« Tueurs », polar 100% belge, 100% haletant

Crédit Photo: Jo Voets -Versus Production

Petite dans la grande histoire, Tueurs plonge son héros, Frank Valken, au coeur d’une machination sur fond d’histoire contemporaine belge menée tambour battant.

Polar haletant, Tueurs est plus qu’une course poursuite, c’est tout à la fois une plongée au coeur du grand banditisme, de l’univers carcéral, d’une cavale échevelée, et d’une quête de vérité diaboliquement entravée. Son héros, Frank Valken, un braqueur de haut vol, vient de réaliser un dernier casse magistral sans accroc. Du moins c’est ce qu’il croit… Dans les décombres du casse on retrouve plus d’un cadavre, et notamment celui d’une juge d’instruction. Suspects idéals, Valken et sa bande se retrouvent mêlés à une affaire criminelle vieille de trente ans. Il semblerait que les tueurs fous soient de retour.

Fascinante matière scénaristique

Tueurs porte dans son ADN un pan encore inexploité de l’histoire contemporaine belge. Le film intègre au coeur de son dispositif l’une des plus célèbres affaires criminelles de Belgique, celle des Tueurs du Brabant. Alors qu’à ce jour, le doute subsiste toujours sur l’identité des tueurs, d’aucun y voit, plus qu’une simple affaire criminelle, une affaire d’état. C’est de cette zone d’ombre, fascinante matière scénaristique, que Tueurs tire une partie de sa substance. Car c’est en plongeant son gangster à l’ancienne, voleur mais pas tueur, au coeur de cet imbroglio politico-criminel que le récit vient souligner les lignes de force, et de faiblesse de son personnage. Frank Valken, comme son créateur d’ailleurs François Troukens, représente un grand banditisme rendu archaïque par les quelques dernières décennies, régi par un code de l’honneur tacite qui veut que l’on ne tue pas d’innocents, que l’on épargne les témoins, que l’on se conduise avec intégrité, du moins autant que la vocation de braqueur le permette. Frank Valken vole mais ne tue pas. Du moins jusqu’à cette ultime cavale, où il se retrouve pris au piège d’un engrenage qui le dépasse, et va devoir lui aussi devenir un tueur pour prouver sa (relative) innocence. Si Valken lutte coûte que coûte pour maintenir et sauver son intégrité, c’est au prix de la mort, souvent.

En zone trouble

Car ce n’est pas un hasard s’il y a S aux Tueurs du titre. Le pluriel laisse planer le doute sur la probité des uns et des autres. Car si ce n’est pas Valken le coupable, qui est-ce? Très vite, la limite entre bien et mal devient difficile à tracer, on s’interroge sur la probité des uns et des autres. Pour un flic exemplaire, combien de ripoux? Pour une juge opiniâtre, combien de procureurs véreux? Au-delà ces ramifications qui questionnent aussi bien les sphères policière que judiciaire, politique ou même médiatique, le film impressionne aussi par son rythme, parfaitement soutenu, et son réalisme, un équilibre pourtant difficile à trouver dans ce type de production. Il va sans dire que l’expérience de Troukens, ex-gangster, ex-braqueur en cavale, ex-détenu, est sur le papier un gage de crédibilité. Encore fallait-il valider l’essai, ce qui est chose faite. Les détails logistiques du casse sont dangereusement fascinants, les scènes de prison, et surtout le décalage entre la quarantaine bien avancée de Valken, et la jeunesse qui a investi la cour de prison, résonnent fortement, et la solitude inexpugnable du braqueur en cavale laisse un goût amer de vérité. 

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Un casting inédit 

Le film est porté par un Olivier Gourmet plus affuté que jamais, prêt à tout pour sauver sa peau, et son honneur. Autour de lui, un casting 100% belge, fait assez rare pour un film de cette envergure pour être souligné, à commencer Bouli Lanners, dans un emploi sombre qu’on lui connaît peu. Le face-à-face entre deux de nos plus grands comédiens belges, promesse d’une rencontre entre deux acteurs au sommet ne déçoit pas. On retrouve également l’opiniâtre Lubna Azabal (que l’on voit finalement peut en Belgique, la dernière fois c’était dans Betelgeuse de Bruno Tracq), flic intègre,  mais aussi Natacha Régnier (bientôt à l’affiche du Petit Spirou et de Une part d’ombre) en juge persévérante, le fougueux Kevin Janssens (découvert dans D’Ardennen) ou encore le ténébreux Johan Leysen (Souvenir, La Volante, Jeune et Jolie). A la réalisation, on retrouve donc François Troukens, qui a co-écrit le film avec Giordano Gederlini, et Jean-François Hensgens, chef opérateur belge bien connu pour sa longue collaboration avec Joachim Lafosse notamment (L’Economie du Couple, Les Chevaliers Blancs, A perdre la raison), mais aussi des polars français à grand spectacle comme Go Fast, Banlieue 13 ou Antigang.

Et… action!

Longtemps le cinéma belge a été cantonné (du moins dans l’esprit du public) à deux ou trois modèles, parfois écrasants, de la révolution Dardenne et leur cinéma social au réalisme magique de Jaco Van Dormael. Mais depuis quelques années, le cinéma belge s’assume haut et fort divers et varié. Il  chérit son éclectisme, et petit à petit s’attaque, voire s’attache aux genres. La liste des longs métrages sortis depuis un an témoigne de cette diversité. Tueurs, pourtant, vient ambitieusement investir un  créneau plutôt délaissé, celui du film d’action grand public. Un film d’action mené à 100 à l’heure, mais où l’intrigue propose un recul bienvenu sur les enjeux qui parcourent le récit, et où le cast étoffe les personnages, leur offrant densité et crédibilité. Un film d’action crédible, tourné en Belgique? On signe tout de suite.

Tueurs, premier long métrage des deux réalisateurs, était présenté en première mondiale à Venise dans la section Cinema nel Giardino. Le film sortira le 6 décembre prochain en Belgique, on y reviendra bien sûr d’ici là.

 

Crédit photos: Jo Voets

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