Olivier Meys, Magritte du Meilleur premier film en 2019 pour le très beau Bitter Flowers tourne actuellement son deuxième long métrage de fiction, La Vie devant nous.
31 août 2023. C’est l’effervescence au Centre de la Croix Rouge de Trooz. Depuis quelques jours, une équipe de tournage s’y est installée, et cohabite et collabore avec les gens qui vivent dans le centre, travailleur·ses et réfugié·es.
Ce film, c’est La Vie devant nous d’Olivier Meys, qui suit la trajectoire particulière de deux adolescentes, Jaia et Mila, dans l’attente d’une réponse de l’administration. Elles sont demandeuses d’asile, et comme des centaines d’autres, vivent dans l’expectative. C’est cette sorte de conflit irréductible entre la passivité de l’attente, et le mouvement permanent de cette période de la vie qui a cristallisé pour Olivier Meys l’envie, et le besoin, de se pencher sur cette question.
« J’ai vécu la grande crise migratoire syrienne depuis l’étranger, je lisais la presse, vivais les choses à distance. Quand je suis revenu en Europe, j’ai voulu voir comment se passait cette période de l’attente des papiers. Et je me suis interrogé sur la question de la demande d’asile du point de vue spécifique de l’adolescence. Comment s’exprime cette pulsion de vie adolescente, comment peut-elle s’exprimer dans ce contexte? C’est un âge où l’on a besoin de s’ancrer dans un présent, et se projeter dans un futur. »
Le cinéma est clairement un lieu d’exploration de l’altérité pour Olivier Meys, dans ses documentaires déjà, mais aussi dans Bitter Flowers, où il se penchait sur le quotidien d’une « marcheuse », une jeune femme chinoise exilée à Paris pensant devenir nounou, et qui finit par se prostituer pour honorer sa promesse d’envoyer de l’argent à sa famille restée au pays. « J’ai surement besoin d’investiguer des endroits loin de moi. Je ne pense jamais à des histoires avec des personnages qui me ressemblent et des lieux que je fréquente au quotidien. Je ressens peut-être ce besoin, parler de gens qui vivent d’autres réalités. »
Cela passe nécessairement par une longue phase de documentation, de recherche, mais aussi d’immersion. Olivier Meys a visité de nombreux centres, rencontré de nombreux·ses demandeur·ses d’asile, observé, beaucoup. Son film est profondément « ancré dans le réel », d’ailleurs, il tourne dans un vrai centre, dans une vrai collaboration technique et artistique, les figurants sont des gens du centre, on sent que l’équipe se fond dans le décor avec respect et fluidité.
La véracité du récit est aussi nourrie par ses interprètes. Dans le rôle principal, Noura Bance prête son corps et son regard à Jaia, une jeune fille burkinabé en attente de papiers depuis de nombreux mois, support de sa mère qui peine à surmonter l’épreuve. Noura, 17 ans, lycéenne à Béthune depuis deux ans évoque spontanément son parcours. Si elle a de son côté obtenu très rapidement ses papiers, elle porte et partage le trauma de son difficile parcours de migration. Au détour d’une question sur le plus grand défi à relever pour elle, elle évoque sa phobie de l’eau, « ça réveille des souvenirs, je panique, j’ai l’impression de me noyer. » Mais rassure d’emblée sur le cadre de travail: « Franchement, j’étais en stress total, mais Olivier m’a rassurée, m’a accompagnée. Il m’a rappelé tout ce que j’avais déjà donné, et que s’il fallait se passer de me voir dans l’eau, on le ferait. Et j’ai pu dépasser cette peur. »
Comme Noura, Sofiia Malovatska s’est servie de son expérience pour composer le personnage de Mila. Sofiia a presque 18 ans, elle a fui l’Ukraine avec sa mère, et vit à Dijon depuis un peu plus d’un an. Une fois le tournage terminé, elle fera sa rentrée à l’université, à Besançon. Si elle n’a pas connu l’attente des papiers comme son personnage, qui est elle Biélorusse, elle connaît l’arrachement, le fait d’apprendre une nouvelle langue, de s’exprimer avec des mots qui lui étaient étrangers quelques mois plus tôt à peine, de devoir trouver de nouvelles marques. Ce qui importe à ses yeux, c’est de contribuer à montrer le quotidien des réfugiés, et de rappeler que Mila, comme Noura, sont avant tout « des adolescentes normales ».
