« The Barefoot Emperor », tragicomédie d’une Europe à bout de souffle

Avec The Barefoot Emperor, Peter Brosens et Jessica Woodworth livrent une suite délicieusement burlesque, radicalement politique, et dramatiquement visionnaire à King of the Belgians, imaginant comment la chute d’un minuscule royaume sème le désordre dans une Europe hantée par ses délires nationalistes et populistes.

Alors que Nicolas II, ex-Roi des Belges, cherche à rejoindre son ex-Royaume en pleine crise de sécession entouré de sa garde rapprochée (n’hésitez surtout pas à revoir le délirant King of the Belgians), il passe par Sarajevo le 28 juin, en plein coeur des manifestations de commémoration de l’assassinat de Franz Ferdinand. Des commémorations plus vraies que nature, où l’ex-Roi se retrouve victime d’une balle (in)vraisemblablement perdue. Plongé dans le coma, il est évacué dans un sanatorium un peu particulier, sur l’île croate de Brijuni…

Ainsi débute The Barefoot Emperor, la suite de King of the Belgians, de Peter Brosens et Jessica Woodworth, convoquant la grande Histoire au chevet de la petite histoire du Roi des Belges et de ses partisans. Toujours accompagné de son escadron de « fidèles serviteurs » (son attachée de presse – Lucie Debay -, son chef du protocole – Bruno Georis -, et son valet – Titus de Voogt), il rencontre d’étranges personnages, Lady Liz (Geraldine Chaplin), qui n’a peut-être pas tout à fait toute sa tête, et le Dr Kroll (Udo Kier), chef de cet inquiétant sanatorium, qui semble quant à lui avoir de drôles de desseins pour le Roi déchu. Et si ce dernier devenait le premier Empereur de la nouvelle Europe?

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Udo Kier, parfait Dr Kroll

 

L’île de Brijuni, chasse gardée de Tito, réserve naturelle au coeur des bouleversements politiques de la deuxième partie du XXe siècle, est indissociable du projet porté par les cinéastes, elle en a même été le moteur, l’étincelle à l’origine du geste créatif. Plus que le cadre du récit, elle en est son écrin. Elle agit comme une chambre d’écho grotesque aux mouvements à l’oeuvre en Europe et dans le monde, à la radicalisation populiste qui s’abat sur le Vieux Continent. Forcément, le sujet est abordé sous le mode de la satire, mais il n’en est pas moins terriblement actuel. Ce n’est plus de l’anticipation, c’est une interprétation décalée mais inquiétante de l’actualité.

On imagine bien comment Brijuni, ce lieu chargé d’histoires et d’Histoire a pu faire jaillir chez Brosens & Woodworth une nouvelle histoire justement, celle d’un ancien roi que l’on intronise à son corps presque défendant Empereur d’une Europe qui se veut novatrice, mais qui rappelle les heures sombres d’un passé que l’on a la sensation de voir se réécrire sous nos yeux. Nicolas II est le héraut muet (et en résistance) d’une Nova Europa qui n’a de nouvelle que le nom, toute obsédée qu’elle est par une ré-interprétation crispée et identitaire, dramatiquement grotesque de ses racines chrétiennes.

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On voudrait tout partager, du destin de la Belgique, aux improbables imbroglios géopolitiques quant il s’agit d’organiser le défilé des nations, de la crise diplomatique liée à la production du parmesan aux surnoms étonnants des protagonistes, mais mieux vaut ne pas trop en dire.

The Barefoot Emperor est une satire, une dystopie dans un futur qui semble tellement présent, une farce politique potentiellement glaçante, tant les thématiques abordées et les dérives dénoncées semblent réalistes.

Cet univers burlesque est paradoxalement nourri par une approche très premier degré du jeu par les comédiens. Les corps sont au coeur du récit, objets d’un véritable culte pour le diabolique Dr Kroll qui régit l’île et le physique de ses pensionnaires, théâtres du bouleversement muet à l’oeuvre dans les esprits du petit groupe de Belges égarés.

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Lucie Debay, Titus de Voogdt et Bruno Georis

 

Les comédien·nes s’épanouissent scène après scène dans cette comédie de l’âme et du corps, le temps d’un regard ou d’un haussement d’épaule. Peter Van den Begin bien sûr, plus majestueux que jamais dans le rôle d’un homme qui prend le pouvoir en le perdant, mais aussi Geraldine Chaplin, dont la grâce évoque autant la ballerine que le clown blanc, et partage avec ses partenaires de jeu son énergique fantaisie.

On ressort de la vision du film marqué par l’incroyable cinématographie des lieux, la folle élégance des cadres et des chorégraphies, mais aussi nauséeux devant cette impression de déjà-vu, cette histoire qui bégaye à l’entrée du XXIe siècle et s’obstine à re-convoquer ses pires fantômes. On a croisé en vrac le souvenir de Tito mais aussi celui de Gandhi, des aryens menaçants mais aussi des Sikhs réfugiés climatiques, un roi déchu, mais un Européen en charge.

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Geraldine Chaplin

 

Heureusement peut-être, le surréalisme distillé par les cinéastes, le vent de folie et de liberté qui souffle sur l’épopée du Roi des Belges, et sa façon de prendre en main son destin lié à celui de l’Europe rassure sur la capacité du cinéma à transcender le présent pour espérer (encore un peu) un meilleur avenir.

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