Alors que se profile le Festival de Cannes, nous avons rencontré l’une de ses héroïnes de l’ombre, la chef opératrice Virginie Surdej, qui a signé l’image de pas moins de trois films sélectionnés cette année, dont Nuestras Madres, de César Diaz. La chef opératrice belge, Magritte de la Meilleure photographie en 2018 pour sont travail remarquable sur Insyriated de Philippe Van Leeuw, revient pour nous sur son parcours et son travail.
Pourriez-vous retracer votre parcours en quelques mots?
Je suis belge et polonaise. J’ai étudié l’INSAS, puis en Pologne. J’ai toujours eu une grande passion pour la photographie. J’ai passé mon adolescence dans des chambres noires. Mais il y avait quelque chose de très solitaire dans la photo, qui ne me correspondait pas forcément. Dans le cinéma, il y a cette énergie de groupe qui sans doute me va mieux.
Mes parents sont astronomes. Observer le monde à travers des optiques, des lentilles, ça m’a toujours fascinée! Un jour une équipe de tournage est venue faire un film sur eux, et en regardant le gars qui installait les lumières, je me suis dit que ca devait être un chouette métier…
Après mes études, j’ai d’abord été stagiaire, 2e assistante caméra, puis je me suis vite orientée vers la lumière, j’ai fait stagiaire électro, et puis je me suis rapidement lancée sur les courts métrages de mes camarades de classe, sur des films fauchés, et puis au fur et à mesure, les films grandissent, comme nous, et sont de moins en moins fauchés…
Vous travaillez aussi bien sur des films de fiction que sur des documentaires, c’est important pour vous?
J’aimerais beaucoup continuer à faire à la fois du documentaire et de la fiction. Je ne veux pas être cataloguée dans l’un ou l’autre genre, c’est une grande richesse d’alterner les deux. En fiction, on doit construire une réalité, la structurer, alors qu’en documentaire, on va beaucoup plus filmer le réel, même s’il faut évidemment l’écrire, notamment avec la caméra. L’un nourrit l’autre.
Je suis de plus en plus confrontée à des films qui sont à la frontière entre les deux pratiques, comme By the Name of Tania de Mary Jimenez et Bénédicte Liénard présenté à Berlin. De nouvelles formes naissent, qui dépassent les clivages.
Dans les deux cas, la question c’est de savoir comment on se positionne. Quel est le point de vue de la caméra? Quel est le mode de narration, et comment on écrit le film avec les images?
Votre filmographie montre également un goût certain pour le voyage…
Ce qui est moteur pour moi, c’est d’abord le projet, la profondeur du sujet. Mais c’est vrai que j’ai un véritable amour des voyages depuis que je suis petite, j’ai habité dans de nombreux pays avec mes parents. Les cinémas du monde me sont chers, et j’ai envie de les défendre. Ce n’est certainement pas un hasard s’ils m’attirent. On a forcément une connection avec les cinéastes avec lesquels on travaille, dans la façon de poser un regard sur le monde. Ce n’est pas calculé, mais ce n’est certainement pas un hasard…
Les derniers films que j’ai faits n’ont pas d’énormes budgets, mais ils ont un regard sur l’histoire de leur pays, un fort rapport au réel. Ce sont des fictions qui interrogent leur société.
Pouvez-vous me parler des trois films que vous défendrez à Cannes?
J’ai fait l’image de The Orphanage, d’une jeune réalisatrice afghane dont j’avais déjà fait le premier film, Le loup et les moutons, déjà sélectionné à Cannes à la Quinzaine. Le film se passe dans un orphelinat à Kaboul dans les années 80, mais nous avons tourné au Tadjikistan, comme son premier film. C’est l’histoire d’un jeune garçon de 15 ans qui vit dans la rue, et pour survivre vend des billets de cinéma au marché noir. Il voit beaucoup de films indiens, et se met à rêver sa vie en mode Bollywood. Un jour il se fait arrêté par un policier, qui l’emmène das un orphelinat sous protectorat russe. Il rencontre d’autres enfants, avec lesquels il va protéger l’orphelinat de l’arrivé des Mujahideen.
C’est un film musical et historique, assez métaphorique, qui rend hommage au cinéma de Bollywood mais qui néanmoins reste très ancré dans le réel. Le film a un équilibre assez magique, qui tient surement à sa vérité.
