Retour sur… « Vase de noces »

Attention, film culte – et dérangeant.

Difficile de classer Vase de Noces. D’ailleurs quand Google s’y essaye, le site hésite entre film d’amour, et film d’horreur. Mais de quoi parle donc le film? Vase de Noces dépeint le quotidien solitaire et rural d’un agriculteur qui sombre peu à peu dans une folie destructrice, accélérée par sa passion amoureuse et sensuelle pour sa truie.

L’emploi du terme « parler » relève d’ailleurs ici de l’abus de langage, puisque Vase de Noces est un film non pas muet, mais sans parole. Seul au milieu de son exploitation et de ses bêtes, l’homme essaie de plaquer sur sa relation avec sa truie les attributs traditionnelles d’une relation maritale. Si l’on n’ignore rien de ses pratiques sexuelles, on retient surtout l’affection étrange qu’il lui porte. De leur union (?) naissent trois porcelets, qu’il va dans un premier temps tenter d’humaniser en les nourrissant et les habillant comme ses enfants, avant de faire volte face et d’auto-condamner cette union contre nature en sacrifiant les jeunes animaux, puis leur mère, avant de mettre fin à ses propres jours.

Oui, le film est choquant. Avec assurance, il repousse les limites du bon goût. De presque tous les bons goûts. Zoophilie, infanticide, coprophagie, rien n’effraie l’homme, ni le réalisateur. Pourtant Vase de Noces est loin d’être une succession de scènes graphiques gratuitement choquantes ou légèrement grand-guignolesques. Filmé dans un noir et blanc épuré offrant de magnifiques plans comme une ode à la vie rurale, le film se distingue notamment par sa bande-son qui à elle seule raconte l’histoire de cet agriculteur vraisemblablement psychotique. A l’image de son héros, alchimiste qui crée des amalgames étranges dans les innombrables bocaux qui occupent sa serre, la bande son mixe les bruits corporels de l’homme et des animaux (mastication, halètements, défécation, déglutition) des musiques tour à tour dissonantes ou à la lisière du sacré, entre chorales médiévales et échappées électroacoustiques.

https://vimeo.com/86212527

Vase de Noces est un film organique et philosophique sur un retour à la nature primaire, archaïque de l’homme. L’agriculteur, dont on voit bien l’obsession pour la transformation de la matière dans les nombreuses scènes où il vide et remplit ses bocaux, tente l’expérience alchimique interdite, le fantasme de l’amour inter-espèce. C’est un échec, cuisant, qui ne peut mener qu’à l’annihilation des fautifs.

Mieux vaut être disposé à se laisser perturber. Thierry Zeno explore la corporalité de son personnage sous tous ses aspects, ne s’arrêtant devant aucun tabou, révélant l’intimité la plus crue de son héros. Soudain on se prend à s’interroger: et si cet homme était le dernier des hommes? A cet égard la performance de Dominique Garny, seul à l’écran comme au générique ou presque, est delà du saisissant.

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Il s’agit du premier et dernier film de fiction du réalisateur Thierry Zéno, décédé l’année dernière, qui s’est ensuite consacré à une approche plus documentaire du cinéma, autour de thématiques comme l’art, l’amour ou la folie. Présenté à la Semaine de la Critique en 1975, le film est entré dans l’histoire du cinéma mondial, par son radicalisme esthétique et thématique, mais aussi par sa capacité au scandale.

Vases de Noces a marqué, choqué, imprégné une génération de cinéastes, et continue, par la grâce d’internet, d’émerveiller des centaines de cinéphiles, bousculés par la beauté et la radicalité du film, qui figure d’ailleurs dans de nombreux classements des films les plus troublants ou disturbing. Le film a longtemps été interdit en Australie, et a été « subtilement » renommé The Pig Fucking Movie aux Etats-Unis. Ames sensibles, s’abstenir… Esprits curieux, avides de sensations fortes, (re)découvrez cette oeuvre singulière et inoubliable.
« Vase de Noces » est film incroyable, un poème venimeux et tendre à la fois. Un film à découvrir et à redécouvrir et qui a changé ma vie… (Fabrice du Welz)
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Par son originalité, sa cohérence, son jusqu’au-boutisme, et l’impact qu’il suscita à sa sortie et longtemps après, Vase de Noces prend naturellement place dans le projet « 50/50 : cinquante ans de cinéma belge, cinquante ans de découvertes ». Une récente interview du réalisateur dans le cadre de ce projet est disponible sur cette page: https://www.50cinquante.be/fr/films/vase-de-noces/
Le film sera projeté ce 8 mars à 19h30 à Bozar dans le cadre de 50/50 et du festival Offscreen.

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