Avec Le Chainon Manquant, fable satirique délicieusement barrée, Picha s’empare d’un média plutôt destiné aux enfants à l’époque, pour livrer une oeuvre pour adulte déjantée qui fera le tour du monde.
O, le premier homme
196.303 avant JC. Les humains ne sont pas encore tout à fait des humains. Ces êtres frustres et sans grande intelligence survivent tant bien que mal en milieu hostile tentant assez désespérément d’évoluer afin de passer à l’étape suivante, jusqu’à la naissance de l’être providentiel, O, comme venu de nulle part. Mais ce bébé rose et joufflu s’attire rapidement les foudres de la communauté, dont il est exclu avec pertes et fracas. Il est recueilli par un brontosaure et un ptérodactyle qui vont dans un premier temps le protéger de ses pairs, puis l’accompagner lors d’un périple au travers des contrées plus ou moins accueillantes, à la recherche de ses congénères perdus. Au cours de cette odyssée, O ne manque pas de faire quelques découvertes révolutionnaires, comme le feu ou la roue, de quoi faire naître une civilisation, ou un « âge », en somme.
Au bout du chemin et après moult péripéties, O finit par retrouver son peuple géniteur dans la joie et l’allégresse. Enfin, surtout pour lui, la joie et l’allégresse. Parce que son frère jumeau, forcément démoniaque, s’empare rapidement des belles inventions de O pour créer sa propre invention bien à lui: la guerre. Darwinisme oblige, il faut bien que l’homme évolue, non?
Dessin animé pour adultes
Autant le dire tout de suite, on n’est pas franchement chez Disney ici, même si Picha s’autorise l’une ou l’autre référence à son univers, comme d’ailleurs à Star Wars, King Kong ou le III Reich. Si le réalisateur a voulu « sortir du ghetto du cinéma d’animation pour enfants », un peu à la manière de Fritz the Cat de Ralph Bakshi au début des années 70, il s’en sort haut la main, en livrant un film plutôt pour adultes, où l’on s’amuse des « gros cons » – une peuplade primitive à l’esprit d’initiative pour le moins limité – et des frasques érotiques de O et ses congénères.
Absurde et ridicule
On n’est pas loin de l’humour des Monty Python, d’ailleurs l’affiche du film évoque celle de La Vie de Brian, qui évoquait déjà celle de Ben Hur. Le défilé des presque humains au début du film, qui n’ayant pas encore découvert la station debout, se déplacent tous de façon différente mais de préférence absurde, rappelle quant à lui le Ministère des démarches ridicules de John Cleese. On s’approche également des bédéistes hallucinés de l’époque, Picha vient d’ailleurs de la caricature et du dessin de presse, de La Libre Belgique au New York Times! Il s’amuse à revisiter la Préhistoire avec une énergie brute et percutante, livrant sa version de certaines espèces, laissant libre cours à son imagination pour en inventer d’autres, avec cette conclusion désespérante d’actualité: il se pourrait bien que l’homme ait toujours été à la source de tous les maux de la planète, de tout temps.
Une animation d’envergure en toute modestie
Sorti en 1980, 5 ans après Tarzoon la honte de la jungle qui avait connu un beau succès, Le Chaînon Manquant est très attendu, c’est l’un des plus importants dessins animés de long métrage de l’époque. Il est même sélectionné en Compétition officielle au Festival de Cannes! Malgré ces attentes, le film garde sa fraîcheur et sa spontanéité, comme son réalisateur, qui près de 40 ans plus tard, s’étonne encore de cette sélection : « Etre né à Forêt, apparaître au Festival de Cannes avec mes histoires à la con, et représenter mon pays, c’était pas mal! »
Le Chainon Manquant sera projeté ce mardi 13 février à 19h45 à Flagey, dans le cadre de l’opération 50/50, et du Festival Anima, en présence de Picha. Celui-ci donnera également une master class le lendemain 14 février à 16h à la Cinematek, avant la projection à 17h de son film précédent, Tarzoon, la honte de la jungle.