Salomé Dewaels: « J’ai appris à me laisser surprendre »

Salomé Dewaels tient dans Sous le vent des Marquises de Pierre Godeau son premier premier rôle au cinéma, aux côtés de François Damiens. Elle revient pour nous sur la façon dont elle a vécu l’expérience, et dont elle a pu modifier son rapport au jeu et au travail.

Dans Sous le vent des Marquises, Salomé Dewaels joue une jeune femme, ostréicultrice sur l’île aux Moines en Bretagne dans l’exploitation de son beau-père, qui voit débarquer par surprise son père, comédien célèbre qui vient de quitter le plateau de son dernier film où il interprète Jacques Brel. Père et fille ont une relation pour le moins distendue, Alain ayant du mal à rester en place, véritable père de passage dans la vie de fille. Mais quand la maladie frappe, les choses pourraient changer, et les liens entre le duo se transformer, grâce au recours aux mots de la fiction…

Comment s’est passé le casting pour ce rôle?

C’est un casting que j’ai passé directement avec Pierre, le réalisateur, ce qui est assez rare car en général, on passe d’abord par une première rencontre avec le directeur ou la directrice de casting. J’avais juste reçu le scénario, que j’avais adoré. Je trouvais que les mots de Pierre étaient très justes, qu’il y avait une grande fluidité dans la relation père-fille, qui me touchait énormément. J’ai grandi avec mon père, lui aussi a une grande pudeur, tout me paraissait juste.

Quand j’ai rencontré Pierre, j’étais enceinte, et il m’a pris comme j’étais, pas juste comme un corps. Il m’a regardée dans les yeux. On a directement trouvé notre langage. J’ai l’impression d’avoir déjà travaillé pendant ce casting.

Je n’ai découvert qu’après qui jouerait le rôle du père, et le rendez-vous suivant, c’était avec François Damiens. Ca a été une évidence pour moi de jouer avec lui. Je me suis dit: « Même si tu n’as pas le rôle, tu as passé le meilleur casting de ta vie! » On n’a pas suivi le texte une seconde, on a juste été nous-même. Je n’avais pas l’impression de jouer, c’était comme une danse, on se disait les choses comme on se les serait dites dans la vie.

Ce qui est touchant dans le film, c’est la façon dont le père et la fille utilisent l’outil de la fiction pour se parler, trouver les mots qui ne leur viennent pas.

Alain n’a pas été présent pour Lou quand elle grandissait. Alors quand ils trouvent cette accroche, c’est très beau ce qu’ils se disent à travers les mots des autres. C’est juste et subtil. D’habitude, quand je travaille et que je prépare le film, je dis les répliques du scénario, et j’essaie de voir si les mots sortent naturellement, ici, je n’avais rien à changer. C’était très simple, en fait.

Comment se fait la préparation d’un rôle pour vous?

Ca passe déjà par les costumes et les essais maquillage. Ici, j’étais un peu réticente au début face aux choix de la costumière, mais quand j’ai compris ce qu’elle souhaitait faire, des vêtements confortables, pour un personnage actif, ça m’a convaincue. Concernant le maquillage, j’ai un teint hâlé car je travaille à l’extérieur, des tâches de rousseur pour ressembler à Anne Coesens qui joue ma mère. C’est aussi avec ce genre de détails que le personnage arrive. Et puis avant de tourner, j’ai observé les ostréiculteurs alors qu’on installait les lumières pour apprendre les gestes. Ce sont des petites choses, des petits outils, mais c’est comme ça que je construis les personnages.

C’est un personnage terrien, qui a les pieds sur terre, à l’opposé de son père qui a la tête dans les étoiles.

Lou n’a pas eu d’autre choix que d’être terre à terre. Elle voulait être l’inverse de quelqu’un perdu qui soit dans ses rêves. Quand elle part à Bruxelles retrouver son père, elle s’autorise enfin à lâcher prise. Cet ancrage est une réponse au manque du père. Ce n’est pas un choix, c’est un besoin.