Des adolescentes normales, comme Noura et Sofiia donc, hyper motivées quand elles apprennent l’existence de ce casting, en quête de deux premiers rôles pour un film. « Ca fait quelques années que je rêve de jouer, de devenir actrice, de ressentir des sentiments que je n’ai jamais ressentis, habiter d’autres personnages, s’enthousiasme Sofiia. C’est incroyable de faire ça. Il n’y a pas de barrière quand on est actrice, on peut tout jouer, tout ressentir, c’est fascinant. » Alors évidemment, quand elle tombe sur l’annonce, elle se présente au casting, même si elle apprend encore le français.
De son côté, Noura se souvient en souriant d’un jour où ses éducateur·ices lui avaient dit: « Mais tu devrais faire du cinéma! » Elle venait d’assister à l’avant-première du film La Brigade, qui met en scène de jeunes adolescents dans un centre de demandeurs d’asile, et alors qu’elle avait passé tout le film à commenter l’action, l’un des interprètes principaux, assis derrière elle, avait parlé d’elle une fois sur scène: « C’est drôle, il y avait une jeune fille devant moi qui avait l’air de connaître tout le film! »
« Quand le directeur du foyer où j’habite nous a fait suivre l’annonce du casting, je me suis dit: allez, lance-toi, ce serait chouette de jouer au moins une fois dans un film! » Sur le papier pourtant ce n’était pas gagné. Certes, Noura a une expérience de parcours migratoire qui s’approche de celle de Jaia, mais elle n’a pas du tout, mais alors pas du tout la même personnalité. « Moi, je pensais que je serais prise pour le rôle de Mila, se souvient-elle en souriant. Quand j’ai passé le casting, j’étais très ouverte. Je ne suis pas du tout timide ni introvertie comme peur l’être Jaia. Cela m’a surprise que l’on me choisisse, et que l’on me fasse confiance pour lui donner vie. J’ai pu douter au début du tournage, mais je crois que j’ai réussi à me créer une bulle, dans laquelle me concentrer, une bulle de calme où je peux approcher le rôle. Il y a des scènes très dures, psychologiquement, où on atteint des moments de détresse très fort, des états très compliqués, et dans ces scènes-là je crois que je ne jouais plus, j’ai vraiment pleuré. Heureusement que toute l’équipe était là pour me soutenir. C’est une expérience incroyable. »
Sofiia aussi loue l’équipe, son soutien, et la collaboration aussi avec les personnes du Centre de la Croix Rouge. Elle se rappelle, comme Noura, du premier jour où elles sont arrivées dans le centre, sur le plateau. De l’émotion. « C’est une expérience extraordinaire! » se souvien avec émotion Sofiia. « Très extraordinaire! » confirme Noura. Et l’on croit deviner que l’amitié extraordinaire qui unit leurs deux personnages s’enrichit aussi de celle qui unit les deux jeunes femmes.
C’est d’ailleurs le récit de cette amitié, qui est au coeur du film et du scénario. Sa force va cristalliser les enjeux du film, et quand elle est mise à l’épreuve, elle va révéler la vérité des personnages. Si le film est ancré dans une réalité très âpre, son réalisateur veut transmettre la complexité des émotions qui le traversent. « On veut trouver une forme qui permette de rentrer dans les émotions de Jaia. On est assez proche d’elle. Il y a une certaine douceur dans le film, qui est assez solaire. L’esthétique est assez douce, on est dans un lieu très charmant, au milieu des bois, et en même temps, la violence est furieusement présente dans ce que vivent les personnages, et dans le système. C’est ce contraste aussi que l’on travaille à l’image. En espérant, surtout, que la fiction permettra au spectateur d’être pris dans l’historie de Jaia et Mila. Qu’il soit en empathie avec ce qu’elles vivent, qu’on puisse entrer dans leur vécu, qu’un pont puisse se faire d’un côté à l’autre de l’écran. »
La Vie devant nous est produit par Sebastien Andres et Alice Lemaire pour Michigan Films, à qui l’on doit notamment Aya, Il pleut dans la maison, ou Camping du Lac. A la direction photo, on retrouve Benoît Dervaux, et Olivier Meys pourra s’appuyer sur l’expérience et le talent de Marie-Hélène Dozo pour le montage. Au casting, aux côtés des deux découvertes que sont Noura Bance et Sofiia Malovatska, on retrouvera Audrey Kouakou (que l’on a pu voir dans Petit frère de Leonor Serraille), dans le rôle de la mère de Noura, ainsi que la comédienne française Céline Sallette.