Visite sur le plateau du nouveau projet de Samuel Tilman, Mode avion, film de genre au casting alléchant: Karim Barras, Camille Sansterre, Laura Sépul et Félix Vannoorenberghe.
Mars 2024, on arrive au bout d’un chemin boisé devant une maison familiale un peu défraîchie, où s’active depuis deux semaines l’équipe de Mode avion, le nouveau film de Samuel Tilman. Après s’être distingué dans les domaines du documentaire (Mfumu Matensi, Black Heart, White Men), du court métrage (Voie de garage, Nuit Blanche), du docu-fiction (Le Dernier Gaulois) et du long métrage de fiction (Une part d’ombre), Samuel Tilman s’essaie à un nouveau genre, un film de genre, justement, destiné à une diffusion à l’automne sur Proximus puis Tipik.
L’histoire de Mode avion? Celle de quatre personnages que tout ou presque oppose mais réunis par une situation tragique (un kidnapping) et un mystère qu’il leur faudra percer pour survivre. Ils se réveillent un matin sur une île déserte, sans comprendre pourquoi. Le tout observé (et filmé!) à travers l’oeil d’une poignée de caméras de surveillance, et de quelques smartphones par un ravisseur qui leur donne des consignes à respecter. Une incursion stylistique du côté du whodunnit, de la fiction d’enfermement et du found footage genre Blair Witch Project, avec une dose d’humour un peu acide assurée par un casting prometteur… mais on y reviendra!
« A l’origine, ce n’est pas mon idée, nous explique Samuel Tilman. Après avoir tourné Une part d’ombre avec Baptiste Lalieu, il est revenu vers moi en me disant d’abord que ce serait chouette de tourner un film avec peu de comédiens. Puis avec une idée plus précise, quatre personnes isolées dans un lieu, qui n’ont accès à une connexion internet que de façon très courte et aléatoire, une minute une fois par jour. Je me suis dit qu’il y avait moyen de faire un truc avec cette base, et ce qui m’intéressait, c’était de savoir pourquoi ils étaient bloqués, d’imaginer leur backstory, et puis de faire le tout en mode found footage (ndlr: des enregistrements videos retrouvés a posteriori), avec des caméras de surveillance et des smartphones. On a commencé à co-écrire le projet ensemble. La RTBF nous a aidés en développement. C’est un vrai-faux huis clos, il y a quelques extérieurs en Bretagne, mais on a pu monter le film avec un financement léger. »
« Moi, j’avais envie de tourner, s’enthousiasme le cinéaste. J’ai un projet de long métrage qui prend du temps, et là, on a pu monter le film en moins de 18 mois, il sera prêt pour l’automne. C’est un film de plateforme, et s’il est réussi, il peut faire des festivals de niche, être vu sur de nombreux territoires. En fait, on peut se permettre de faire plein de choses qu’on ne ferait pas sur grand écran. C’est un film de split screen, on joue sur les formats verticaux et horizontaux. Les téléphones permettent une certaine liberté, il y a des accidents quand les comédiens sont leur propre cadreur, on peut voler des moments. »
On ne dirait pas comme ça, mais tourner avec des caméras de surveillance, c’est un sacré défi technique. D’abord, il faut se cacher pour être hors du champ de la caméra, tâche d’autant plus ardue que le décor unique (une maison en attente de rénovations, que l’équipe déco a pu modifier – et massacrer – à sa guise) dispose de nombreuses ouvertures. « On a travaillé avec des lumières intégrées au décor, tout est apparent, mais on a quand même réfléchi des tableaux de couleur au fur et à mesure que le récit avance ». Ensuite, « les comédiens ne savent pas d’où ils sont filmés, ce qui les déstabilise, » explique Samuel Tilman, ce qu’ils nous confirmeront d’ailleurs plus tard. Le réalisateur lui se réjouit de l’énergie que cette pression apporte. « Même si parfois il faut un peu les replacer, car même si on peut zoomer (comme le ravisseur) via les caméras numériques, ce sont quand même beaucoup de plans larges où mieux vaut que les comédiens ne soient pas trop éloignés pour saisir leurs expressions. Mais jouer sans point de vue, ça oblige à jouer de partout. Pour le chef opérateur, Jean-François Metz, c’était aussi un incroyable challenge, de tourner en 360 degrés. On a fait beaucoup de vrais faux plans séquences, tout en tenant compte du fait que l’espace est complètement destructuré, entre vertical et horizontal. Et puis j’ai quasiment monté en direct, pendant le tournage. »
