« En fait, je crois que c’était vital pour moi de raconter cette histoire. »
Bruxelles, mercredi 2 août 2023, dans les locaux de l’institut Galilée à Schaerbeek. L’ambiance est légère à la pause-déjeuner. A quelques poignées d’heures de la fin du tournage, l’équipe de TKT, le troisième long métrage de Solange Cicurel plaisante et se détend avant de re-concentrer pour une scène dense et intense, au chevet de l’héroïne du film, plongée dans le coma.
Recouvrant le joyeux brouhaha, la cinéaste nous consacre quelques minutes pour revenir sur ce projet bien particulier qui l’emmène explorer de nouveaux territoires de fiction. TKT commence par la fin. Dès le début du film, on rencontre Emma, une jeune fille de 16 ans plongée dans le coma. Ses parents à son chevet tentent de comprendre ce qui a bien pu l’amener là. Emma elle-même « sort » de son corps, et revient sur les quelques semaines écoulées pour comprendre les raisons de ce coma. TKT en langage SMS, pour celleux à qui cela aurait échappé, ça veut « T’inquiète ». Pourtant, la situation est préoccupante.
« Dans une autre vie, j’ai été avocate, explique Solange Cicurel. Défendre des causes, ça m’habite depuis que je suis toute petite. J’ai fait beaucoup de droit pénal, du droit des étrangers, du droit des malades mentaux. J’aime défendre des causes. Je pense qu’il est crucial aujourd’hui de parler de la question du harcèlement, qui concerne un très grand nombre d’adolescents. C’est un fléau qui ravage nos écoles et notre jeunesse. J’ai été confrontée à ça de très près dans mon entourage, c’était une vraie nécessité pour moi d’aborder cette question, en ne minimisant rien, en racontant les choses comme elles se passent, pour décortiquer le phénomène. »
Pour porter ce discours, la réalisatrice a voulu adopter les codes narratifs et visuels des fictions que les jeunes suivent avec intérêt, comme Euphoria ou Sex Education. « Avec mon chef opérateur Son Doan, on a réfléchi à une image extrêmement saturée, qui s’approche des codes visuels de ces fictions. Nous avions beaucoup de références, ultra contemporaines, ou plus intemporelles, comme Breakfast Club, qui a une façon très pertinente d’aborder la dynamique de groupe, qui m’impressionne aussi dans son utilisation de la musique. »
La volonté est évidemment de toucher le premier public concerné, les jeunes. La cinéaste a d’ailleurs travaillé étroitement avec ses jeunes comédien·nes pour que les dialogues soient le plus naturels possibles, répétant avec elles et eux le texte, l’adaptant à leur langage. Elle a également interviewé beaucoup d’adolescent·es, pour connaître leurs expériences: « Ce n’a pas toujours été facile, c’est compliqué de parler de ça. Mais petit à petit, certains m’ont fait confiance et se sont confiés. Dans l’histoire d’Emma, tout est vrai – et rien n’est vrai, puisque j’ai mélangé plusieurs récits que l’on m’avait faits. »
Pour incarner Emma, qui est de tous les plans, et presque plus, puisqu’elle est à la fois la Emma des flashbacks, et la Emma qui observe avec le recul ce qui s’est passé, il fallait trouver la perle rare. Et comme le hasard fait souvent bien les choses, elle est était juste là, à portée de main. « A vrai dire, j’avais lancé le processus de casting, quand ma fille me parle d’un amie à elle, qui serait parfaite pour le rôle. Et elle avait raison! ». Emma, c’est donc Lanna De Palmaert, 18 ans, qui trouve là son premier rôle. La jeune femme est encore émerveillée d’avoir été choisie, consciente de la confiance qui lui a été offerte: « Faire du cinéma, c’était un rêve quand j’étais petite, mais ce n’est pas forcément très accessible comme milieu, du coup j’avais un peu abandonné l’idée. Et puis un jour la fille de Solange, qui a le même âge que moi, m’a suggéré de passer le casting pour le film de sa mère. J’ai été assez épatée d’être prise, genre « Wow, vous faites confiance à quelqu’un qui n’a jamais joué pour un premier rôle? » C’est quand même pas mal de pression, je suis dans toutes les scènes. Mais je me suis dit que si j’avais été choisie, c’est qu’on avait assez confiance en moi et en mon jeu. »
