Début juillet 2019. Christophe Hermans vient d’entamer le tournage de son premier long métrage, La Ruche, une adaptation du roman éponyme d’Arthur Loustalot. Nous les rencontrons dans le salon de « la ruche », l’appartement dans lequel évoluent leur quatre héroïnes, un mère et ses trois filles. Un appartement recréé avec un souci de véracité saisissant, au coeur de Liège.
Du plus loin qu’elles s’en souviennent, Marion Claire et Louise ont toujours vécu au rythme des joies et de la douleur d’Alice, leur mère. Aujourd’hui, elles n’ont plus que leur amour à opposer à cette spirale destructrice dans laquelle Alice sombre chaque jour davantage. Un amour infini, aussi violent qu’indicible.
Christophe, pourquoi cette rencontre avec ce roman?
Christophe Hermans
La lecture du roman m’avait profondément bouleversé. Ma rencontre avec Arthur, son lien avec cette histoire, son histoire, celle d’une mère et de trois sœurs enfermées dans un amour destructeur, n’a fait que confirmer mon envie de l’adapter au cinéma. Ce projet est né d’une nécessité. Dresser le portrait de trois adolescentes confrontées à l’incapacité de vivre de leur mère.
A quel moment avez-vous compris que ce serait celui-là, votre premier film?
Christophe Hermans
J’essayais depuis 5 ans d’écrire sur mon rapport à la mère, et je n’y arrivais pas, faute de distance sûrement. Quand j’ai découvert ce roman, ça a été une évidence. Tout était là. L’amour inconditionnel pour la mère, le huis clos et l’appartement comme cinquième personnage.
La mise à distance était primordiale pour se ré-approprier l’histoire, qui était aussi un peu la mienne. Il fallait trouver la manière juste de retranscrire la poésie des mots d’Arthur pour en faire un film de cinéma. Ma co-scénariste, Noëmie Nicolas, m’a beaucoup aidé à arriver à cela. Injecter de moi dans l’histoire d’un autre, la faire mienne. Finalement, chacune de ces trois adolescentes sont autant de facettes de moi-même et de mon expérience.
Arthur, comment avez-vous réagi quand Christophe vous a dit qu’il souhaitait adapter votre livre?
Arthur Loustalot
C’était une rencontre passionnante. Il m’a envoyé ses films, un dialogue s’est créé.
Dans mon livre, j’avais essayé de rendre compte de la contamination des mots des parents sur les enfants. Est-ce qu’une fêlure peut être transmissible à travers la parole? J’ai appelé le livre La Ruche parce que c’est un lieu où la parole bourdonne en permanence.
En écho à cela, ce qui m’a beaucoup frappé dans les films de Christophe, c’est son travail sur le corps et la poésie qui s’en dégage. Christophe parlait, lui, de questionner comment les maux des parents peuvent transformer le corps des enfants. Je pressentais qu’il pouvait y avoir à travers son cinéma un beau regard, un regard juste sur le corps.
C’est ce que j’ai pu observer hier sur le plateau: la manière dont ses actrices se tiennent, dont le corps exprime la peur, la fusion, l’amour, l’engagement… Je ne m’aperçois qu’aujourd’hui de la confiance que cela représente de la part de Christophe, d’avoir adopté mon texte, d’avoir passé 6 ans à travailler dessus. Voir que mes mots ont pu le toucher au point qu’il ait envie de devenir un passeur de cette parole, c’est très émouvant.
Venir sur le tournage, c’est incroyable. Je ne sais pas exactement comment j’imaginais l’appartement en l’écrivant, mais en découvrant celui imaginé par Christophe, c’est vraiment ça, La Ruche. J’ai assisté à des scènes qui ne figurent pas dans mon roman, et pourtant c’est encore mon roman. Des scènes très fortes. En un mouvement, un mot, j’ai retrouvé l’esprit de mon texte. C’est vraiment impressionnant.
Comment s’est fait le travail d’adaptation?
Christophe Hermans
L’axe central du travail d’écriture a été de caractériser chacune des trois adolescentes. Dans un film où nous sommes en grande partie dans ce huis clos qu’est l’appartement, il fallait être proche des personnages. Chacune des filles devaient évoluer dans son monde, avec ses repères, ses gestes du quotidien… Un quotidien qui se laisse progressivement envahir par le drame de la mère. Il fallait aussi, et surtout, rendre compte avec force de l’amour que portent Marion, Claire et Louise à Alice. Il fallait que l’on aime ce personnage pour en saisir la détresse et comprendre jusqu’où ses filles vont aller pour l’aider. C’est également l’enjeu du travail actuel de mise en scène.
