Il y a quelques jours, nous faisions un saut sur le tournage du nouveau film de Solange Cicurel, Adorables, avec à l’affiche Elsa Zylberstein, Lucien Jean-Baptiste, Ioni Matos, Hélène Vincent, Tania Garbarski, Stéphanie Crayencour…
Novembre 2018. Dans une charmante et cossue rue du Sud de Bruxelles, une maison est presque entièrement recouverte de bâches et d’échafaudages. Seule la porte d’entrée échappe à cette combinaison pour le moins intrigante. A l’intérieur, une fête se prépare. Des ballons gonflés à l’hélium s’envolent vers les hauts plafonds, les guimauves s’empilent, les jus de fruits coulent à flot, et les cotillons sont prêts. Ne manquent plus que les invités, qui sont présentement de l’autre côté de la rue, en train de faire les dernières retouches HMC.
Car c’est bien d’un tournage qu’il s’agit, celui d’Adorables, le deuxième long métrage de Solange Cicurel, réalisatrice de Faut pas lui dire, qui lui a valu en février dernier le Magritte du Meilleur premier film.
Solange Cicurel, « C’est un peu La Guerre des Roses, version mère/fille »
A quelques mètres de là, on retrouve la réalisatrice. Un oeil sur la régie qui s’active, une oreille sur le talkie qui lui confirme l’arrivée des comédiens, elle accepte de nous dire quelques mots sur ce nouveau projet. Une fois encore, elle relève le pari étrangement osé de proposer une comédie, qui plus est une comédie romantique et girly, faisant fi des attentes du secteur, et comblant en passant une absence dans le cinéma belge.
Adorables suit les mésaventures d’Emma (Elsa Zylberstein), quarantenaire confrontée bien malgré elle à la crise d’adolescence de sa fille, qui va à la fois réveiller les fantômes de sa propre adolescence, et interroger ses convictions les plus intimes sur son rôle et son statut de mère.
Sur le ton de la comédie, parfois grinçante, Adorables parle aussi de la transmission « du fait que jeune, on se promet qu’on ne sera jamais comme ses parents, et puis que 25 ans plus tard, on se retrouve à faire exactement comme eux« . C’est l’histoire « d’une femme qui se cherche, qui va un peu over-réagir à la crise de sa fille, et lui déclarer la guerre, façon Guerre des Roses, version mère/fille. » Avec comme ambition assumée, de produire un spectacle drôle, et émouvant.
Comédie familiale
Au coeur d’Adorables, on retrouve bien sûr le personnage central d’Emma, interprétée par Elsa Zylberstein, en pleine crise familiale. Sa fille de 14 ans entame une crise d’adolescence qui n’est pas sans évoquer la sienne, qui remet en question tous ses principes éducatifs, que son ex-mari en profite pour dézinguer.
On a demandé à Ioni Matos, jeune actrice belge de 11 ans d’une incroyable maturité (il s’agit de son premier film), et à Lucien Jean-Baptiste, comédien et réalisateur français (La Première étoile, Il a déjà tes yeux) de nous en dire un peu plus sur leurs personnages, et sur la réalisatrice…
Quelques minutes plus tard, le plateau grouille de monde. Si l’atmosphère est hyper conviviale, aidée par la déco soignée et festive, les séquences du jour s’annoncent particulièrement complexes. Les scènes de groupe sont toujours délicates à tourner. Aujourd’hui, on fête en famille et entre amis les 14 ans de Lila. Solange Cicurel en véritable chef d’orchestre, passe d’une comédienne à l’autre, donnant les dernières indications, rassurant sur un placement, confirmant une intention, conseillant un mouvement, un geste, un travail d’ingénieur penché sur une mécanique de précision.
D’autant que comme dans toute bonne fête, les conversations se chevauchent, les dialogues se superposent, or en comédie, tout est question de timing, et l’impact d’un bon mot se joue à la seconde près… Malgré la pression, l’ambiance reste bon enfant, et derrière le combo, la réalisatrice observe les premières prises le sourire aux lèvres.
Une histoire d’amitié
Entre deux scènes, on retrouve deux fidèles de Solange Cicurel: Stéphanie Crayencour et Tania Garbarski étaient les héroïnes du premier film de la cinéaste, Faut pas lui dire, et lui renouvellent leur confiance en jouant deux des femmes qui gravitent autour du personnage d’Emma, et qui contribuent à dresser le portrait d’une génération de femmes, sa soeur et sa meilleure amie.
Nouveau défi pour Diana Elbaum
Adorables, c’est aussi le premier long métrage majoritaire produit par Beluga Tree, la nouvelle structure de production créée par Diana Elbaum, fondatrice d’Entre chien et loup, société historique avec laquelle a notamment produit Lumumba, La Raison du plus faible, Irina Palm, Les Barons, The Congress, Elle, King of the Belgians, ou Faut pas lui dire. Elle prolonge ainsi la confiance accordée à la cinéaste, ex-avocate qu’elle convainquit un jour de faire du cinéma.
Quand on lui demande si c’est un pari osé de produire aujourd’hui une comédie romantique en Belgique, la réponse ne se fait pas attendre: « C’est un pari, mais il en vaut la peine. Faut pas lui dire a un peu aidé à changer le regard sur les contenus. Mais la comédie, en fait, c’est peut-être ce qu’il y a de plus compliqué à faire. Ca doit être ça qui fait peur à tout le monde! Parce qu’une comédie qui ne marche pas, c’est radical. Si on ne rigole pas, c’est foutu. Il n’y a pas de juste milieu. Finalement, il fallait peut-être Solange Cicurel, une avocate qui ne vient pas du milieu, pour faire tomber les inhibitions, des gens qui ne viennent pas du sérail, comme c’était le cas de Nabil Ben Yadir avec Les Barons, pour changer le regard qu’on a sur le secteur, et oser. »
« Comme en plus pour les comédies, le marché exige des acteurs bankables, ajoute-t-elle, la tâche est d’autant plus ardue. On a un peu dû se battre pour faire passer notre humour belge auprès des financiers. Du coup, on a peut-être eu moins de jours de tournage, moins de budget, mais cela nous donne une liberté incroyable. Par exemple, on montrant un couple mixte, sans le justifier, ce qui est loin d’être évident encore aujourd’hui. »
Solange Cicurel nous pitchait le film comme une sorte de guerre des tranchées entre une mère et sa fille, mais aussi comme une une histoire de femmes trans-générationnelle, qui témoigne des atermoiements d’une mère et de sa fille, et sa propre mère.
« En fait Adorables, c’est un film sur nous, les femmes, renchérit Diana Elbaum. Oui, l’héroïne n’a pas 20 ans, mais la plupart d’entre nous non plus, en tous cas pas éternellement! Je sais que Solange pitche le film autrement, mais moi je dis toujours que l’histoire du film, ce n’est pas le coming of age de la jeune fille, mais la crise d’adolescence de la mère! Le film parle de ces femmes qui se libèrent en pleine crise, qui voient la lumière au milieu du tunnel. »
Le tournage d’Adorables s’achève aujourd’hui à Bruxelles, et on a hâte de découvrir le film en salles. Rendez-vous fin 2019?