Visite sur le plateau du premier long métrage de la jeune cinéaste belge Delphine Girard, Le plus vivant possible, avec Selma Alaoui, Guillaume Duhesme et Veerle Baetens.
Avril 2022. Une jeune équipe se retrouve, 4 ans plus tard, celle de Une soeur, le court métrage de Delphine Girard. C’est la suite d’une belle aventure un peu magique, passée par la case Oscars en 2020, où le film était en lice. Une soeur, c’était l’histoire haletante d’un trio de circonstance plongé dans le drame, celle d’une femme, piégée dans une voiture avec un homme violent, qui cherche de l’aide auprès d’une opératrice d’un centre d’appels d’urgence. Le film condensait un moment de crise. Et laissait ses personnages chancelants, face à l’après. Mais difficile pour la jeune autrice d’oublier Aly, Dary et Anna.
« J’étais curieuse de savoir ce qui allait arriver aux personnages, ce qu’ils allaient faire de cette histoire-là, explique Delphine Girard. Une soeur était inspiré de faits réels, et je n’avais pas pu traiter certains éléments, qui ont continué à m’accompagner, même après le tournage. Ca a mis du temps à murir en parallèle d’autres projets que je développais. Et puis tout d’un coup, c’est devenu plus urgent de remettre ces personnages en mouvement, de les retrouver. »
C’est le début de ce nouveau projet, Le plus vivant possible. « Le point de départ, c’est d’imaginer le court comme un début d’histoire, qu’est-ce qui arrive après aux trois personnages, qu’est-qu’ils font, chacun dans leur vie, de ces 15 minutes, de cette nuit? »
Le temps du long permet de sortir de la crise, et d’observer l’onde de choc. Que reste-t-il après le drame? « Je me rends compte que comme spectatrice, c’est souvent l’après qui m’intéresse, ce qu’on fait des histoires, continue la cinéaste. J’ai adoré faire le court métrage. C’est un moment de thriller, on sait que nos vies peuvent basculer dans des frayeurs de cet ordre-là, mais personne n’est préparé à comment en sortir, comment redémarrer le quotidien derrière. Le cinéma travaille souvent sur l’imagerie du thriller, de la frayeur, mais comment on raconte la suite, comment annoncer l’agression aux proches, le retour au travail? Le personnage masculin, comment il annonce à sa mère qu’il s’est fait arrêter? Comment tout ça fait écho dans leur vie? Comment, eux en font quelque chose? Et que propose le système judiciaire? »
Les personnages. Aly, Dary et Anna, donc. Esquissés dans Une soeur, on a le sentiment de faire enfin leur connaissance dans Le plus vivant possible.
C’est Selma Alaoui qui reprend le rôle d’Aly. Mais qui est-elle, finalement? « C’est quelqu’un qui a plutôt confiance en elle dans la vie, commence la comédienne, qui a une vision du monde tout sauf tragique. Elle s’accommode de beaucoup de choses. Même les difficultés du quotidien, elle aime les saisir pour les transformer et en faire quelque chose de beau. Il y a des gens dont on a l’impression qu’ils ne vont jamais mourir, ils sont forts, ils sont joyeux, ils ont les choses en main. Ca c’est Aly. Mais cet évènement va complètement perturber sa trajectoire. Elle va devoir recomposer la manière dont elle veut que sa vie se passe. Ni dans le tragique, ni dans la douleur. Elle ne peut plus dire « on verra bien ». On va voir comment elle va essayer de se défendre face à cet évènement qui infuse dans toute sa vie, et son rapport aux autres. »
Les acteur·ices ont dû remettre le costume endossé quelques années plus tôt, se référant à cette première création, tout en l’enrichissant, lui apportant plus de chair, bien aidé·es par le travail déjà réalisé avec la cinéaste à l’époque du court, qui confirme: « J’avais imaginé toute un background pour chacun des personnages, que j’avais partagé avec les comédien·nes. Donc finalement, c’était assez facile de reprendre l’écriture avec ces personnages, parce que je les connaissais, je savais comment ils s’étaient retrouvés là. »
Guillaume Duhesme, qui joue Dary, l’a « un peu refaçonné, j’ai pris des bouts du court, et j’ai construit des choses autour. Le personnage du court était plus axé sur la colère, celui-ci est plus axé sur la douleur, traversé par des pulsions auto-destructrices très puissantes. Une détestation de lui-même, de la vie, un ressentiment vis-à-vis du monde. Il fallait aussi arrondir le personnage, pour qu’on y voit un être humain, qu’on ait non pas de la sympathie, mais de l’empathie pour lui. »
C’est un personnage sombre que le comédien français retrouve, une incarnation complexe, qui demande une mobilisation forte. Il s’est d’ailleurs isolé pour préparer le tournage, coupé de ses proches pendant quelques semaines pour entrer petit à petit dans le personnage, et s’emparer de ce défi.
