Wim Willaert, la prestance et l’émotion de l’inconscience

Dans Le Ciel flamand, Wim Willaert trouve un rôle en or, celui de Dirk, un « tonton » bouleversant et dépassé par des événements qui vont en faire une victime collatérale. Sans masque mais avec un lourd fardeau, Wim Willaert fait le plein d’humanité et d’émotions. Interview.

 

 

Bonjour Wim, Le Ciel flamand, ce sont un peu des retrouvailles avec le réalisateur Peter Monsaert.

Avant même d’écrire ce film, Peter m’avait dit qu’il souhaitait de nouveau tourner avec moi… mais dans un rôle totalement différent de l’ex-prisonnier que j’incarnais dans Offline. J’ai énormément de confiance en Peter et je lui avais dit oui, sans hésiter. Et quand il est revenu avec le scénario, j’ai senti qu’avec ce film, on touchait quelque chose J’adore lire des scénarios, même de films dans lesquels il n’est pas prévu que je tourne, et je me suis demandé à quoi pourrait ressembler ce film. Un drame social ? Non, assurément pas ou alors seulement dans le décor. Un Polar ? Un peu mais pas tellement. Un film d’horreur ? C’est tout et c’est rien mais c’est percutant.

Ce sentiment m’a suivi et même après la première vision du film, je ne savais toujours pas classifier ce film. Il faut dire que quand je vois un film auquel j’ai participé, j’évite de me regarder, j’essaie de voir le film globalement. Et, ici, j’ai eu la même réaction que les autres spectateurs, j’ai été bouleversé. C’est très spécial.

 

 

On vous retrouve dans un rôle totalement différent de Offline, tristounet, en retrait, le regard profond de ceux qui sont meurtris.

Après la première lecture du scénario, j’avais le sentiment que mon personnage, Dirk, portait un masque. Une barbe ou des lunettes, un chapeau, que sais-je ? Mais très vite, avec Peter, on a décidé de n’utiliser aucun artifice, que le visage de Dirk serait nu et sans masque. Ce fut dur à jouer comme je suis toujours en train de bouger, ma bouche et tout – à 70 ans, je risque d’avoir beaucoup de rides à force de rigoler-. Et dans Le Ciel flamand, j’ai dû me battre contre les expressions naturelles de mon visage. Mon visage était mon masque, en fait. Dans mes yeux, le spectateur devait voir tout ce que mon personnage ressentait.

 

Comment vous y prenez-vous pour rentrer dans les rôles qu’on vous propose ?

C’est scandaleusement simple ! Je fais beaucoup confiance à mon… inconscience. Au début, lors de la visite des lieux dans lesquels nous allons tourner, je les ressens, je m’en inspire. Par exemple, j’ai appris à conduire un bus en compagnie de chauffeurs professionnels. Je les vois, je les sens. Et mon inconscient retient tout ça. Après quoi, on me met dans un costume qui n’est pas le mien, avec une femme qui n’est pas la mienne, comme la situation ou même les mots que je dois dire. Rien n’est à moi et, en fait, je ne dois pas beaucoup jouer ! Enfin si, je joue, mais à la manière d’un enfant. Mon travail se fait inconsciemment, ça se sent plus que ça ne s’explique.

 

Vous n’êtes pas le seul personnage principal de ce film, vous formez un trio très fort avec Sara Vertongen et Esra Vandenbussche. Des liens se sont tissés entre vous ?

Oui mais là aussi l’inconscient a joué. Surtout après le tournage. Car, pendant le tournage, je n’aimais pas beaucoup Sara, hein ! Et elle me tapait sur les nerfs, parfois. Et pareil avec Esra, elle ne m’aimait pas vraiment. Alors que d’habitude, je suis très fort avec les enfants, j’ai une fille, un garçon, des neveux pour lesquels je suis le tonton fou. On s’adore, on fait beaucoup de câlins. Avec Esra, c’était tout le contraire, j’étais… maladroit, mal à l’aise. Mais finalement que cette relation ait été conflictuelle, c’était bien comme ça, ça a servi le tournage, nous ne devions pas jouer ça.

Mais, ce qui est rigolo, c’est que le tournage a mis fin à cette méfiance. Désormais, quand on se voit avec Elsa, on se saute au cou ! On est libres. De même, maintenant que je donne des interviews aux côtés de Sara, je commence seulement à faire sa connaissance. Parce que sur le tournage, ce n’était pas triste ! Mais rien de tout ça n’était prévu, c’est l’inconscient !

