Table ronde « Elles font des films »: forcer les choses pour les faire bouger

Vendredi dernier, le collectif « Elles font des films », plateforme d’échange et réseau d’entraide des professionnelles de l’audiovisuel en Belgique organisait sa première table ronde.

5 professionnelles étaient conviées à partager leur point de vue et témoigner de leur pratique au quotidien. Le débat, mené par la journaliste Florence Hainaut, réunissait la réalisatrice Virginie Gourmel (dont le film Cavale  était présenté dimanche soir au BRIFF), l’ingénieur du son Marie Paulus, l’actrice et réalisatrice Salomé Richard, la productrice Géraldine Sprimont et la monteuse image Sophie Vercruysse.

Si la plupart des intervenantes ont pu commencer la rencontre en partageant des impressions difficiles à verbaliser et à étayer, le partage d’expérience permet rapidement de faire émerger le constat que si la présence des femmes dans le secteur audiovisuel gagne en importance et en nombre, elles doivent encore souvent affirmer un peu plus fort que les hommes leur légitimité, notamment face à leur relative invisibilité, que ce soit dans les imaginaires collectifs voire dans les corpus universitaires.

La force de ce genre de rencontre est de souligner comment ce qui peut apparaitre comme un ressenti parfois incertain à l’échelle individuel peut soudain s’apparenter à un motif une fois confronté aux retours d’expérience similaire des autres.

Extraits choisis de cette discussion à bâtons rompus. 

Florence Hainaut

Alice Godart a récemment reçu le prix de l’université des Femmes pour son mémoire sur les inégalités entre hommes et femmes dans le cinéma belge et français, qui relève notamment de fortes inégalités salariales. Est-ce un constat que vous partagez?

Marie Paulus

Je n’ai pas l’impression d’être moins bien payée. Je parle pas mal avec mes collègues masculins, et après, c’est une question de négociations. Ma situation me semble semblable à la leur.

Mais dans le métier, il y a effectivement peu d’ingénieures du son, mais déjà à l’école, sur 11, nous étions 3 filles, et je pense être la seule de la classe a avoir continué dans le cinéma. C’est considéré traditionnellement comme un métier masculin, mais moi je ne me suis pas posé la question. C’est ce que je voulais faire.

Sophie Vercruysse

Il y pas mal de femmes dans le domaine du montage. Mais c’est vrai que peut-être que sur les gros films, on trouve néanmoins plus d’hommes. Je n’ai perosnnellement pas l’impression de souffrir à cause de mon genre. Mais c’est vrai que j’ai travaillé à 80% avec des réalisateurs. Les réalisatrices, je peux les compter sur les doigts d’une main. Sur le salaire, là aussi, on parle beaucoup entre nous, du coup, on est tous sur le même niveau me semble-t-il. C’est vrai qu’en France, les monteurs sont globalement mieux payés que les monteuses. Mais moi, j’ai un salaire équivalent.

Salomé Richard

Entre réalisateurs, on ne parle pas de salaire, on a déjà de la chance si on est payés sur le genre de projets que je fais! Entre acteurs, c’est une question tabou. On est payés à la journée.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a beaucoup plus de rôles pour les hommes que pour les femmes. Tous les jeunes hommes qui ont commencé en même temps que moi n’arrêtent pas de bosser, c’est dingue! Est-ce que c’est parce qu’il faudrait plus de réalisatrices? Je ne sais pas!

Géraldine Sprimont

Niveau production, je ne pense pas pouvoir faire de comparaison entre salaires de productrice et de producteur, car tout dépend du succès de la boîte. Mais en tant que productrice, ma politique, c’est l’égalité salariale. 

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Photo: BRIFF 2019

Salomé Richard

Il y a cependant un souci en terme de contenu, c’est affolant, le temps de parole des femmes est inférieur, il y a moins de personnages féminins, globalement, on leur fait jouer des trucs improbables. Ce sont les hommes qui font les films, c’est le reflet du monde dans lequel ils évoluent. Quand il y a 30% de femmes dans une pièce, les hommes pensent qu’on est en parité. Quand c’est 50/50, ils pensent qu’il y a plus de femmes.

Sophie Vercruysse

Moi de prime abord, je dirais qu’il n’y a pas trop de sexisme. Mais il y a de petites phrases. Quand j’étais jeune monteuse, on m’avait dit qu’il fallait être la mère, la maîtresse, l’infirmière, et la psy du réalisateur. Ma manière de lutter, c’est de ne plus répondre à cette injonction. Je peux être bienveillante, à l’écoute. Mais je ne suis plus maternante. Et j’ai mon rôle à jouer en tant que monteuse sur le sexisme qui pourrait apparaître à l’écran. Je peux intervenir à mon niveau. Je vais clairement agir comme une sorte d’avocate des personnages féminins, pour contrer les assignations.

Virginie Gourmel

J’ai l’impression que ce sont plus des petites choses, des petites humiliations. Comme c’est petit, on minimise, on mort sur sa chique. Quand on est stagiaire, on pose trop de questions. On se fait traiter de séductrice. Comme si on devait se transformer, oublier son sexe sur les plateaux de cinéma.

Mais la libéralisation de la parole a été un déclic pour moi. Quand on se pose des questions toutes seules dans son coin, on se dit qu’on est parano. Ggrâce à ce collectif, on se confronte, on débat, on s’interroge.