Dans le récit, il est l’agresseur, celui qui commet l’impardonnable. C’est une charge, artistique et émotionnelle, lourde à porter. « C’est un personnage que j’ai essayé de comprendre, pas de l’excuser ou de le pardonner. Comprendre son cheminement. Comment quelqu’un qui n’est pas un psychopathe, qui n’a pas de problème psychologique chronique peut en arriver là, à commettre un acte monstrueux? J’ai essayé d’arriver au bord de ce gouffre que je ne connais pas pour en faire un personnage humain, car je pense que c’est le propos de Delphine. Dire qu’il y a quelque chose dans l’humanité de tous les protagonistes qui rend cette horreur encore plus indigeste, impossible à traiter, et à évacuer. Et que le système judiciaire lui n’intègre pas la dimension humaine du drame. »
Veerle Baetens enfin incarne Anna, l’opératrice téléphonique qui reçoit l’appel à l’aide d’Ali, « une femme énigmatique, un peu mystérieuse, qui a visiblement des problèmes de lâcher prise. Elle est très méticuleuse. Tu sens qu’il y a quelque chose dans le ventre, dans le coeur qui n’est pas encore sorti. C’est une fille qui bosse, et qui se cache un peu dans son travail. C’est sa raison de vivre. C’est quelqu’un qui est dans le rigide. Tout doit être parfait, comme ça elle ne peut pas être rejetée. Avoir eu cet appel fait sortir quelque chose en elle d’enterré depuis longtemps. » Elle est aussi le témoin du drame, et nous interroge sur nos réactions, celles de la société face à ces violences systémiques.
Elle s’est préparée pour le rôle en passant du temps dans un call-center. Et puis en appliquant sa méthode à elle, peut-être un peu ésotérique, plaisante-t-elle: « je crée toujours mes personnages à partir de théories psychologiques, parfois pseudo-psychologiques (rires). Même avec l’astrologie, ça définit des caractères, des archétypes. Je croise les théories pour imaginer mon personnage. Ca permet de jouer avec des traits de caractères, ça aide pour les costumes, la posture. »
Occupée sur de nombreux front, sa carrière de comédienne bien sûr, mais aussi le montage de son premier long métrage en tant que réalisatrice, une adaptation du roman choc de Lize Spit, Het Smelt, elle retrouve avec plaisir Delphine Girard. « C’est quelqu’un de passionnant, très intelligente et talentueuse. Elle est très exigeante, le tournage est très intense, mais c’est extrêmement stimulant. Le scénario était très bien écrit, construit, Delphine est très forte dans la psychologie des personnages, et tout est juste. C’est rare que dès l’écriture, tout soit déjà là, en place. La psychologie est tellement détaillée qu’on sent le personnage. »
Même son de cloche chez Selma Alaoui: « Je trouve que dans l’écriture déjà, Delphine a chéri ses personnages. Elle est très minutieuse, très précise, elle a un amour des détails qui fait que le portrait d’un personnage est fait de l’assemblage de toutes ces petites choses qui n’ont l’air de rien, mais auxquelles elle est très attentive. Ses personnages sont vivants. »
Guillaume Duhesme lui souligne le courage de la réalisatrice. « Aller à la rencontre de l’humanité du monstre, c’est très courageux. Delphine n’a pas peur d’aller affronter ce qui fait mal. « Un courage dont le comédien se sent investi: « il y a pour moi en tant qu’homme une notion de responsabilité, et d’humilité vis-à-vis de ce sujet. Je le fais pour toutes les femmes que j’ai connues, je sais qu’elles ont souffert de la violence des hommes. Cela me permet de contribuer à dire des choses que les femmes qui étaient près de moi dans mon enfance, d’une autre génération, n’ont pas pu dire. »
Quand on demande à Delphine Girard ce qui lui importait le plus avec ce récit, elle réfléchit quelques instants, avant de répondre: « Je voulais réfléchir, comment est-ce qu’on fait du vivant avec du noir, des choses compliquées? Cela m’intéressait d’aller voir un peu plus loin que le cliché de chacun de ces personnages, la victime, l’agresseur, le témoin. Comment voir le détail, l’ambivalence, l’ambiguïté chez chacun des personnages? La question qui me taraudait, c’est comment la justice peut faire face à l’ambiguïté? Est-ce vraiment logique de laisser la justice répondre de ces histoires pleines de nuances? Qu’est-ce qu’on fait en tant que société de ces histoires? Ca veut dire quoi réparer? Faire justice? La seule réponse qu’on donne pour l’instant, c’est « Il faut porter plainte », mais est-ce que ça aide vraiment, est-ce que c’est une bonne réponse? Est-ce que ça aide à vivre? »
Une nuée d’interrogations, et une réflexion incarnée sur les violences systémiques faites aux femmes que l’on a hâte de retrouver sur le grand écran dans ce premier long métrage de Delphine Girard, Le plus vivant possible, produit par Versus Production, et au générique duquel on retrouvera également la comédienne canadienne Anne Dorval et la française Adèle Wismes.
Synopsis: