En octobre dernier, Cinevox était invité à visiter le tournage de The Barefoot Emperor de Peter Brosens & Jessica Woodworth, la « suite » de King of the Belgians, odyssée burlesque contant l’épiphanie de Nicolas II, Roi des Belges, alors même que son pays est sur le point d’éclater.
On retrouve la joyeuse troupe quelques jours plus tard en termes de récit (quelques mois en termes de tournage), aux portes d’une Nova Europa pour le moins inquiétante, où les extrêmes droites en tous genres s’emparent peu à peu du pouvoir, jusqu’à envisager un nouvel empire…
Voici notre carnet de bord en 3 parties de ces quelques jours en Croatie, au bord de la Mer Adriatique.
BRIJUNI, LUNDI 8 OCTOBRE 2018
Hail to the King! Vive le roi!
Cette fois ça y’est, le Roi est là. Après 3 jours passés sur l’île, on s’apprête enfin à rencontrer celui autour duquel tourne le petit monde de King of the Belgians et The Barefoot Emperor, Nicolas II, ex-Roi des Belges, Empereur en devenir de la Nova Europa, incarné avec majesté à l’écran par Peter Van Den Begin.
Il arrive à vélo (évidemment, il y a des vélos partout sur l’île), et s’il n’était son immanquable silhouette, c’est à peine si on le reconnaîtrait sous sa casquette. Il faut dire que la veille au soir, sur le plateau, on avait laissé un Empereur en costume d’apparat.
Le comédien a retrouvé avec bonheur les habits (pas si) neufs de l’empereur, et les réalisateurs de King of the Belgians. C’est la 3e fois qu’il travaille avec eux, et c’est « à chaque fois plein de surprises. En tant qu’acteur, il faut être très flexible pour travailler avec eux, car le script change beaucoup durant le tournage, c’est un constant work in progress. Mais c’est un vrai cadeau ».
C’est au détour d’un déjeuner, au Festival de Venise alors que l’équipe présentait King of the Belgians en avant-première mondiale, que Peter Brosens et Jessica Woodworth lui confient leur envie de donner une suite aux aventures de Nicolas II. « Je dois avouer que j’étais un peu surpris quand ils m’ont annoncé qu’ils voulaient faire une suite. Une suite, vraiment? Mais quand ils ont commencé à m’expliquer le projet, je me suis rendu compte qu’ils avaient déjà le film en tête! Et puis il y avait cette couche supplémentaire après l’éclatement de la Belgique. Il y a comme un effet domino, toute l’Europe est en crise, et les mouvements d’extrême-droite essaient d’exploiter ce bouleversement. C’est une vraie satire politique, un film très actuel. »
Mais où en est Nicolas II, son personnage? « Après son accident, Nicolas reste dans le coma pendant 3 jours. Quand il se réveille, il est un peu perdu, il ne sait plus trop où il en est, et petit à petit, il va comprendre ce qui se passe autour de lui, et en Europe, jusqu’à ce qu’il reçoive un coup de téléphone de sa femme, la Reine, qui l’informe qu’il va devenir Empereur! » Le comédien a l’habitude de travailler avec les cinéastes, et se fond parfaitement dans cet univers burlesque, qui nécessite paradoxalement une approche très premier degré. « C’est une situation absurde, mais Jessica et Peter insistent pour que nous la jouions de la façon la plus réaliste possible. C’est ce qui crée le décalage. »
Si l’on retrouve les mêmes quatre protagonistes principaux, et le talent des cinéastes, le ton a néanmoins changé, le propos s’est peut-être même musclé.
« Le ton est complètement différent, mais le langage cinématographique aussi ».
Last but not least… mais qui a eu cette idée folle?
Justement, il est temps de rencontrer le duo à l’origine des aventures du Roi, mais aussi de Khazak, The Fifth Season ou Altiplano. Peter Brosens et Jessica Woodworth profitent de leur jour off pour… rencontrer la presse. Comme toujours ils sont particulièrement accueillants, et prennent le temps de partager leur passion et leurs interrogations, sur les lieux mêmes qui ont fait jaillir dans leurs deux imaginaires si complémentaires l’idée farfelue d’une suite pour King of the Belgians…
« Juste avant de présenter King of the Belgians au Festival de Venise, nous étions ici à Brijuni en vacances. Nous n’avions absolument pas l’intention de faire une suite, mais quand nous sommes arrivés ici, nous avons été submergés par la façon dont tout est un peu hors d’âge, dont l’aura de Tito règne encore, nous confie Jessica Woodworth. C’était très inspirant. Ca nous est tombé dessus: le Roi devait se réveiller ici, après l’accident qu’il subit à la fin du premier film. »
« Toute l’île a l’air d’un plateau de tournage en plein air! renchérit Peter Brosens, ça nous a vraiment inspirés. Ça, et la résonance historique de l’île évidemment. »
Mais ne nous leurrons pas, derrière les sourires et le plaisir de tourner sur cette île incroyable réside une vraie inquiétude. Car la résonance historique promise par l’île n’invoque pas des jours heureux, bien au contraire.
« L’histoire qu’il faut raconter aujourd’hui, c’est celle de l’Europe. C’est ce qui nous intéresse, nous inquiète, et nous concerne tous. En fait, ça nous semblait très crédible, cette histoire de petit pays qui s’effondre, la Belgique, et qui entraîne l’Europe dans sa chute vu le contexte actuel, confirme Jessica. On fait face à des heures qui pourraient être très noires. Dans ce contexte, il est urgent de poser ces questions. On n’est peut-être pas en 1939, mais c’est quand même une époque très étrange que l’on vit. On met tout cela en scène via un microcosme qui a l’air totalement surréaliste, mais en fait tout ce qui se passe dans l’histoire est finalement très crédible. Ca pourrait arriver! »
On explique aux cinéastes que tous les comédiens que nous avons rencontrés jusqu’ici ont vanté leur écoute, mais aussi leur propension à remettre sans cesse le métier sur l’ouvrage, le film étant un constant work in progress.
« Le scénario n’est pas sacré pour nous, il n’est jamais verrouillé, précise Jessica. On croit que cela peut être très libérateur, et que cela nous rapproche de quelque chose de plus authentique. Ce qui nous intéresse, c’est aussi ce qui se passe entre les lignes. »
Peter complète: « C’est un peu la même chose côté mise en scène. On ne fait pas de storyboard des mois à l’avance où l’on décide où placer la caméra. En général, on fait ça la veille voire le jour même! On regarde quelles sont les conditions sur le lieu de tournage, la lumière, le vent… Sur le set, on décide avec le chef opérateur de ce qu’on va faire. Comment on va donner vie au film à travers la caméra. »
Cette spontanéité, si elle est peut être déroutante, s’avère extrêmement fertile, comme nous l’ont répété les comédiens. Et au final, les réalisateurs cherchent une certaine fluidité. « Heureusement qu’on simplifie en général le nombre de plans, s’amuse Peter. On n’ajoute jamais de plan, en général, on en enlève. »
Et c’est peu dire qu’on a hâte de découvrir le film terminé. Alors que l’équipe, libérée de ses obligations de promo, se disperse aux quatre coins de l’île pour profiter de cette journée de repos, nous reprenons songeur la navette qui nous ramène sur le continent, en nous disant que ce serait beau, de découvrir le film dans un an sur une autre lagune, quelque part en Italie…