Florence Hainaut

Les films réalisés par les femmes représentent un quart de la production française. On entend souvent que les femmes ne déposent pas assez de projets?

Virginie Gourmel

Ce n’est pas qu’on travaille moins, c’est au contraire qu’avant de déposer un film dans une commission, on veut être sures que ce soit parfait, du coup c’est plus long. Alors  que les hommes se disent, tant pis, je tente. On est trop bonnes élèves.

Salomé Richard

J’ai l’impression qu’il y a une forme d’autocensure, par besoin d’excellence, pour des raison d’éducation j’imagine. Il faut voir aussi qui juge les films. 

Rencontre-Elles-Font-Des-Films

Florence Hainaut

Avez-vous eu à un moment l’impression d’être jugées comme des femmes avant d’être jugées comme des professionnelles?

Virginie Gourmel

J’ai l’impression que c’est tout le temps le cas. Il faut tout le temps prouver sa légitimité.

Marie Paulus

Je me suis posée cette question. Parfois, je dois sur-argumenter des choix professionnels, J’ai eu le sentiment qu’on pouvait me remettre plus en question qu’un homme. Mais c’est un sentiment, difficile à prouver. C’est fatigant, de toujours devoir se justifier. Je me suis parfois dit: « Ça, on me l’aurait surement pas dit si j’étais un homme ». Peut-être qu’un homme donne plus confiance qu’une femme parce que c’est un métier historiquement masculin.

Sophie Vercruysse

Quand tout va bien, je dirais que non. Je ne vais jamais au boulot en tant que femme. Mais dès que ça merde, soudain, je suis à nouveau une femme! Dès que les choses bloquent, patinent, j’entends: « C’est une femme, elle s’est trop attachée à sa matière. » J’ai parfois eu l’impression que quand le montage bloquait, les producteurs pouvaient avoir tendance à me remplacer par un mec. « On va mettre un peu d’autorité là-dedans. » Les moments où on réalise que je suis une femme sont souvent ceux liés à l’autorité. J’ai l’impression qu’on ne s’attend pas à ce qu’une pas à ce qu’une femme soit dans une position d’autorité.

Virginie Gourmel

Dès que tu es autoritaire ou exigeante, tu passes pour une chieuse, une hystérique. Alors que c’est juste ton boulot, tu tiens à ton projet.

Géraldine Sprimont

C’est moi aussi dans les moments compliqués que j’ai cette impression. Mais je n’ai pas de preuves, en soi. Mais bon, si je le ressens, ça doit exister quelque part, au moins dans ma tête. De mon côté, ce sont surtout les négociations avec des prestataires de service qui sont compliquées. Je me dis que si j’avais été un homme, la négociation ne se serait pas passée de la même manière.

Florence Hainaut

Qu’est-ce que cela dit de notre monde, quand 4 films sur 20 seulement sont réalisés par des femmes au Festival de Cannes?

Salomé Richard

Que l’histoire est faite par les gagnants, ceux qui ont le pouvoir. La culture est faite par des hommes blancs hétérosexuels de plus de 50 ans. Alors qu’ils ne sont que 30% de la planète. Le cinéma fait par des femmes est un cinéma de niche, un cinéma de la marge. Comme tous les films faits par des minorités.

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Florence Hainaut

Géraldine, vous êtes attentive à la place des femmes dans vos productions?

Géraldine Sprimont

C’est presque inconsciemment, instinctivement qu’on engage des femmes. On fait attention à ce qu’il y en ait aux chefs de poste dans tous les films que l’on produits. La parité est importante. C’est important qu’il y ait un regard féminin aux postes cadres sur un film. Ce sont des regards qui apportent beaucoup, notamment au niveau de l’empathie, l’un des facteurs clés de la réussite d’un film.

Salomé Richard

Céline Sciamma parlait récemment en interview de female gaze. Le male gaze, c’est la façon dont on montre le corps des femmes à l’écran pour susciter le plaisir des hommes. Elle parlait de comment elle filmait elle le désir et les corps de ses protagonistes, en essayant de déconstruire le male gaze pour embrasser son point de vue à elle. 

En tant que petite fille, on regarde beaucoup de films où on peut s’identifier autant au prince qu’à la princesse. Alors que les petits garçons ne s’identifient jamais à la princesse. Les filles peuvent s’identifier au personnage quelque soit son genre, j’ai l’impression que les garçons ne font pas, ou ne le peuvent pas.

Marie Paulus

J’ai une hypothèse à  ce sujet: c’est parce que le personnage de la princesse est nul!

Florence Hainaut

Les quotas, une bonne porte d’entrée?

Géraldine Sprimont

Le problème, c’est qu’on n’a pas envie d’être choisie parce qu’on est un quota. Mais c’est surement un moyen d’ouvrir une brèche, pour qu’on puisse s’immiscer. Pour que les gens s’habituent dans le milieu à voir des femmes. Dans des sociétés comme la Suède, c’est hyper bien accepté, et c’est un soulagement de plus devoir s’inquiéter de ça. Au final, je pense qu’il faut forcer pour faire bouger les choses.

Sophie Vercruysse

Je suis assez d’accord avec Géraldine. Je pense que c’est un mauvais moment à passer, mais c’est transitoire jusqu’à ce que ça se banalise. Ce n’est peut-être pas agréable, mais ce qui serait bien, c’est qu’à la fin, on ne se pose plus la question.

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