Nous avons rencontré la cinéaste Virginie Gourmel à l’occasion de la présentation en Compétition Nationale au BRIFF de Cavale, son premier long métrage, qui sort dans la foulée le 26 juin dans les salles belges. Elle nous parle de son parcours, et du processus de création de ce road-movie adolescent au féminin.
Quel est votre parcours?
Je suis entrée à l’INSAS en réalisation, mais au bout d’un an, j’ai bifurqué vers l’image. J’ai terminé ma formation, et puis je suis retrouvée vivre à Paris où j’ai longtemps été assistante caméra. Mais je peinais à passer cadre chef opératrice. Ça me rongeait, et pour des raisons personnelles, je suis revenue à Bruxelles, où j’ai décidé de m’installer.
J’ai pris la décision de réaliser mon premier court métrage pour pouvoir faire l’image. Le film (Aïe) a bien fonctionné en festival. J’ai tourné mon deuxième court métrage Stagman en Pologne, alors que j’étais enceinte de mon premier enfant. Et puis il y a eu une longue période où j’ai développé beaucoup de scénarios avec mon scénariste Micha Wald, sans que rien ne se mette vraiment en place.
Jusqu’au moment où j’ai fait un court métrage comme chef opératrice, Pickles de Manuela Damiens, et c’est comme ça que j’ai rencontré Patrick Quinet, mon producteur. Un jour, je lui ai apporté un projet de court métrage pour le déposer. Il me dit : « OK, mais la fin n’est pas top, et en plus ça ferait un bon long métrage! » Alors on l’a écrit très vite, tout s’est vite enchaîné, et on l’a tourné l’été suivant.
Les deux premiers couts métrages relevaient du fantastique, ici il y a un changement d’approche?
Moi je préfère parler de « fantasy » que de fantastique, mais c’est vrai que j’avais de grandes envies d’expérimentation. J’ai tourné les deux en pellicule. Pour Aïe, j’avais mis la main sur un stock de pellicules périmées, il y avait du burlesque, du image par image. Stagman était plus fantastique, avec des monstres. Je crois que finalement, j’aime bien parler des monstres, des gens un peu à part, que ce soit pour des raisons physiques ou psychologiques.
Les adolescentes de Cavale se sentent justement rejetées, des monstres à leur façon?
Ces filles sont différentes, on ne sait pas forcément comment leur parler. Quand Kathy rencontre Michel, incarné par Pierre Nisse, elle rencontre quelqu’un de différent, donc finalement, comme elle. Mais est-il si différent, est-il plus dingue qu’une jeune fille qui se drogue aux médocs, une autre qui se scarifie… Qu’est-ce que ça veut dire « être fou »? Le traitement médical avant tout n’est pas forcément la bonne option. Souvent, la différence est une force, et la norme une prison.
Pourquoi ce sujet, cette fugue?
Quand ma soeur était toute petite, un jour elle a fait une fugue, qui m’a beaucoup impressionnée. J’avais d’abord écrit l’histoire d’une petite fille qui sèche ses cours de natation le samedi matin, et qui un jour rencontre un ado de 14 ans, et part avec lui. Puis en discutant avec mon scénariste Micha Wald, j’ai trouvé ça plus intéressant d’aborder le sujet par le biais de jeunes adolescentes. D’abord parce que pour lui, c’était la première fois qu’il écrivait pour des héroïnes, et en plus il avait beaucoup travaillé avec des jeunes en difficulté.
J’adore les films d’adolescents, comme Stand by Me. Je trouve que le cinéma américain touche souvent quelque chose de très juste quand il parle d’adolescence. Et puis l’adolescence, c’est en soi un mouvement, c’était presque une évidence d’en faire un road movie. Mon cinéma parle de corps, de tous les corps en mouvement de ces adolescentes. Et la route – même si finalement, elles se retrouvent vite à pied! -, c’est un accélérateur perpétuel de narration. Il y a toujours quelques chose de nouveau, à chaque tournant. Avec le road movie, la route crée le récit, on va toujours en avant. C’est quand on est vieux qu’on regarde en arrière, et là, ça colle à l’adolescence.
Comment vous retrouvez-vous dans les personnages?
Kathy est taiseuse, mystérieuse, et tu sens que c’est sa vie qu’elle met en jeu. Elle me touche beaucoup. Mais je pense que je suis un peu des trois, même si je n’ai pas l’exubérance de Nabila. J’aime sa liberté. Carole elle a des problèmes avec son corps, mais n’hésite pas à s’ouvrir à l’amour. Et j’admire la résilience de Kathy. Ça ira mieux demain, c’est une belle façon de voir les choses…
C’est un film d’adolescence au féminin?
J’avais envie de parler des filles à cet âge-là. J’avais envie de les voir et les montrer, ces filles qui prennent leur douche en maillot de bain à la piscine, ce qu’elle se racontent… Les adolescentes, c’est fascinant, leurs sentiments changent tellement vite. C’est la période du up and down, et de la simultanéité, elles sont fragiles et fortes à la fois. Je voulais aussi trois personnages pour multiplier les profils et les points de vue.
Le film a été montré pour la 1ère fois à Sao Paolo, une vraie ville de cinéma. J’ai eu plein de retours de jeunes filles qui se sont vraiment retrouvées dans les personnages, qui étaient étonnées qu’on puisse parler avec tant de vérité de ce qu’elles sont, comme s’il y avait un déficit d’incarnation de leur vécu au cinéma.
Ce qui est amusant aussi, c’est quand dans le public, les gens d’identifient aussi bien à tous les personnages.
Comment avez-vous abordé l’image en tant que chef opératrice?
Jusque là j’avais toujours travaillé avec un chef opérateur malheureusement disparu il y a quelques années. Je me suis alors tournée vers Juliette Van Dormael, qui a un profil tout à fait différent. Je voulais tenter de nouvelles choses, et j’aimais beaucoup son approche et sa douceur.
Moi j’adore Fish Tank d’Andréa Arnold, c’est le premier film dont j’ai parlé à Juliette. Et puis bien sûr, les films d’ado, Stand By Me. J’avais surtout envie d’un road movie tourné comme un thriller, je ne voulais pas que ce soit naturaliste, je voulais que ce soit composé, éclairé. Qu’on soit dans une fiction, une vraie. Je suis aussi très attachée aux couleurs. Le t-shirt violet, ce n’est pas un hasard, ça allait avec la forêt!
Quels sont vos projets?
Je travaille déjà sur mon prochain film, Le Château de cartes, l’histoire d’un homme qui manipule une famille de notables, de la grand-mère au petit-fils, comment il leur extorque plein d’argent et les enferme dans un château. Je m’intéresse ici au point de vue du méchant. J’adore ça.
Cavale sort le 26 juin prochain en Belgique.