Une Histoire d’Amour
Hélène Fillières se confie (1/4)
Du fait divers à l’œuvre d’art.

Benoit Poelvoorde va dynamiter l’année 2013 en incarnant Le Banquier dans le premier film réalisé par l’actrice Hélène Fillières, Une Histoire d’Amour.

Nous vous parlons du projet depuis les débuts de Cinevox, et nous avons présenté le projet et les premières photos disponibles à la fin du mois de novembre.

Pour vous préparer doucement à la rencontre avec ce film qui promet d’être un des grands moments de l’hiver, voici la première partie d’une longue interview d’Hélène Fillières qui raconte avec beaucoup de détails et de passion, beaucoup de recul, de lucidité et d’intelligence, le film ,ses acteurs, sa démarche, sa curiosité.

 

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à cette histoire ?

Pour mon premier film, je ne voulais pas partir d’une histoire originale, trop personnelle.

Je me sentais plus à l’aise avec l’histoire d’autrui, un chemin détourné pour exprimer quelque chose d’intime. Et puis j’ai lu Sévère de Régis Jauffret. J’ai été très sensible à sa démarche artistique. Je connais ses romans, je l’admire depuis longtemps, son style bien sûr mais surtout son regard impitoyablement aiguisé sur l’âme humaine, et là, découvrir avec Sévère, qu’il avait cette fois choisi de partir d’un fait divers, m’a vraiment inspirée. Le roman qu’il en a tiré m’est apparu comme une matière extraordinaire pour faire un film.

 

Donc c’est le fait divers qui vous a séduite ?

Pour parler de la nature humaine, je trouve que le fait divers est un support idéal. Les faits divers sont par définition des histoires réelles qui ont la particularité d’être souvent extrêmes, hors du contrôle, voire irrationnelles. Or l’irrationnel du comportement d’autrui nous fait prendre conscience à chaque instant de notre vulnérabilité : qu’est-ce qui dérape chez l’autre qui chez moi ne dérape pas, ou pas encore ? Le fait divers nous rappelle notre propre folie, donc notre humanité. On essaye de nous faire croire que la normalité existe. On nous pousse à nier nos parts d’ombre, nos dysfonctionnements. Et le fait divers nous fascine parce qu’il dit une certaine vérité sur l’humain, aussi inimaginable soit-elle parfois.

 

[Hélène Fillières, actrice  dans la série Mafiosa]


En quoi cette histoire-là vous a-t-elle fascinée ?

Alors que le meurtre passionnel est vieux comme le monde, l’histoire de ces deux amants, avec sa problématique du dominant/dominé, fascine parce qu’elle bouscule la moralité sage et docile et embarrasse les frustrés. Parce qu’elle nous emmène au-delà de nos limites, nous aide à comprendre les chemins obscurs de nos désirs, nous entraîne dans nos zones d’ombres, et puis, pose une question fondamentale : qu’est-ce que l’amour ? Comment aime-t-on ? Pourquoi aime-t-on ? Quels fantasmes intimes et inaccessibles déclenchent la jouissance de l’autre ? Pour moi, la vraie question que pose cette histoire, c’est le poids des préjugés et de l’opinion publique sur ces pratiques amoureuses jugées “inclassables”. Elles dérangent avant tout parce qu’elles n’appartiennent qu’à ceux qui les vivent et j’ai voulu rendre hommage à leurs deux protagonistes. J’ai voulu saluer leur irrévérence.

Que s’est-il donc passé pour qu’on en arrive à cette image dramatique : un homme retrouvé mort en combinaison latex, tué par sa maîtresse ?

 

 

Vous avez le sentiment que le film apporte une réponse à cette question ?

Je ne pense pas que le cinéma, ni la fiction en général, doivent apporter des réponses. Je pense que le cinéma doit poser des questions, dérouter voire déranger, et laisser le spectateur libre de choisir son point de vue. Si je m’intéresse aux failles humaines, ce n’est pas pour les « normaliser » en leur donnant une explication rationnelle. C’est pourquoi le film ne prend pas parti. Je n’ai pas cherché à expliquer, pas plus qu’à juger ou justifier. Je n’ai pas enquêté, j’ai imaginé. J’ai essayé de suivre le cheminement des personnages, me nourrissant du travail de Régis Jauffret et j’ai choisi le point de vue du spectateur, de le faire témoin de cette aventure, lui proposer d’observer, sans parti pris, le fonctionnement de ces êtres singuliers.

J’ai le sentiment d’avoir fait une proposition. Juste une proposition. Jauffret a fait la sienne, moi la mienne.

 

Le fait divers raconte deux êtres fragiles engagés dans un jeu sexuel au dénouement mortel.  La « vraie » histoire est évidemment plus complexe. Les personnages du film, je les ai inventés à partir des figures imaginées par Régis Jauffret. Il n’y a donc rien ni personne à reconnaître. Sinon soi-même.

 

 

De la réalité, vous avez surtout gardé l’image finale ?

C’est la seule certitude de cette tragédie. Tout le reste n’est que conjectures et interprétations. Il n’y a pas de réalité, j’ai proposé ma fiction.

 

 

La suite mardi prochain. Hélène Fillières y parlera du mystère des hommes et de la fascination qu’il exerce sur elle.

Passionnant.

 

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