Arthur, quelles sont selon vous les grandes lignes de force du roman que l’on retrouve dans le projet de Christophe?
Arthur Loustalot
Le décor. C’est vraiment le 5e personnage. J’étais scotché, et rassuré par le travail qui a été fait sur le décor. L’écriture de La Ruche, je l’ai voulu radicale, je l’ai pensée comme une expérience de lecture plutôt qu’un roman. Et l’appartement, le lieu du huis clos est un personnage organique, c’est une distribution de l’espace, mais aussi des corps et du langage. Quand on voit l’appartement ici, la tension se crée tout de suite.
Ensuite il y a la complicité entre les trois soeurs, que j’ai poussée à l’extrême dans mon livre, elles y sont tellement fusionnelles que parfois le langage s’y brouillait. Christophe l’a respectée avec tendresse et élégance, dans sa manière de choisir les actrices, de respecter leurs instincts, de les diriger. La complicité de cette fratrie touche à l’universel, et il y a un vrai regard porté sur la féminité.
Et puis la fin. C’est une question radicale que pose le livre. J’avais proposé une fin plus ambiguë, Christophe lui va au bout du discours. Je l’ai vu travailler follement pour porter le scénario vers quelque chose d’encore plus universel. Je ne me suis jamais posé la question de la trahison, j’ai fait confiance. Je pense que l’objet livre et l’objet film vont se rejoindre grâce à l’énergie mise en oeuvre par l’équipe. Et puis il y a cette tension, on ne sait jamais quand ça peut basculer. Ce sont des sensations que l’on connaît, avec Christophe, et que je retrouve dans le film. Cet inconfort mêlé de beauté.
Christophe, comment avez-vous choisi vos comédiennes?
Christophe Hermans
Moi je viens du documentaire, j’ai besoin d’une véracité, de sentir une implication, que ce soit pour les comédiennes ou les technicien·nes. Je veux y croire.
J’avais quelqu’un en tête dès le début pour le rôle de Marion. J’ai rencontré Sophie Breyer alors qu’elle avait 14 ans, lors d’un stage face caméra. Pour moi, c’était clair dès le début. C’était une actrice. Elle a fait des figurations, des premiers rôles dans des courts métrages, et puis La Trêve. Elle est là depuis le premier traitement, j’ai écrit ce rôle pour elle. C’était une évidence qu’elle incarne Marion, l’ainée.
Il fallait alors que je rencontre sa soeur. J’ai découvert Mara Taquin dans le court métrage Créatures. Je l’ai appelée pour passer un casting. Et en fait, je lui ai donné rendez-vous dans un café, Sophie est arrivée, et j’ai juste observé la complicité qui naissait entre elles. Puis j’ai exigé d’elles qu’elles passent du temps ensemble, pendant un an. Parce que je devais créer une famille.
Pour Alice, je cherchais une comédienne lumineuse. Je me souviendrais toujours de ma première rencontre avec Ludivine Sagnier. J’ai senti tout de suite qu’elle avait une réelle envie de défendre ce personnage. Et de l’emmener jusqu’au bout. Et elle m’a fait une proposition incroyable: celle de rencontrer Bonnie, sa fille de 13 ans, pour le rôle de la plus jeune des soeurs. On a fait des essais avec les deux. On les a filmées pendant des heures dans un appartement. Au bout de quelques minutes, je savais que Bonnie serait Louise, la cadette de la famille.
Pour que la fusion dont je rêvais pour mes personnages soit possible, l’appartement était prêt deux semaines avant le début du tournage, et j’ai voulu que les filles y vivent, le connaissent sur le bout des doigts. Mettre en scène le film en fait, c’était d’abord créer ce lien. Je ne pouvais pas avoir des comédiennes qui font semblant. Leur amour devait exister en dehors de la scène.
On a bien vu comment le livre et le film se rejoignent, si vous deviez chacun décrire votre oeuvre en quelques mots, comment le feriez-vous?
Arthur Loustalot
La Ruche, le roman, c’est trois soeurs qui par amour pour leur mère qui est en souffrance psychologique sont prêtes à toutes les folies. Ce qui dans certains cas pourrait paraitre tragique, devient magnifique par amour.
Christophe Hermans
Le film, c’est l’histoire d’un amour inconditionnel qui lie trois soeurs et leur mère. C’est une histoire d’amour.