Tokyo Fiancée : voyage intime dans un pays lointain

Quinze ans après l’avoir quitté, elle revient au Japon. Elle est jeune, elle se sent libre, elle veut devenir japonaise. D’ailleurs, elle est née là, mais de parents belges; et puis ils sont rentrés au pays pour vaquer à de nouvelles occupations.

Or, elle se sent vraiment nipponne, même si son visage ne l’indique pas et si sa maîtrise de la langue et des coutumes locales n’est pas (encore) totale.

Pour défricher son chemin au pays du soleil levant, elle se propose de donner des cours de français. Son premier élève, Riri, va vite devenir son compagnon de route.

 

Elle, c’est Amélie. Et Amélie c’est… Amélie Nothomb. À l’écran, l’écrivaine belge est campée par une Pauline Étienne qui succède ainsi de façon informelle à Sylvie Testud qui incarnait l’auteur dans l’adaptation cinématographique de Stupeur et Tremblements.

Comme on le sait à présent Tokyo Fiancée est, lui, adapté de Ni d’Ève ni d’Adam, un récit essentiellement autobiographique qui, chronologiquement, commence avant Stupeur et Tremblements : à un moment de l’histoire, Amélie se met à travailler pour une grosse compagnie nipponne ce qui est précisément le sujet de l’autre roman.

 

 

Comme son titre le laisse penser, Tokyo Fiancée est essentiellement une histoire d’amour: celle qui lie deux jeunes gens, mais aussi celle qui unit chacun de ces personnages principaux à une culture lointaine, idéalisée. Car si Amélie est folle du Japon soudain incarné par Riri, Riri est fasciné par la France qu’il fantasme à travers Amélie. Une projection par défaut puisque comme tout le monde le sait et comme le fait remarquer une autre expat, vraiment française elle, (Alice de Lancquesaing, flamboyante en piqueronne castratrice),  Amélie est belge… et ça s’entend.

 

Tokyo Fiancée est aussi plus globalement une déclaration d’amour au Japon qu’on découvre ici sur un mode semi-touristique, comme dans un voyage sans stress avec le Routard en poche et un guide japonais de chair et d’os pour nous faire pénétrer plus loin dans les entrailles du pays.

 

 

Comme tous les films du genre (Lost in translation?), Tokyo Fiancée épouse un rythme nonchalant et contemplatif qui contraste fortement avec l’exaltation qui semble régner dans les grandes artères aux néons fluo de la capitale. Stephan Liberski prend le temps de s’imprégner des atmosphères et les confrontations entre occident et orient n’en prennent subitement que plus de saveur (on pense ici à la scène formidable du dîner où Amélie se retrouve face aux membres d’un club étrange).

 

 

Outre l’interprétation éthérée d’Amélie et de son très sexy boy friend, une mise en scène épurée et cohérente, trois points très forts se dégagent de la vision de ce film.

 

D’abord, il y a la photographie somptueuse d’Hicham Allaouié qui prouve une nouvelle fois (s’il en était besoin) combien les deux Magritte qu’il a récemment reçus pour L’Hiver dernier et Les Chevaux de Dieu sont les légitimes témoins de son incroyable talent. Son travail met admirablement en valeur celui de la production artistique (décors, costumes, repérages) qui avec des moyens plutôt limités pour ce type de film (une partie du tournage japonais a été réalisée à l’arrache, sans autorisation particulière) est épatante. C’est le deuxième point fort annoncé plus haut.

Enfin, et tout le monde en parlait à la sortie de la vision intime à laquelle nous avons eu la chance de participer il y a quelques mois maintenant, la musique de Casimir Liberski, variée, omniprésente, hypnotisante, élégante, incisive capte l’attention et séduit le spectateur en évitant tous les clichés. On serait d’ailleurs bien étonné que cette bande originale magistrale ne collecte pas à son tour quelques prix, d’autant qu’elle est rehaussée par une cover qui, elle non plus n’est pas passée inaperçue: une version moderne, folky et intimiste du hit d’Alphaville, Big in Japan par l’immense (mais méconnue) chanteuse norvégienne Ane Brun.

 

 

Loin des productions spectaculaires qui envahissent les écrans, mélancolique et doux, Tokyo Fiancée  captive par son rythme et son ambiance, déroute sans lasser, charme à son rythme sans crisper.
Stefan Liberski y réussit le pari de donner envie de découvrir par nous-mêmes un pays qui reste évidemment un mystère pour la plupart d’entre nous. Avec quand même une petite crainte pour le touriste potentiel : que le Japon soit, dans sa moderne réalité, moins poétique et fascinant qu’à travers le prisme artistique ici proposé.

 

 

[Première mondiale hier à Toronto, Première belge le 3 octobre au FIFF namurois, sortie dans les salles belges le 8 octobre]

La bande annonce est ICI

Les interviews déjà publiées avec Stefan Liberski et Amélie Nothomb sont ICI

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