Le cinéma de genre, c’est aussi une façon particulière de créer et alimenter la tension. « C’était vraiment intéressant d’observer la dynamique de groupe à l’oeuvre, de les voir se demander quoi faire du peu de connexion dont ils disposent, de voir aussi quel est le poids du lien avec l’extérieur. Il y a une tension permanente, sans aller dans l’hystérie, il y a une vraie paranoïa. »
Et bien sûr, une bonne part de la réussite du projet repose sur son incarnation. « Pour le casting, il fallait que l’alchimie prenne entre les quatre, qu’ils ne soient pas tous dans la même énergie. Et puis j’adore travailler avec des comédiens belges, et avoir le loisir de leur offrir de vraies partitions, ce sont quatre premiers rôles. Le plus grand défi, c’est que l’on s’attache aux personnages. Il fallait vraiment que la sauce prenne entre les comédiens, pour que cela ne tourne pas à l’exercice de style, et que l’on arrive à mettre de l’émotion dans le genre. »
On a hâte de voir ça, et une fois n’est pas coutume, les choses devraient vite s’enchaîner…
Felix Vannoorenberghe: Je joue un influenceur qui a une petite trentaine d’années, il donne une image très cool, mais c’est un vrai petit chef d’entreprise. Il vit dans la crainte d’être has been trop vite, et il est prêt à beaucoup pour conserver sa communauté. Ce qui le secoue le plus, c’est qu’il se dit que c’est peut-être un canular, une téléréalité un peu foireuse, vu qu’il a une petite notoriété. Mais ça ne l’arrange pas trop, car il est à un moment critique de sa carrière. Ne plus avoir de connexion, c’est vraiment malvenu. Et puis il a conscience d’être filmé, plus que les autres. Il y a un côté murder mystery, Cluedo, on cherche… sans avoir les clés de l’enquête. Le tournage à 360°, c’est un gros défi technique, mais en même temps ça nous libère. On n’est pas constamment coupé. C’est un peu comme quand on répète de longues scènes au théâtre, qu’on coupe un peu l’espace. Ca permet de jouer longtemps, et tout le temps, il n’y a pas de trous de jeu. On est à fond avec ses partenaires, dans le plaisir du jeu, de créer ensemble sur un temps long.
Les projets de Felix: Beaucoup de théâtre l’année prochaine avec Georges Lini, au Théâtre de Poche et au Théâtre Vilar notamment, et un long métrage en tournage dans quelques mois.
Karim Barras: « Mon personnages travaille dans la cybercriminalité, et je suis le seul à essayer d’enquêter sérieusement, sans être spécialement aidé par mes partenaires. Bien sûr, mon personnage a un secret, que je ne vous dirai pas… Il est assez pragmatique. Il essaie de poser les choses sans panique. Mais il est vite désagréable. Dans un premier temps, il a l’air de maîtriser les choses. Ce projet, ses conditions, c’est un vrai défi, c’est assez excitant. Le genre, c’est toujours intéressant, car cela permet d’explorer des endroits que l’on explore pas d’habitude. Cela permet aussi de pousser le jeu et le travail d’acteur, de faire des propositions un peu plus folles. Avec le tournage 360°, on n’a pas les mêmes repères, du coup on se préoccupe moins de la caméra. Il me semble qu’on est plus détendu, on maîtrise encore moins que d’habitude, et on se dit qu’on verra bien! On donne un maximum de propositions, on tente d’amener beaucoup de matière, sachant que le film s’écrira beaucoup au montage. Ca devrait être un film assez prenant, et assez amusant à regarder!