 

 

Comment résumeriez-vous ce film ?

(Il réfléchit) Un enfant, c’est quelque chose de très fragile pour les parents. À l’état naturel, il pourrait être croqué par un prédateur. Le Ciel flamand aborde cette fragilité-là. Qu’advient-il quand cette fragilité est cassée, fissurée après l’incursion d’un étranger ? Comment les parents vont-ils gérer ça ? Ce sont des gens qui voudraient hurler leur amour mais qui, à cause de l’hypothèque de leur éducation par leur environnement et leur passé, ne savent plus comment faire. Ils sont totalement constipés émotionnellement. Et ça, c’est l’histoire du Ciel flamand.

Ainsi, la petite Eline (Esra Vandenbussche) est-elle enlevée par un inconnu. À partir de ce fait, le scénario pouvait opter pour deux voies. Une enquête dans la veine de Prisoners ou, et c’est ce qui arrive ici, la retrouver très vite… Mais trop tard que pour contrecarrer les dommages commis par ce pervers. C’est toute la psychologie qui est étudiée.

 

Au fil de la lecture de ce scénario, vous vous attendiez à cette tournure ? Ou pas du tout ?

Les deux premiers tiers de ce scénario sont incroyables, il s’y passe des choses très graves. Mais sans émotion. Et le dernier tiers permet à l’émotion de venir. Et ça, je ne m’y attendais pas. Peter, franchement, chapeau , qu’est-ce qu’il arrive à faire! Mais il ne s’en est pas rendu compte, il était dans le doute. Lors de la première présentation du film à Toronto – quel honneur ! -, il n’était pas convaincu. Il n’a pas fait la fête après. Il a fallu attendre la troisième projection, à San Sebastian, pour qu’il se dise: « Oh, j’ai fait quelque chose de spécial ». Et ça, c’est très joli, je trouve. Il est tellement humble. Bon, à San Sebastian, il a bien fait la fête. Non, je ne montrerai pas les photos (rires).

 

Ce film, il porte un peu l’ADN de notre pays entaché de la tragédie de l’Affaire Dutroux, non ?

Je ne crois pas que Le Ciel flamand parle de ce côté de la Belgique. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais déjà une bonne relation avec les enfants. Et l’affaire Dutroux a changé la donne. On ne se faisait plus de câlin. C’est affreux. On aime bien embrasser nos enfants, mais cela devrait être possible avec les enfants des autres. Là, ce n’était plus possible, plus comme avant. Cela doit être dans nos gènes, effectivement. Et c’est un sujet de film à faire. Mais ce film, ce n’est pas Le Ciel flamand. Je ne pense pas. La belgitude du Ciel flamand se trouve plus dans la relation. On rencontre quelqu’un, on lui demande: « Comment ça va? ». Il nous répond: « Ça va ». Mais on ne parle pas, les émotions sont enfermées. Ce n’est pas typiquement belge, hein, mais il y a de ça en Belgique, on cache nos émotions. On revient à la constipation émotionnelle (rire).

 

Mine de rien, vous êtes plutôt chanceux. Beaucoup des films dans lesquels vous figurer se retrouve dans des festivals.

Oui, mais je dois dire que je ne maîtrise pas cela. Vous savez, je suis un comédien perçu comme atypique. Comment suis-je arrivé dans le cinéma ? Je ne sais pas, question de hasard. Ma vie avant, c’était la musique. J’ai joué dans un big band, dans un groupe de rock. Maintenant, je n’ai plus le temps, je tourne de trop. Être sur un tournage, c’est devenu ma vie, c’est là que je suis le plus heureux, que je peux être précis tout en restant nonchalant.

 

Avez-vous arrêté la musique, pour autant ?

Non, mais de manière différente et plus solitaire, en pensant pourquoi pas à en faire des bandes originales de film. Comme je l’ai fait pour Henri de Yolande Moreau. Pendant quinze ans, j’ai joué avec le big band « Flat Earth Society » et ça m’a fait mal d’arrêter. Mais, au final, c’est sur l’écran, que je suis le plus comblé. La musique, c’est mon cœur. Le cinéma, c’est tout mon être. Je prends chaque tournage avec respect, en aimant toute l’équipe du film, du réalisateur à ces personnes qui nous donnent de cet excellent café, le matin. Je les remercie de parler un peu avec moi, le matin. Chacun fait sa profession comme un maniaque, c’est ainsi qu’un tournage est bon, et j’essaie de donner tout mon amour en retour. Oui, peut-être que l’amour est le secret.

