelques autres excellents longs métrages belges, pour beaucoup bien plus médiatisés et mieux dotés financièrement.
La récompense qui couronne le prix Cinevox n’est pas anodine ni négligeable : une semaine de promo gratuite en salles, voilà de quoi attirer l’attention des spectateurs sur une sortie. Encore fallait-il que le film parvienne à se frayer un chemin jusqu’aux salles.
Convaincre un distributeur? Difficile vu le profil de l’œuvre, si délicate, face aux blockbusters tonitruants. De fait aucun des opérateurs en place n’a eu l’audace de tenter l’aventure ou la volonté de mouiller le maillot pour donner sa chance à Yam Dam.
Le film aurait donc pu disparaître dans les oubliettes du cinéma belge si ce n’était l’inébranlable volonté de Vivian Goffette, réalisateur passionné, qui n’avait aucune envie de voir son travail confiné à une poignée de projections en festivals.
Grâce à son acharnement, son premier long métrage sera donc visible dans quelques villes dès ce mercredi. Avec notre soutien logistique, cela semble on ne peut plus cohérent.
Pour fêter cette excellente nouvelle, Cinevox qui aime les belles histories, c’est connu, a en effet tenu à boucler la boucle en proposant au cinéma Aventure un Cinevox happening festif pour ouvrir les BNP Paribas Fortis Film Days 2014. Une fête qui nous a, en outre, permis d’inclure quelques images dans notre dernière capsule diffusée en salles. Un surcroît de visibilité qui peut toujours servir.
Cette sortie est une étape supplémentaire (et fondamentale) qui ponctue provisoirement le fort joli parcours de ce film au profil atypique. Une différence de format qui s’est marquée dès sa mise en production, comme nous l’expliquait Vivian Goffette peu après la première projection belge de son film : « Yam Dam a été réalisé dans le cadre de Cinéastes Associés, une structure qui permet à des réalisateurs de tourner un film dans des conditions professionnelles avec une vraie équipe. Le budget est très serré, mais la structure offre un maximum de liberté, sans contraintes éditoriales particulières ».
« À l’époque », précise-t-il, je travaillais sur un tout autre projet, plus classique dans sa mise en production. Comme la procédure me paraissait longue, j’ai répondu à l’appel de Cinéastes associés. Il s’agissait en quelque sorte d’un concours qui m’a finalement permis de tourner assez vite ce film-ci que j’avais en tête. Il a débuté sa carrière au festival des films du monde de Montréal à peine deux mois après que j’aie achevé son montage, puis s’est retrouvé à Namur. »
Ou, donc, il a remporté le prix Cinevox.
Depuis lors, Yam Dam a voyagé dans une dizaine de manifestations internationales, pas systématiquement en compétition d’ailleurs. Il y a gagné deux autres trophées : le Grand Prix du Festival « Quintessence » de OUIDAH (Bénin) et le Prix de l’Union des Réalisateurs bulgares au Festival Golden Linden (Bulgarie). Deux récompenses qui ont fait très plaisir à Vivian: « Gagner un prix en Afrique avec un film qui parle de l’Afrique, c’est une vraie fierté, je ne vais pas le nier. Être honoré par d’autres réalisateurs que je ne connais pas et qui ne me connaissaient pas est un autre plaisir évident. »
Lorsqu’on jette un regard sur le parcours global de ce film, on ne peut que se dire que cette aventure est étonnante : « On a tourné le film avec une économie de moyens impressionnante. Des gens de ma région ont prêté leur maison pour le tournage, ils sont venus figurer gratuitement et ont même joué des petits rôles. Techniquement, on pourrait dire que c’est du bricolage, mais nous avons toujours gardé une vraie exigence artistique. Pas question de brader le film. Cette dynamique n’a été possible que grâce à l’amitié et à la confiance; et ça, au-delà du film qui me satisfait vraiment aujourd’hui, c’est une dimension qui me plaît beaucoup. En marge du film lui-même tel qu’on peut le voir aujourd’hui, nous avons vécu une aventure riche et passionnante. Yam Dam, à vrai dire, c’est un rêve de gosse, un espoir que je poursuis depuis mon enfance. Tout petit, j’allais voir des tas de films dans le petit cinéma du coin et aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours voulu être réalisateur. J’ai commencé comme tout le monde avec des courts. Un d’entre eux s’est même retrouvé aux Oscars. Mais écrire et réaliser un long, c’est une aventure encore plus exceptionnelle. »
Pour mémoire, l’odyssée américaine a eu lieu en 1997. Carte Postale de Vivian, primé un peu partout dans le monde, s’est retrouvé à L.A. où il a finalement été supplanté par Election Night (Valgaften) de Kim Magnusson et Anders Thomas Jensen. N’empêche: quelle aventure !
Ancré dans la campagne belge, Yam Dam va naturellement bien au-delà de son cadre géographique pour atteindre (mais oui), à une certaine universalité. À travers l’histoire d’un vétérinaire, marié, qui voit débarquer un jour une belle Africaine qu’il a dragouillée sur le net, ce sont les affres de l’âme humaine que Vivian explore, mais aussi les rapports entre l’Afrique et l’Occident qu’il décortique : « Je suis allé un jour en Afrique, presque par hasard. Je n’y avais jamais mis les pieds. Je partais pour donner un cours de cinéma dans une école à Ouagadougou et ça a été un coup de foudre. Quelques années plus tard, quand je cherchais une idée de scénario, cette sensation m’est revenue et j’ai commencé à travailler sur ce scénario. La question qui traverse le film est « qu’est-on est prêt à sacrifier pour aider quelqu’un? » Donner dix euros à une association humanitaire, c’est bien, mais c’est facile: tout le monde peut le faire. Monter une association, à la limite, ça n’implique pas grand-chose non plus. Mais quand il s’agit de sacrifier un peu de confort, de mettre sa vie en danger peut-être pour aider quelqu’un, est-on prêt à se lancer?
Le rapport entre les Occidentaux et les Africains peut être très fort, mais c’est également un rapport complexe. Or, je pense que nous sommes souvent extrêmement naïfs : quand vous sympathisez avec quelqu’un qui vient d’une contrée plus pauvre, qui vit plus difficilement que vous, il est toujours difficile d’appréhender la part de sincérité complète qui sous-tend la relation. Et ça va dans les deux sens: l’Occidental peut craindre que l’Africain n’est pas 100% sincère tandis qu’à l’inverse l’Africain est en droit de se demander si l’amitié qui se crée est authentique ou si elle repose sur une part de pitié. »
C’est tout l’enjeu de Yam Dam qui n’est pas un pensum moraliste, mais une œuvre délicate, une litote qui construit sa petite musique sur la fragilité de ses protagonistes. Un film très touchant qu’il est difficile de « vendre » avec une simple bande-annonce tant tout est ici affaire de climats, d’ambiances et d’émotions. Un regard, un silence…
Pour se faire une idée précise, il est conseillé de voir le film en salle, dès cette semaine. Pourquoi pas ce soir au cinéma Aventure lors d’un Cinevox Happening en compagnie de l’équipe, ce qui promet donc d’être fort agréable?
Car, oui, quoi qu’il arrive, Yam Dam est un des films les plus attachants que vous pourrez déguster cette année.