Alors que le tournage arrive à son terme, tout le monde loue les qualités de Lanna, une vraie révélation. « Elle est extraordinaire! » s’enthousiasme Solange Cicurel. Stéphane De Groodt, qui joue son père confirme: « Découvrir une jeune actrice qui n’a pas d’expérience, et qui se débrouille si bien, ça apporte beaucoup de fraîcheur dans la manière de jouer. On ne joue pas seul. C’est important les partenaires, leur profil nous conditionne. C’est un vrai plaisir de jouer avec Lanna. » Un plaisir aussi pour le comédien belge plutôt rare dans les films belges de jouer avec son autre partenaire, Emilie Dequenne: « C’est marrant, il y a un an au Festival de Cabourg, Canal Plus nous avait réunis Emilie et moi pour parler de cinéma belge, et on se disait que c’était dommage que nous n’ayons jamais tourné ensemble. De fait, la perspective de tourner avec cette actrice que j’aime beaucoup, que j’avais croisée au théâtre il y a longtemps, c’était très attractif. Quand on joue avec une bonne actrice, c’est comme au tennis, quand on renvoie bien la balle, c’est forcément plus agréable. »
Stéphane De Groodt retrouve aussi Solange Cicurel, après un rendez-vous manqué sur son premier long métrage, Faut pas lui dire, dans lequel il n’avait finalement pas pu jouer. « Solange a une personnalité naturellement attachante. Je suis acteur, donc si un rôle me plait, comédie ou drame, s’il y a quelque chose à jouer et défendre, j’y vais. Mais il faut que ce soit avec des gens avec lesquels j’ai envie de passer du temps. Ca compte beaucoup pour moi. Je peux refuser un tournage ou une pièce si j’ai l’impression que ça ne va pas bien se passer. Le contexte de travail a autant d’importance que le rôle. » D’autant que le comédien aime se laisser porter par le personnage: « Je ne travaille pas mes rôles en amont. Sur le moment, je laisse l’émotion venir. Je fais partie de ces acteurs qui travaillent à l’instinct. Bien sûr j’apprends le texte, je m’imprègne de l’histoire, mais je ne travaille pas le personnage, c’est lui qui s’occupe de moi. »
Le duo inédit formé par Stéphane De Groodt et Emilie Dequenne vient donc épauler une troupe de jeunes comédien·nes emmenée par Lanna De Palmaert, et composée de Lily Dupont, Elisa Lubicz, Lisa Du Pré, N’Landu Lubansu, Sonia Bekam et Kassim Meesters. La complicité était essentielle pour la réussite du projet. « Je les ai fait se rencontrer pour créer la cohésion du groupe, précise la réalisatrice, il fallait que ça marche entre eux. Ca a tellement bien fonctionné, qu’ils sont devenus potes, il font des soirées ensemble, même avant le tournage! » Toustes sont sensibles à la thématique abordée par le film. Lanna se fait l’écho de leur ressenti: « Le sujet du harcèlement est rarement abordé frontalement je trouve, alors que c’est quelque chose de tellement présent dans nos vies. Je trouve qu’il n’y a pas assez de prévention. Un numéro à appeler, ça ne peut pas suffire. Ca peut arriver partout, et à tout le monde. Le cas d’Emma est extrême, mais c’est important aussi de montrer ça, aux jeunes, comme aux adultes. Pour que les parents comprennent mieux leurs enfants, et que les jeunes comprennent que le harcèlement c’est aussi l’addition de toutes ces petites choses, ces petits mots, ces messages. Chacun met sa pierre, même petite, à l’édifice. »
« Mon objectif, c’est de faire un film grand public sur un sujet difficile, qui concerne vraiment tout le monde, conclut Solange Cicurel. J’aimerais contribuer à changer les mentalités, à mon échelle. Que les jeunes qui ont vu le film s’interrogent avant d’envoyer un message qui peut être blessant ou insultant. Si je sauve ne serait-ce qu’une personne, j’aurais gagné quelque chose. »
TKT est produit par Diana Elbaum et David Ragonig pour la société belge Beluga Tree, avec le soutien du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la RTBF, de screen.brussels, Be TV, Proximus, et le Tax Shelter via Casa Kafka. Les ventes internationales seront assurées par Other Angle Productions. On espère voir le film sur les écrans à la rentrée scolaire 2024.