Vania Leturcq vit des heures passionnantes. Et totalement inédites. Après avoir réalisé quelques courts métrages, quelques docus, la jeune réalisatrice namuroise a enfin bouclé son premier long métrage de fiction, L’Année Prochaine.
Après l’avoir baladé à travers le monde dans des festivals où il a été très bien accueilli, elle s’apprête maintenant à vivre l’expérience de deux sorties en salles successives: ce mercredi en Belgique et en France, au mois de juin.
Les interviews se sont succédé, et dès ce soir, c’est la dernière rafale d’avant-premières qui commence. Une bonne préparation pour la sortie en France où le film est (bizarrement pour un premier long) fort attendu par la presse cinéphile.
Nous vous avons déjà dit ICI tout le bien que nous pensions de ce premier film parfois imprévisible, instinctif et très honnête, mais pour préfacer sa sortie, nous avons invité Vania à nous parler de son parcours, de ses premiers émois cinématographiques à la réalisation de L’Année prochaine.
Une interview à son image : attachante, dense et sans artifices. Que nous vous livrons sous forme de monologue.
Photo FIFF
C’est difficile d’identifier très précisément la première fois que le cinéma m’a vraiment attirée. Quand j’étais enfant, adolescente j’étais surtout fascinée par les acteurs. Je regardais beaucoup de films et je farfouillais dans le grenier pour feuilleter les revues de mes parents. En même temps, je ne voulais pas devenir comédienne.
En fait, je ne comprenais pas vraiment quelle pouvait être ma place dans cet univers. Et à 14 ans, pour partir en vacances, j’ai emprunté quelques livres à la bibliothèque; dont un consacré à François Truffaut. J’ai été élevée dans un milieu où on privilégiait plutôt la culture francophone, je connaissais donc quelques-uns de ses films et je les aimais beaucoup. Par contre, je n’identifiais pas clairement ce qu’était le métier de réalisateur. Mais en découvrant son parcours et sa vie, je me suis dit très vite: voilà ce que je veux faire. Je suis ensuite allée voir mes parents pour leur dire: « c’est décidé, je veux devenir réalisatrice. »
L’envie a mis quelques années à me concrétiser. Je ne baignais pas dans un milieu de cinéma. Je ne connaissais même personne qui faisait ça. Je ne me sentais donc pas de réaliser un film. Je voulais apprendre avant. J’étais portée sur cette intuition très forte, mais qui ne reposait pas vraiment sur des éléments objectifs.
À l’issue de mes secondaires, j’ai passé les examens d’entrée de l’IAD et de l’INSAS. Mais dans le même temps, je m’étais inscrite à une septième année de prépa au cinéma, car j’étais certaine de rater. J’étais très jeune et totalement inexpérimentée. J’ai pourtant été acceptée d’extrême justesse à l’IAD et je me suis enfin lancée dans ma passion.
Je n’ai absolument aucun mal à dire de l’IAD, mais mes trois premières années là-bas n’ont pas été un grand bonheur pour moi. Je ne me sentais pas à l’aise. Face à d’autres étudiants qui avaient déjà une expérience, un caractère très fort, j’étais très peu sûre de moi. J’étais persuadée que je n’irais pas au bout, mais je me suis accrochée malgré mes doutes et, surtout, ma peur de ne rien avoir à raconter parce que j’avais la conviction de ne pas encore avoir vécu grand-chose dans ma vie.
Bizarrement, le déclic s’est produit avec mon premier grand échec: à la fin de la troisième année, nous devions présenter notre projet de fin d’études. Moi, depuis le début, je ne voulais qu’une chose: réaliser un film de fiction. C’est la seule perspective qui m’intéressait. Mais tout le monde ne pouvait pas y accéder et j’ai été recalée. Je me trouvais donc dans l’obligation de tourner un documentaire. Alors je me suis dit: « OK, alors je tourne un film pour moi sur un sujet qui m’intéresse moi et tant pis si ça n’intéresse personne ». Ça m’a totalement libérée.
Bizarrement, alors que je ne parlais que de moi dans mon projet, des gens y ont trouvé un écho et m’ont encouragée. Au final, j’ai adoré réaliser ce documentaire et je l’aime d’ailleurs toujours beaucoup aujourd’hui.
Pendant la quatrième année, je me suis aussi retrouvée première assistance sur Ordinary man, deuxième long métrage de Vincent Lannoo. C’était un film sans budget avec une équipe très jeune, hyper motivée qui travaillait bénévolement. Ça m’a donné une nouvelle vision du travail. Un an plus tard, rebelote, j’ai travaillé avec Joachim Lafosse sur Ca rend heureux, aussi réalisé à l’arrache dans une ambiance assez exceptionnelle.
Du coup, je me suis dit: OK, des tournages comme ceux-là, je peux en faire aussi. Au fond, je n’ai pas besoin d’énormément d’argent pour réaliser des films. Ce que Vincent et Joachim font, je peux le faire. Et je vais le faire.
Je peux rassembler des gens, porter une équipe, leur donner envie.
surletournagede.blogspot.be
C’est ce qui s’est passé ensuite sur mon premier court métrage de fiction qui s’appelait L. J’avais remporté un prix de 2500 euros à Media 10/10 avec mon film de fin d’études et j’avais décidé de l’affecter entièrement au tournage de ce court. Pour la première fois, j’ai pris en compte toutes les contingences financières pour ne pas avoir à en souffrir. J’ai écrit une histoire qui pouvait se tourner en un seul lieu avec une toute petite équipe de copains bénévoles et du matériel assez basique. Le film a été bien reçu: il a fait des festivals, a décroché des prix. C’était une belle satisfaction, car il avait été assez compliqué à mettre en chantier.
