Retour sur le tournage de « On vous croit » d’Arnaud Dufeys et Charlotte Devillers

Au printemps dernier, Arnaud Dufeys et Charlotte Devillers tournaient leur premier long métrage, On vous croit, avec Myriem Akheddiou et Laurent Capelluto. On les a rencontrés à la fin du montage pour parler de ce premier essai. 

L’histoire de On vous croit? On y suit le combat d’Alice, une mère de famille de 40 ans. Face à la juge, elle n’a pas droit à l’erreur : il faut à tout prix qu’elle parvienne à faire entendre la parole de ses enfants, terrorisés à l’idée de revoir leur père. Mais aujourd’hui, plus qu’au père, c’est à Alice que la justice demande de rendre des comptes… Une thématique ultra contemporaine et un film qui met en récit la question de la parole des femmes, et de la prise en charge par la justice des violences familiales et conjugales.

Quelles sont les origines de ce projet?

Charlotte Devillers

Arnaud et moi travaillons ensemble sur un long métrage, Plaisir, depuis plus de 4 ans. Quand nous avons vu l’appel à projet pour l’aide aux productions légères, on s’est dit que c’était l’occasion de faire rapidement un film qui parlerait des situations de violences sexistes et sexuelles et d’inceste, quelque chose d’à la fois très présent, et très silencieux, que je connais en tant qu’infirmière, puisque c’est ma formation.

Arnaud Dufeys

On commençait à parler de la question de l’inceste et de l’ampleur du phénomène dans les médias, mais on trouvait qu’il y avait encore des choses à raconter sur le traitement en justice de ces questions. Or, tout vient de là. Les incesteurs et prédateurs sexuels restent la plupart du temps impunis, et c’est ça qui fait que le phénomène persiste.

Charlotte Devillers

On a eu l’occasion de participer à des réunions publiques dans le cadre de la CIIVISE, et on s’est rendu compte que ces problématiques touchaient énormément de monde, et que la parole des mères et des enfants n’est absolument pas prise en compte. On prône la libération de la parole, mais quand les enfants et les mères parlent, on ne les croit pas. Alors on a pris le temps d’écouter beaucoup de témoignages.  Ce parcours de justice est extrêmement long, éprouvant, et n’aboutit quasiment à aucune condamnation, faute de preuve.

Arnaud Dufeys

Dans l’écriture, on est partis du syndrome d’aliénation parentale souvent utilisé en justice pour la défense des agresseurs. On part toujours du principe qu’il y a la présomption d’innocence, et que les mères peuvent être aliénantes pour les enfants, les influencer à tel point qu’ils mentent en justice. Les juges aujourd’hui commencent tout juste à ne plus tenir compte seulement de la présomption d’innocence, mais aussi du fait que les enfants peuvent être en danger, et que le principe de précaution prime. Dès qu’on parle de ces situations, souvent, les personnes préfèrent ne pas y croire. Se dire qu’il arrive souvent que des mères mentent. C’est plus confortable que de penser que des pères violent.

Charlotte Devillers

On pense que les mères mentent, manipulent. Mais on perd de vue que d’abord, elle doivent recevoir la parole des enfants, révélation qui peut être extrêmement violente. Ensuite, elles doivent l’expliquer, et elles ont tellement envie d’être crues, qu’elles ont un discours fort et engagé qui peut les faire passer pour folles. Et puis on peut devenir folle, à penser qu’on ne nous croit pas. L’agresseur utilise ça en justice. C’est aussi ce qu’on a voulu montrer. Combien ces paroles ne sont ni entendues ni crues, et comment ces mères peuvent péter un câble. Encore plus quand comme elles passent pour folles, on remet les enfants au père, ce qui arrive la plupart du temps.

Arnaud Dufeys

La trajectoire que l’on a choisie, c’est celle d’une mère engluée dans des procédures judiciaires à répétition, qui du coup semble dysfonctionnelle avec ses enfants, pour déconstruire cette idée dans le film. Elle est là avant tout pour protéger ses enfants, ce qui la rend intense. Toutes ces procédures la rendent dingue.

Charlotte Devillers

Il y a le tribunal de la famille, le tribunal des enfants, les instances pénales. Tout ne se parle pas très bien, même si on constate des progrès. Il faut sans cesse répéter la même chose pour faire entendre la parole des enfants. Notre choix, c’était de laisser la place à la parole de la mère et des enfants. On prend le temps de lui permettre d’exprimer complètement sa vision des choses, et de prendre conscience de là où ça dysfonctionne.

