Vijay and I : Hindoux dingue

>Wilhem Wilder, plus connu sous le sobriquet de Will, est comédien dans une série télévisée destinée aux (petits) enfants. À l’écran, il incarne Bad Lucky Bunny, un lapin vert qui joue de malchance. De toute évidence, il sous-utilise ses évidents talents. Il brade ses rêves de jeunesse. Mais la plupart du temps, sa situation n’est pas pour lui déplaire: il est populaire, raisonnablement  riche et ne se foule pas trop. Pour un mec normal, c’est correct.

Pour relativiser son manque d’ambition, il cultive l’autodérision avec une vraie maestria. Sur la corde raide émotionnelle, on le sent pourtant prêt à exploser. Surtout qu’aujourd’hui, il passe un cap difficile, celui de quarantaine.

 

 

Lorsqu’il imagine que sa femme, sa fille et ses amis ont tous oublié son anniversaire, il se laisse happer par une grosse déprime colérique. En fait, tous ses amis et sa famille l’attendent, cachés, pour une grande fête. Lui, s’esquive… et meurt dans un accident de voiture.

C’est, en tout cas, ce que tout le monde croit…

En fait, sa voiture a été volée et c’est le malfaiteur qui a terminé en barbecue dans la carcasse calcinée.

Le quiproquo pourrait être de courte durée, mais plutôt que de rétablir la vérité, Will préfère profiter de l’occasion pour voir s’il manquerait à sa famille et à ses proches. Avec l’aide (un peu forcée) de son ami Rad, propriétaire d’un restaurant indien où tous les serveurs sont grimés façon Bollywood, il se transforme en Vijay Singh, un Sikh élégant et séduisant avec sa barbe et son turban.

Poussant l’expérience dans ses derniers retranchements, il décide de se faire passer pour un vieil ami du défunt et d’assister à son enterrement. Il va y découvrir quelques vérités embarrassantes à propos de Will et remarquer que, Vijay, par contre, fait l’unanimité.

 

 

 

Le pitch de Vijay and I, quatrième long métrage de Sam Garbarski tranche avec le ton plus grave et nostalgique de son dernier film, le formidable Quartier Lointain, transposé du manga de Jirō Taniguchi. On y retrouve certes des préoccupations communes (un certain feeling retro, la famille, la paternité…), mais il est clair que le réalisateur avait ici envie de plus de légèreté, de fantaisie.  Même si le montage financier du film et son tournage ne furent pas précisément synonymes de vacances et de farniente

 

Alors que le réalisateur estimait avoir tutoyé les limites du genre avec Quartier Lointain l’obligeant à tourner ici et là et à adapter ses équipes aux desiderata de chacun, il s’ouvre avec Vijay and I  à un monde presque plus complexe encore, un univers que le cinéma belge n’avait tutoyé qu’avec Mr Nobody. Au menu : casting international avec son lot de vedettes, mais aussi des visages un peu moins connus, mais diablement bien trouvés. Big up donc à Sébastien Delloye qui a mené l’essentiel de la production pour Entre chien et loup. En toute décontraction.

 

 

En vedette de Vijay and I, un couple totalement inédit à l’écran : Patricia Arquette, star de la série Medium qu’on a vue dans de très grands films comme Lost Highway et Moritz Bleibtreu une des personnalités les plus en vue du cinéma allemand qui tourne depuis vingt ans, un acteur sur qui des films majeurs se bâtissent comme La Bande à Baader (Der Baader-Meinhof Komplex) de Uli Edel où il incarnait Andreas Baader, Soul Kitchen de Fatih Akin ou l’impressionnant  thriller Le Quatrième Pouvoir de Dennis Gansel. Spielberg l’avait choisi pour un rôle dans Munich tandis qu’il est récemment apparu dans le blockbuster World War Z.

 

Patricia Arquette et Moritz Bleibtreu ne se connaissaient pas avant ce film. Dans une de nos interviews, l’actrice américaine avoue même qu’elle n’avait jamais entendu parler de Moritz ce qui, avoue-t-elle a posteriori, est presque une aberration. Pourtant, quand on voit le film, le moins qu’on puisse dire est que leur relation, essentielle à la mécanique du film, fonctionne parfaitement. Coup de génie, donc ! Formidable professionnalisme des intéressés.

 

 

« Professionnalisme » est d’ailleurs un terme qui colle partialement à l’ensemble du projet: à l’écran, Vijay and I est une pétillante comédie romantique, totalement maîtrisée qui évoque les sucreries qu’Hollywood produisait durant les trente glorieuses. Tout y sonne juste et la facture visuelle et technique impressionne constamment. Mais rien n’est figé. Tout est excitant.

 

À la lecture du pitch vous vous êtes probablement dit que cette histoire ne tenait pas debout. Avouons-le: nous avons eu la même crainte en lisant le scénario. Mais c’est là que la magie du cinéma opère. L’épouse ne reconnaît pas son mari, juste parce qu’il a une barbe?  Hé non. C’est comme ça ! Pourquoi pas? On y croit !  Sans problème. À dire vrai, le rythme enlevé de la comédie ne nous permet même pas de nous poser ce genre de questions. On le voit, on y croit. On ne marche pas: on court, on galope !

 

 

Outre les deux acteurs principaux, on retrouve dans Vijay and I une série d’autres comédiens qui sont loin d’être des inconnus : Moni Moshonov, par exemple (Two Lovers, La Nuit nous appartient), ou encore Michael Imperioli, une des stars de la mythique série The Sopranos. Un peu moins connu chez nous Danny Pudi a passé pas mal de temps sur les plateaux de télé, notamment pour la série Community dont il était un des acteurs-clés. Ici, il incarne Rad, l’ami de Wilhem, génie du maquillage qui va le transformer en Vijay. Il est tout simplement épatant. Pudi est clairement le ressort comique d’un film qui s’il est, essentiellement fantaisiste, s’inscrit néanmoins dans un cadre réaliste.

 

Film surprenant, très atypique dans l’univers du cinéma belge, Vijay and I est une nouvelle réussite à inscrire à la filmographie toujours sans tache de Sam Garbarski. Tout ce qu’on souhaite au réalisateur est d’enfin rallier le grand public qui, jusqu’ici n’a pas vraiment fait honneur à la qualité de son cinéma. Vijay and I sera-t-il le film qui provoque le déclic? Si ce n’est pas le cas,  la déception serait d’autant plus amère que le film a été pensé et réalisé dans cet esprit : plaire au plus grand nombre sans sacrifier le côté artistique du projet.

Une réussite, donc.

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