 

Vous parliez de bandes originales de film, vous en avez en projet ?

Oui, il y en a un, mais rien n’est sûr et officialisé. Mais j’en fais déjà la musique. Je m’amuse avec. Sur mon ordinateur, je dois avoir plus de cent bouts de musique qui seront peut-être utilisés un jour ? Mais j’espère bien composer de la musique pour des longs-métrages à l’avenir. En tant que comédien et musicien, je pense être à une bonne place. La musique influence ma manière d’être comédien comme le fait d’être comédien influence la façon dont je fais de la musique. C’est en connexion.

 

À quoi faut-il penser quand on compose une musique de film ?

C’est différent d’une personne à l’autre. Mais, moi, j’essaie de réfléchir à l’instrument auquel me fait penser l’histoire. Avec Henri, j’avais l’impression que le film glissait, du coup j’ai pris une flûte, puis le trombone, un harmonium, j’ai fait appel à un trompettiste pour un solo. Henri, c’était aussi la mer, et selon le même principe, j’ai cherché des instruments. Il y a des jam et des impros aussi. Je connais beaucoup de musiciens et je les fais venir à la maison et ils improvisent. Après quoi, je coupe, je monte, je bosse quoi !

 

 Copyright : David Hermans

 

Je m’en voudrais de ne pas parler de L’oeil silencieux de Karim Ouelhaj, un court-métrage fantastique dans lequel vous êtes le personnage principal et qui fait un carton dans les festivals.

Mon premier film d’horreur ! J’ai l’impression qu’il est beaucoup demandé. Karim est très content et écrit le long-métrage, dans la même veine, qu’il veut réaliser avec moi. J’aime beaucoup le genre horrifique… enfin quand le film parvient à aller au-delà de ça et à parler d’autre chose. Il faut une histoire.

 

 

 

Quels en sont les thèmes ?

Ça me rappelle l’époque, il y a vingt ans, quand j’étais fiancé avec une fille. Sa grand-mère de 94 ans m’avait alors pris le bras, comme les vieux savent le faire, et m’avait dit (il prend une voix chevrotante): « Quand le sexe est bien, tout est bien ». C’est certain, mais elle avait continué en disant: « Le sexe, c’est un trou que tu ne peux jamais remplir, alors n’essaie pas ! » Elle avait raison. D’ailleurs (il s’excuse de parler crument), pourquoi arrive-t-il que des gens se présentent à la clinique parce qu’ils ont essayé de mettre une bouteille de Cointreau entre leurs fesses ? Ou un vieux monsieur avec un Playmobil ? Allons, allons, la sexualité, c’est comme faire du cheval, il faut faire attention à ce que le cheval ne redevienne pas sauvage. C’est l’histoire de L’oeil silencieux, c’est la porte ouverte à la perversion sexuelle. C’est très fort en horreur, mais j’aime la philosophie qui s’en dégage. Il y a du sang.

Sur le tournage, j’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait. Un tournage, c’est toujours beaucoup de bruit, des gens qui courent, des difficultés pour se concentrer. Et la scène la plus dure de toute ma vie était dans ce film-là: un plan-séquence. Soit, c’est bien, soit on le refait. Et au moment du « action », je suis resté sans rien faire. J’ai fait la promenade que je devais accomplir sur ma scène trois fois. Sans jouer. Tout le monde faisait silence mais se regardait en se demandant ce que je faisais. Après avoir fait trois fois le chemin, j’ai dit « c’est bon, j’y vais » et là j’ai fait une scène « waow ». Au plus profond de ce que j’ai été.

 

Photo Cinevox/Julien Kermode 2016

 

Pour terminer, le Magritte reçu l’année passée (Meilleur acteur pour Je suis mort mais j’ai des amis) a-t-il changé votre vie ?

D’une certaine manière, oui. Je ne pensais pas le gagner et ma compagne m’a dit: « C’est une comédie, est-ce un rôle à récompenses ? Je ne crois pas. » Je n’avais rien préparé comme discours, j’étais bouche bée. Je regrette de ne pas avoir su dire « Merci pour ce prix d’amour ». Après ce prix, en France, on me connaît un peu plus. L’année prochaine, j’ai trois jolis boulots dont deux francophones et je suis sûr que Magritte y est pour quelque chose.

 

AS

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