Qui sont vos personnages?

Arnaud Dufeys

Le film épouse principalement le point de vue de cette mère, qui doit rendre des comptes à la justice. Le film commence alors qu’elle se rend au tribunal de la jeunesse. Ses enfants, excédés par le processus, n’ont pas envie d’y aller, elle doit les y trainer. On assiste à une rupture entre la mère et les enfants, une rupture de lien, ils se parlent peu ou mal. Tout au long d’une matinée d’audience, par le fait de devoir prendre la parole, elle se ré-approprie sa place de mère, aux yeux des autres, et surtout de ses enfants. Elle va comprendre qu’elle n’est pas fautive.

C’est une parole tellement répétée qu’elle en a perdu tout sens?

Charlotte Devillers

Exactement. On a choisi de travailler avec de vrais avocats, pour être au plus proche de cette réalité. On voulait aussi travailler avec le système, pour essayer d’avoir une lecture commune de ces réalités qu’on ne veut pas voir. Les chiffres sont édifiants, cela représente plus de 160.000 enfants en France. Ce sont trois enfants par classe victimes de violences sexuelles et d’inceste. Je le vois au quotidien dans mon travail d’infirmière. Qu’ils soient encore enfants, ou devenus adultes, ils vivent un présent perpétuel de la violence. A chaque fois qu’on leur demande de raconter leur histoire, de restituer les choses, c’est une nouvelle souffrance, un nouveau présent de la violence. C’est pourquoi nous n’avons n’a pas fait un documentaire, mais une fiction, pour mettre en avant la parole de la mère, et le temps de l’écoute. Dans la vraie vie, ces audiences durent dix minutes. Il y a un déni social très important sur ces questions.

Arnaud Dufeys

Nous avons voulu représenter la justice de manière contemporaine, sans l’accabler. On est auprès de cette femme, avec autour d’elle des avocats, des juges qui sont progressistes, qui ont une pensée évolutive, mais qui sont dans un système. Il fallait être très sobres, que la place de la parole soit importante, la mise en scène n’est pas très sophistiquée, ce sont les mots qui prennent le dessus.  C’est très épuré. Tout converge vers une scène centrale de 55mn, en temps réel, le temps de l’audience. Où tout le monde prend la parole l’un après l’autre. D’abord les avocats du père et de la mère qui présentent les faits et font leur demande. L’avocat des enfants qui est sensé être neutre. On entend les parents l’un après l’autre. On a tourné cette scène avec trois caméras, en une seule prise, pour que les avocats puissent déployer leur jeu. Les acteurs ont appris mot par mot ce qu’on avait écrit. Les avocats s’en sont inspiré, mais ont préparé leur plaidoirie comme pour une audience réelle. On voulait que le travail naturaliste avec les avocats ait un impact sur le jeu des acteurs. Que les deux se nourrissent.

Charlotte Devillers

La justice a de toutes façons un aspect très théâtral. Les avocats ont cette aisance à l’oral. Ceux avec lesquels nous avons travaillé avaient une expérience dans la protection de l’enfance. Avec les comédiens, ça a été une vraie rencontre, comme avec un client.  La juge est jouée par Natali Broods, une incroyable actrice flamande. C’est Myriem Akheddiou qui joue la mère. Laurent Capelluto joue le père.

Quel était le plus grand défi pour vous?

Arnaud Dufeys

Rendre digne et juste cette parole dans le détail. Rendre perceptible l’idée qu’elle ne peut pas mentir. Il n’y a pas de preuve évidente, mais l’accumulation de détails qui ne peuvent pas être inventés fait preuve. 

Charlotte Devillers

Il fallait qu’on comprenne au fur et à mesure de l’audience que ça ne peut pas être autrement. Dire « on vous croit », c’est un verbe d’action, presque. En tous cas il faut agir ensuite. Une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qui se passe?

Arnaud Dufeys

Comme le disait Arnaud Gallais dans Libération en novembre dernier, « Après Je te crois, il faut dire Je te protège ».

Charlotte Devillers

Il faut entendre, croire, et puis agir ensemble, via la justice, l’éducation, la santé. La société doit bouger et mettre des choses ensemble. Ca va être long, on le sait, mais il faut agir.

Check Also

« Puisque je suis née »: rencontre avec Jawad Rhalib

Après le très beau succès remporté par Amal à l’hiver dernier, rencontre avec le cinéaste …