On a croisé la réalisatrice costaricienne installée à Bruxelles, Valentina Maurel, qui présente en Compétition au prestigieux Festival de Locarno son premier long métrage, Tengo sueños eléctricos, dans la section Concorso internazionale. La cinéaste s’est notamment faite remarquée avec ses deux courts métrages, Paul est là, film de fin d’études de l’INSAS, Prix de la Cinéfondation à Cannes en 2017, et Lucia en el limbo, sélectionné à la Semaine de la Critique de Cannes en 2019. Elle revient pour nous sur les origines de cet ambitieux projet, que l’on espère voir à l’automne en Belgique.
Quelles sont les origines du projet?
C’est un projet écrit dans la continuité de ce que j’avais fait dans mes deux courts métrages précédents. En général, je ne choisis pas mes sujets de façon très rationnelle. J’ai commencé à écrire, et j’ai ressenti le besoin de parler du rapport au père. C’était un petit peu compliqué, parce que j’ai l’impression que c’est un sujet qui a été beaucoup abordé, le rapport au père, de Hamlet à Star Wars. C’est un sujet peut-être un peu banal, mais néanmoins essentiel, et puis je n’avais pas vu tant que ça de films qui parlait du rapport père/fille, alors je me suis autorisée à en parler. Le personnage d’Eva, qui porte le récit, ressemble assez fort à mes deux héroïnes précédentes, c’était comme les retrouver, poursuivre l’histoire, d’une certaine façon.
Qu’est-ce qui caractérise Eva justement?
Eva, c’est une adolescente qui découvre le monde des adultes. Dans mes courts précédents, je parlais du rapport au père, puis d’une adolescente qui découvre sa sexualité, là, j’avais plutôt envie de parler d’une adolescente entourée d’adultes, qui a envie d’en être, notamment en se rapprochant de son père et des amis de celui-ci. La trajectoire d’Eva n’est pas celle d’une adolescente qui devient une adulte, mais plutôt celle d’une adolescente qui découvre qu’il n’y a pas vraiment d’adultes autour d’elle. Elle se rend compte que même si les adultes autour d’elle peuvent cocher certaines cases (ils fument, ils conduisent), mais en fait ce sont des êtres tout aussi paumés qu’elle. Pour moi ce qui caractérise Eva, c’est que c’est une adolescente qui est finalement presque plus lucide ou presque plus mature, presque plus armée pour la vie que les adultes qui l’entourent.
Comment souhaitiez-vous montrer l’adolescence, une période souvent montrée au cinéma?
En fait, j’aimerais ne plus parler d’adolescence, j’en ai un peu marre, mais il y quelque chose qui fait que j’y retourne toujours (rires). Je savais que je ne voulais pas faire un coming-of-age, l’histoire d’une enfant jeune fille qui devient une jeune femme comme par magie. Ca me crispe un peu parce que ce serait imaginer que l’adolescence est une étape dans la vie, délimitée par des choses un peu abstraites. Comme si on devenait un adulte à 18 ans, juste pour des raisons légales. Je voulais parler de l’adolescence, sans édifier de frontière avec l’âge adulte. Que cette adolescente se rende compte que les adultes autour d’elle sont aussi des adolescents. Je ne voulais pas d’une histoire linéaire d’une adolescente qui devienne une adulte, mais plutôt parler d’adolescence comme de la découverte du fait qu’il n’y a pas de point d’arrivée.
L’adolescence, c’est à la fois éprouver le désir d’être un adulte, tout en s’apercevant que ça n’existe pas vraiment, les adultes. On devient des êtres peut-être plus stables biologiquement, mais c’est tout. Je crois qu’on est bien plus perdus quand on est adulte qu’à l’adolescence, où on a un meilleur accès à la poésie, et peut-être même à la lucidité.
Qu’est-ce qui vous tenait à coeur avec ce premier film?
En tant que cinéaste latino, je voulais raconter une histoire inscrite dans une classe moyenne urbaine, qui ne réponde pas à l’imaginaire européen du pays tropical où il y a forcément des histoires de drogues dans des quartiers dévastés, ou de réalisme magique dans la jungle. Je voulais m’autoriser une complexité et une intériorité, éviter l’exotisme. J’avais aussi envie de filmer la ville, ma ville, San José, une ville un peu chaotique pas très représentée dans le cinéma costaricien, peut-être parce qu’elle ne correspond pas à l’imaginaire des Européens par rapport à ce que peut être une ville tropicale. En gros, j’avais envie de filmer des personnages en errance à San José, même si finalement, je n’ai pas tellement filmé San José!