Moi, je suis une championne du refus de la commission du film. Là, on m’a refusé plusieurs fois l’aide à la production, puis l’aide à la finition. Idem pour mes films suivants. Je dois être passée trente fois et j’ai à chaque fois été retoquée ou presque.
C’est pendant la postproduction de L qu’Anthony Rey est intervenu. Il m’a aidée à boucler le travail à la débrouille. Depuis lors pour tous les films de fiction, Helicotronc me soutient.
Ensuite, j’ai travaillé sur d’autres courts et des documentaires, plus ou moins en alternance, selon les opportunités. J’ai réalisé Deuilleuses pour Paradoxe productions à propos de deux femmes en deuil. Côté courts, j’ai ensuite tourné L’été, puis La Maison pour lequel j’ai enfin eu le soutien de la commission. J’étais très fière. Les deux films ont été très bien accueillis en festivals.
Après ça, je me suis consacrée complètement à mon projet de long que j’avais en fait commencé à écrire sept ans plus tôt, avant même de réaliser mon deuxième court. Au fil du temps, il y a eu énormément de réécriture. Mais j’ai récemment relu une première version et j’étais assez stupéfaite de constater que tout y était déjà plus ou moins. La suite a été un long travail d’affinage. Le texte a gagné en puissance et j’ai aussi dû m’adapter aux différentes configurations de production.
Au tout début L’année prochaine avait été écrit pour le projet microbudget lancé par les cinéastes associés (NDLR il s’agit de tourner un film pour moins de 100.000 euros dans un cadre très précis. Le projet nous a donné Miss Mouche et Yam Dam). La première mouture était donc beaucoup plus simple. Elle a été retenue dans un dernier carré, mais finalement écartée. Anthony Rey m’a dit alors qu’il en était ravi parce que ce film il voulait le produire lui-même avec de vrais moyens. J’ai donc laissé de côté toutes les contraintes liées au microbudget et je suis repartie de zéro. J’ai obtenu une aide à l’écriture. Un peu plus tard, on a décroché une aide à la production, mais pas à la première fois bien sûr (sourire sonore). Aujourd’hui, on est tous contents du résultat, mais ça ne doit pas nous faire oublier que le montage financier a été très long et compliqué. Pas mal de fois, on a cru qu’il ne se ferait pas.
Je n’ai pas dû revoir mes ambitions à la baisse dans le sens où je suis habituée à bosser sur des films fauchés. Je suis donc habituée à m’adapter, à me débrouiller et à faire des compromis qui ne nuisent pas au film que j’ai en tête. D’ailleurs, maintenant que je le regarde, je suis étonnée, car il correspond à ce que je voulais faire. Je n’ai pas la sensation qu’il manque quelque chose de crucial.
Je pense constamment à la réalisation en pensant au budget, au temps disponible. Cette méthode je l’ai développée sur mes courts métrages et je l’ai naturellement déclinée sur mon long.
J’ai toujours été prête à accepter ces conditions parce que je voulais absolument tourner. Il y a une manière de faire des choix, de mettre en scène, de sentir le projet par rapport au budget. En plus du travail de réalisation, j’ai aussi dû réécrire certains passages au fil des jours.
Une des conséquences du manque d’argent est que j’ai dû composer avec des défections de dernière minute. Certaines personnes nous quittaient pour rejoindre des tournages mieux payés et je trouve ça entièrement normal. Par contre, ceux qui sont restés étaient incroyablement motivés et soudés. On a tous travaillé de la même manière, on était tous logés à la même enseigne sur un total pied d’égalité. C’est un peu un film communiste, dans son élaboration. On avait des principes et on s’y est tenu. On n’a jamais essayé de mentir à quiconque. Mais au final, ça nous a bien réussis, car l’ambiance a été exceptionnelle et le film qui est là, on peut tous en être fiers.
Même si c’était bien sûr épuisant, tout le monde a donné le meilleur de lui-même.
La plus grande différence entre ce long et mes courts métrages, c’est le manque de temps, l’obligation de trouver immédiatement le bon angle d’approche parce qu’on n’avait pas le luxe de pouvoir se louper. Ce que j’ai le plus appris dans cette expérience c’est le lâcher-prise.
Je suis quelqu’un qui est constamment dans le contrôle et dans la maîtrise totale des choses. Avant de demander aux autres de bosser comme des fous, je m’impose à moi une discipline de fer. Je ne veux pas avoir de regrets a posteriori parce que je n’aurais pas assez travaillé. Sur le tournage, on se retrouve pourtant dans des situations délicates où on n’a pas d’autre choix que de faire confiance à son intuition pour surmonter sur le champ des obstacles qui semblent infranchissables. Et là, j’ai dû accepter de laisser filer certaines décisions, de me reposer sur l’équipe et sur les gens susceptibles de régler un problème spécifique parce que c’est leur domaine et que dans ce registre ils sont meilleurs que moi.
Oui, le lâcher-prise est une des choses les plus positives que j’ai apprises en réalisant ce film.