Avec Sans Soleil, Banu Akseki livre un film atmosphérique à plus d’un titre, tant par sa texture que par ce qu’il projette d’un futur tellement proche qu’il en est presque immédiat. Elle dresse le portrait sensible d’un adolescent en quête de repères dans un monde pré-apocalyptique où le soleil est devenu notre ennemi.
Une mère et son jeune fils. Un réveil difficile. Des douleurs, des maux de tête, une musique perçante. Le vide, et le bruit. Ainsi débute Sans soleil. D’emblée, on est plongé dans le mal-être diffus qui submerge la mère de Joey. Un mal-être aussi physique que psychologique, « comme un venin qui se répand dans mon corps. »
On ne saura jamais vraiment ce dont souffre précisément la mère de Joey. On ressent l’affliction, on constate l’addiction. Plus tard, quelques indices distillés permettront de cerner un peu mieux la maladie, une maladie invisible, et dont la réalité est remise en question. On pense à une sorte d’hypersensiblité électro-magnétique, on perçoit les bruits blancs, les acouphènes. On ressent la tristesse, on voit les larmes.
On comprend surtout que ces souffrances, invisibilisées par certains, en unissent d’autres, et sont le terreau d’une communauté en résistance qui se réfugie sous terre. Se rassemble à la marge.
Le film joue du hors-champ, un hors-champ visuel et diégétique. Il joue aussi de l’ellipse. Ainsi après avoir entamé le film avec Joey, 5 ans, et sa mère égarée, on le retrouve 10 ans plus tard, alors que sa mère a disparu, et qu’il vit dans une nouvelle famille, aimante et attentive. Mais Joey est un adolescent mutique, qui peine à verbaliser et partager ses émotions. Il reste hanté par le fantôme de sa mère, qu’il pense un jour apercevoir dans la rue.
Il va alors se précipiter à sa recherche, en quête de son passé, de son histoire, et d’une explication. Une quête possiblement vaine, un deuil impossible qui va l’entraîner dans un monde souterrain où certains tentent de combler un vide existentiel et spirituel en s’alliant dans l’addiction, et une certaine sorte de résistance au monde. Alors qu’il cherche la Madone aux gouttes, la femme qu’il a aperçue de loin portant le blouson de sa mère, figure maternelle de substitution qui devient une obsession, il va trouver une camarade d’école, Maïssa, qui va lui ouvrir le champ des possibles, et le ré-ancrer dans une certaine forme de réalité, plus consciente des enjeux du monde du dessus comme du monde souterrain.
Tout comme les relations aux autres de Joey se tissent de non-dits, le film lui aussi se construit sur des allusions, textuelles, mais aussi visuelles ou sonores. D’autant que l’on cherche l’invisible (les « flammes mortes qui continuent à briller » qui hypnotisent la mère de Joey) et l’inaudible des bruits blancs. Les choses, comme le ciel, sont voilées. Libre à chacun de choisir (ou pas) ce qui se trouve sous le voile.
Sans soleil, dont l’image a été confiée au chef opérateur belge Olivier Boonjing auquel on doit des films comme Parasol, Lola vers la mer ou Je me tue à le dire, est une expérience de cinéma. Film minimaliste par les mots et l’intrigue, il appelle une vision maximaliste, qui laisse la place aux ambiances, aux atmosphères, aux images de la nature toute-puissante qui semble reprendre ses droits. Laisser place aussi à la figure paradoxale du soleil, source de vie, mais aussi de destruction. C’est ce paradoxe insoutenable qui laisse présager l’instauration du chaos. C’est face aussi à cette nature toute puissante qui se rappelle au souvenir de l’humanité que le recours à une spiritualité d’ordre mystique ou religieuse fait peut-être office d’ultime rempart.
Tourné avant le Covid, cette dystopie revêt des allures prophétiques, aussi bien sur les symptômes que les effets, les affrontements, les aveuglements, les fractures sociétales. C’est aussi un beau portrait d’adolescent, porté par la silhouette presque insaisissable de Louka Minella (découvert par beaucoup dans Coyotes), qui campe un Joey intense et inquiet, avare de mots mais pas d’émotions.
Dans le rôle de sa mère, un rôle retenu, presque comme une parenthèse qui encadre le récit, on retrouve la comédienne italienne Asia Argento, apparition furtive, souvenir indélébile qui hante la mémoire de Joey.
Dans son présent et sa réalité, on retrouve une belle série de comédiens belges. La « Madone aux gouttes », celle qui l’entraîne dans sa quête de la mère est incarnée par Sandrine Blancke. Ses parents sont interprétés par Astrid Whettnall et Antoine Mathieu. On croise aussi Jean-Benoît Ugeux, Ekin Corapci ou Maxi Delmelle.
Le film sera présenté en avant-première le 15 mars au Festival International du Film de Mons, et devrait sortir fin avril en Belgique.