Le film parle de paternité, comment cela vous a-t-il inspirée?

Avec mon père, il y a beaucoup de pudeur. A la maison, on pouvait parler de tout à table, d’actualité, de société, de politique. Mais pas de sentiments, de ce qu’on ressent. Quand ça débordait, que ça explosait, mon père y coupait court en disant: « Montez dans votre chambre ». Dans ces moments il me vouvoyait même, comme pour mettre un mur entre lui et les sentiments. Alors cette relation entre un père et une fille qui ne savent pas se parler, qui n’ont jamais eu cet espace, ça a fait résonner certaines choses. Lou dit à son père: « Tu viens, mais tu repars aussitôt ». Et pour une fois, il reste. C’est dans la maladie et le drame qu’elle trouve la place pour pouvoir lui parler.

Quel était le plus grand défi pour vous?

Sur le moment, je ne me suis pas rendue compte que je devais porter le film. Mon seul objectif, c’était d’être le plus juste possible, je voulais contourner les clichés du conflit père-fille. Et puis j’avais peur que la souffrance de Lou prenne le dessus, qu’on ne la voit pas sourire, qu’elle semble antipathique.

Dans les scènes « fantasmées », où Lou emprunte l’histoire du film tourné par son père, je l’ai imaginée libérée, allégée de sa retenue, j’ai vouloir qu’elle s’exprime comme elle aurait rêvé de le faire avec son père.

Qu’avez-vous appris sur ce tournage?

Dans la vie de tous les jours, j’aime beaucoup être dans le contrôle, dans mon travail, je prépare très en amont, j’ai besoin que tout soit clair. Là, j’avais tellement confiance en Pierre, que je me suis vraiment abandonnée. Je me souviens d’un jour en Corse où Pierre me dirigeait en direct sur le plateau, me donnant les intentions de jeu au fur et à mesure, ce qui aurait été difficile pour moi auparavant.

Ca m’a aussi rappelé que se connecter à l’autre, c’est la base pour raconter une histoire. J’aime être rassurée, alors j’apprends toutes les répliques par coeur, les miennes, celles de mes partenaires. Mais ici avec François, c’était tellement naturel, souvent il « sortait » des dialogues, mais ça venait tout seul, j’étais tellement connectée, que je pouvais me laisser aller. François a un vrai talent, celui de surprendre ses partenaires. On a tendance à le ranger dans la catégorie de la comédie, mais sur ce film, il a été d’une grande sensibilité, et j’ai senti qu’il m’avait ouvert une petite porte, pour partager cette sensibilité.

Ce que j’ai aussi conscientisé, c’est qu’un film, on le fait tous ensemble. Le chef op m’expliquait tout ce qu’il faisait, m’apprenait à jouer avec la lumière, la caméra. Des choses très technique. C’est l’un des rares tournages que j’ai faits où on ne travaillait pas dans la souffrance. Pierre était tellement calme. Ca laissait la place pour approfondir certaines choses. Je sentais que Pierre avait tout son temps pour nous. Il m’a toujours fait sentir à ma place. J’ai appris énormément sur ce plateau!

Quels sont vos projets?

Je tourne actuellement Ca c’est Paris, une série de Marc Fitoussi, avec Alex Lutz, l’histoire d’un homme qui a repris le cabaret de son père. Mais ce n’est plus la grande vie comme ça pouvait l’être à l’époque, le cabaret tombe un peu en ruines. Je joue une danseuse, et j’ai une énorme préparation physique, de la danse, du sport, j’adore.

Ensuite je vais jouer dans Louise, de Nicolas Keitel, avec Cécile de France et Diane Roussel. J’y joue une chanteuse et comme je ne suis pas chanteuse, j’apprends à chante, décidément! Après ça, il y aura Nino, de Pauline Loques, avec Théodore Pellerin. Et puis L’Ile de la Demoiselle de Micha Wald, un film d’époque avec une énorme préparation physique là aussi.

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