Une Histoire d’Amour
Hélène Fillières se confie (2/4)
Le mystère des hommes…

L’amour n’a pas de limites, pas de frontières, l’amour se vit comme chacun l’entend. Amour et plaisir, complémentaires, indissociables, personnels. C’est en tous cas le postulat d’Hélène Fillières, la réalisatrice d’une Histoire d’Amour.  L’amour c’est aussi un enjeu de puissance,  mais l’art reste ici une fiction. Une extrapolation. Une supposition.

Mais s’il y a une chose qui fascine la réalisatrice, c’est l’homme, ce mystérieux individu, et sa… jouissance. Tout un programme.

 

 

Pourquoi  Une Histoire d’Amour ? Ce titre sonne un peu comme une provocation, non ?

Non, pour moi il sonne comme une évidence. Parce que les trois mots de ce titre sont importants.  Toutes les histoires d’amour sont singulières,  « des planètes privées, qui obéissent à des lois inconnues du reste de l’univers, inconnues même de ceux qui les habitaient » écrit Jauffret dans Sévère. Il existe des milliers de façons d’aimer comme des milliers de façons de faire l’amour. Personne ne détient la vérité sur l’amour. J’ai voulu faire partager cette histoire en m’affranchissant du jugement qu’on a pu porter sur le fait divers. Ce n’est ni un plaidoyer, ni une apologie, ni une dénonciation, c’est juste ma vision de la relation entre cet homme et cette femme.  Et pour moi, il s’agit d’une histoire d’amour. Et si ce titre crée un débat, pose question, tant mieux.

 

 

Le film prend des distances avec le livre : Sévère est un récit à la première personne, son histoire à elle. Pourquoi y avoir renoncé dans l’adaptation ?

Sans doute parce que ce qui m’intéressait d’abord, c’est lui, c’est l’homme. Le film est un hommage à la figure masculine, en particulier à travers cette incarnation déviante qu’en offre Le Banquier.  C’est le regard d’une femme sur la jouissance masculine, cette formidable énigme. Ce qui m’a fascinée dans cette histoire, c’est le mystère de cet homme, et par là même le mystère des hommes en général. En confrontant cette jeune femme à trois figures masculines complètement différentes, c’était un moyen pour moi de rendre compte de l’énigme que représentent les hommes. Le Banquier c’est l’homme qu’elle veut, Le Mari c’est celui qu’elle a et Le Voisin dans l’avion c’est celui qu’elle pourrait avoir mais dont elle ne veut pas. Chacun à leur façon ont quelque chose de mystérieux qui m’interpelle.

 

[Hélène Fillières, actrice  dans la série Mafiosa]

 

C’est quoi le mystère des hommes ?

C’est avant tout, pour moi, le mystère de leur jouissance. On parle toujours de la jouissance féminine, mais moi ce qui m’intéresse, c’est la jouissance masculine. La part secrète des hommes. Il y a pour moi quelque chose d’absolument insaisissable chez l’homme, tel un secret impénétrable : qu’est-ce qui le fait jouir ? Et pour illustrer cette question assez obsédante, j’ai trouvé dans mes personnages masculins une matière très inspirante : chez Le Banquier, une jouissance morbide déconcertante, chez Le Mari, une jouissance silencieuse, voire passive qui n’en est pas moins inquiétante et déroutante. Et chez Le Voisin dans l’avion, une jouissance toute en retenue qui, elle

aussi, pose question.

 

Est-ce pour cela que Benoît Poelvoorde apparaît souvent nu ?

C’est lui que je voulais mettre à nu, au sens propre comme au sens figuré. Le Banquier fonctionne pour moi comme une sorte de métaphore du mystère masculin. La déviance de sa jouissance me fascine.  C’est un  Prince Noir, magnétique, insondable et mystérieux. Un solitaire, un mélancolique, un homme blessé qu’on a envie de prendre dans ses bras. Il porte en lui une grande blessure affective. Mais il est aussi cruel, violent, incontrôlable. Il fait mal car il aime souffrir et ne sait jouir qu’ainsi. Je voulais qu’il soit difficile de lui résister. Si on veut l’aimer, il faut tout supporter. Son plaisir, il l’organise comme il l’entend et si on veut lui plaire, il faut suivre ses règles. Et sa règle c’est de jouir dans la douleur. Aussi inimaginable que cela puisse paraître, il jouit ainsi et personne ne pourra rien y changer.

C’est un homme qu’on a envie d’aimer, précisément parce qu’il ne s’aime pas. Il attire parce qu’il est insaisissable. Or, rien n’est plus douloureux et épuisant que de donner de l’amour à quelqu’un qui ne s’aime pas.

 

 

La jeune femme est mariée, or vous avez opté pour qu’il y ait une grande différence d’âge entre Le Mari et La Jeune Femme. Pourquoi ?

 

Parce que Le Mari devait aussi incarner une figure de père, un encombrement pour elle comme pour Le Banquier. Il refuse de jouer ce rôle auprès de La Jeune Femme « je ne suis pas ton père, ne soit pas ridicule », mais il l’incarne, malgré lui, auprès du Banquier. C’est un obstacle (bien qu’inoffensif ) qu’il faut contourner ou anéantir : mépriser, haïr le père, à défaut de le tuer…

Car Le Banquier est un fils avant tout. En voulant parler d’un homme, je ne pouvais pas faire l’économie du fils que cet homme avait été. Je voulais qu’on devine en filigrane l’histoire affective de cet homme. D’où les figures paternelles qu’incarnent à leur façon aussi Le Ministre (la toute puissance politique) et Le Psychanalyste (la toute puissance intellectuelle) comme autant de figures dominantes qui l’écrasent. Je voulais souligner le statut affectif très complexe du Banquier. La blessure originelle sans la nommer ni la montrer.

 

Entre les deux protagonistes masculins, il semble y avoir une sorte d’empathie.

Pour moi, ils incarnent deux façons d’être un homme. Il ne m’appartient pas de dire laquelle est la plus estimable, mais il m’a semblé important de montrer, alors que tout les sépare et les oppose, qu’ils pouvaient se comprendre et peut-être même se respecter.

 

 

Pensez-vous que cela ait pu être le cas ?

Je l’ignore. La réalité du fait divers ne m’intéresse pas. Mes personnages ont leur dimension propre et leurs rapports ne sont que ceux que j’ai imaginés.

 

 

La première partie de cette interview est disponible ici

La suite le 24 janvier. Hélène Fillières y parlera de ses acteurs, de l’évidence de ses choix.  Du magnétisme de Benoit Poelvoorde. De la beauté de Laetita Casta aussi.

 

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