Les projets de Karim: Je viens de tourner une série en suisse pour Netflix, Winter Palace. J’ai aussi tourné dans un film qui est en cours de montage de Jérôme Vandewattyne, avec qui j’ai déjà travaillé pour The Belgian Wave. Et avec Baptiste Sornin, avec qui j’ai co-écrit et co-réalisé deux courts métrages, on planche actuellement sur un long métrage.
Laura Sépul: « Lea, c’est une thérapeute de 42 ans, qui mène une vie rangée avec son épouse. Elle ne comprend absolument ce qu’elle fait là. Elle est assez maternante, et un peu mystique, en mode chakras et énergies. Elle va faire en sorte que le groupe tienne, en se montrant rassurante et englobante. En tous cas au début. Elle cherche la collectivité plutôt que d’agir seule. J’aimais bien l’idée de participer à un film de genre. J’adore les films d’horreur, les slashers en particulier. Le 360°, c’est sûr que c’est une contrainte, même si Samuel veille à nous laisser trouver le temps et l’espace pour le jeu. Mais j’ai l’impression que cette difficulté technique ajoute au cadre. Même si je dois pas mal faire gaffe! Ce qui est plutôt perturbant, c’est que d’habitude, on se concentre par rapport au cadre, à la caméra. Là, on n’a ni retour, ni recul. On doit faire une confiance aveugle. Je crois que ce film va être un véritable ovni.
Les projets de Laura: je suis dans un long métrage El Correo de Daniel Calparsoro, tourné à Madrid qui est déjà sorti en Espagne, et qui sera sur Netflix dans deux mois.
Camille Sansterre: « Rose, c’est une jeune femme qui, sans trop en dire, a des soucis personnels, et doit trouver des solutions à l’éthique discutable. Quand le kidnapping a lieu, sa fille est sur le point de subir une opération des poumons, et il est urgent pour Rose de retrouver le chemin de sa famille. Elle est très premier degré, avec un tempérament assez vif, elle ne mâche pas ses mots. C’est la première à se rendre compte que ce n’est pas un jeu, et que la menace est réelle. Elle est anxieuse, et asthmatique, alors elle réagit sans beaucoup de sang froid, au début en tous cas. J’aimais beaucoup l’idée de ce huis clos, d’autant que le film repose essentiellement sur ses interprètes, c’est un vrai challenge. J’ai eu un très bon feeling avec Samuel lors du casting, et j’avais très envie de jouer avec mes camarades. Jusqu’ici, j’avais toujours tourné dans des films très réalistes. Ici, il y a beaucoup d’humour, de punchlines, en tous cas dans la première partie. Ensuite, on bascule dans quelque chose de beaucoup plus noir, limite de l’horreur. Il y a une vraie courbe dans le jeu, c’est un défi de rester crédible, sincère, avec un maximum de justesse, dans un genre qui n’est pas naturaliste, et dans un cadre extrême, c’est passionnant. Et le dispositif est génial. On ne sait jamais où ça filme, à quoi ça ressemble. Il y a un lâcher-prise total. Et puis il n’y a pas de hors champ, il faut tout le temps être à 100% de nos capacités. Ca fédère, et ça crée une vraie solidarité. Ca oblige à une rigueur de tous les instants.
Les projets de Camille: je viens de tourner dans une mini-série de Céline Ribard, Universelles. J’enchaine sur le tournage d’un court métrage en juin. Je fais aussi beaucoup de théâtre, et je viens d’achever une mise-en-scène sur la thématique des jeunes placés par la justice, une recherche documentaire sur le sujet. Et j’entame une collaboration théâtre avec une grande part filmée avec le Québec. Je sens que petit à petit, je me dirige vers la réalisation.