J’ai également fait la lumière d’Adam de Mariam Touzani. J’avais déjà travaillé au Maroc avec Nabil Ayouch pour Much Loved et Razzia. Le point de départ d’Adam, c’est une femme enceinte qui marche dans la rue, elle cherche où dormir et où travailler, car elle ne peut pas retourner enceinte sans être mariée dans son village. D’une porte à l’autre, elle finit par tomber sur une femme, incarnée par la comédienne belge Lubna Azabal qui accepte de la prendre chez elle pour une nuit. Cette rencontre va changer le destin de ces deux femmes.
Nisrin Erradi et Lubna Azabal sont magnifiques, quelles grandes comédiennes! On découvre vraiment une nouvelle facette du talent de Lubna Azabal dans ce film.
Enfin, j’ai également signé l’image de Nuestras Madres de César Diaz, sélectionné dans le cadre de la Semaine de la Critique, l’histoire d’Ernesto, un jeune homme qui travaille pour une fondation médico-légale qui déterre des corps non identifiés des victimes de la guerre civile qui a ravagé le Guatemala il y a une trentaine d’années. Lui-même cherche son père guérillero disparu pendant la guerre. Il a lui aussi besoin de se reconnecter à son histoire. Le travail de deuil n’a pas pu être fait par les Guatémaltèques, et identifier les victimes permet de les rendre à leur famille. Encore une fois, il s’agit d’un film fortement ancré dans l’histoire de son pays. Notre rôle était aussi de donner des images à cette histoire trop peu racontée. Se souvenir des victimes.
« Nustras Madres » de Cesar Diaz
C’est vrai que ce sont des films forts, engagés. Même si j’aimerais beaucoup un jour faire un film de science-fiction ou un film en costume, je me rends compte que c’est vers ce genre de films que je reviens sans cesse, qui portent un engagement profond vis-à-vis de l’humanité, montrent des minorités peu vues au cinéma, d’autant plus par le biais de la fiction.
Quel est votre rôle dans la partition d’un film?
J’ai l’impression de voyager dans la tête des réalisateurs, et de donner image à quelque chose qu’ils ont muri longtemps, de le cristalliser. On accompagne les réalisateurs dans leur histoire. Notre travail, c’est évidemment de donner une forme, et de matérialiser à l’image un projet. Mais c’est eux qui ont muri le film pendant 2, 3, 4 ans. Je leur fais entièrement confiance, j’essaie de trouver ce qui les anime, et ce qui rend le projet tellement fort à leurs yeux. C’est là que résident les clés quand il faut construire l’image. Un point d’ancrage, qu’on nourrit, complète, développe.
C’est une relation d’accompagnement, de complicité, d’écoute. On est des bras droits, des compagnons de route.
Comment le métier a-t-il évolué depuis vos débuts?
Le cinéma se réinvente, tout le temps, nous aussi. La configuration d’une équipe a beaucoup changé depuis 30 ans, la logistique aussi avec l’allégement du matériel. C’est un mouvement perpétuel, mais il faut se battre pour conserver la qualité d’écriture, de regard.
Faire une image, c’est une responsabilité, il faut la réfléchir, la construire, l’habiter en fait.
On a des caméras très sensibles aujourd’hui, certaines qui voient plus que nos yeux. Mais une focale restera toujours une focale. Les bases de l’écriture de l’image sont toujours les mêmes. Les outils changent et permettent de faire les choses différemment, mais pas l’écriture.
Comment avez-vous réagi quand vous avez reçu le Magritte pour Insyriated?
Cela m’a fait très plaisir bien sûr, mais d’autant plus car il s’agit d’un film de guerre, un huis clos dans un appartement. On voulait beaucoup de tension, une image un peu documentaire, pas trop propre. Toujours ce désir de faire l’image la plus juste pour raconter l’univers du film. Avec ce film, c’était la justesse de l’image qui comptait, pas sa beauté.
Quels sont vos projets à venir?
J’ai beaucoup tourné l’année dernière, j’ai enchaîné 6 films dans des pays différents, donc là je vais me poser quelques temps. On espère pouvoir tourner prochainement le premier film documentaire d’Amélie van Elmbt et Maya Duverdier sur le Chelsea Hotel à New York.
Et puis en 2020, Philippe Van Leeuw tourne son nouveau film à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, The Wall. J’ai aussi un projet de fiction avec Sakaris Stora, un réalisateur aux îles Feroé…et d’autres en attente de financement…