Suite à l’article consacré à son deuxième long métrage, Je suis à toi (lire ici), David Lambert nous a demandé un droit de réponse que nous lui accordons bien volontiers, sans le commenter.
Bonjour à tous.
Je lis un article concernant mon nouveau film « Je suis à toi » sur Cinevox.be. Outre les éloges qui font toujours plaisir, je ne peux m’empêcher de revenir sur un passage du texte qui me semble créer une dérive quelque peu inédite sur laquelle je souhaite attirer votre attention.
Je cite, donc : « Alors que Je suis à toi pourrait être une histoire d’amour à trois éléments un peu borderline certes, mais destinée à un large public, il ouvre son film par des images qui le déplacent d’emblée dans un créneau plus ambigu. Pour appeler un chat un chat, il montre dès la troisième image un sexe en érection. Une audace qui, de facto, cloître le film dans un certain ghetto. » Juste pour te dire qu’un sexe masculin, au repos ou en en érection, au cinéma, ce n’est pas d’une grande audace. C’est même assez commun depuis 1968 et très fréquent depuis quelques années. Je citerai entre autre « Shame » de Steve Mc Queen, grand succès public tout comme « L’inconnu du lac » de Alain Guiraudie, film quant à lui césarisé ou encore « Nymphomaniac » de Lars Von Trier.
On a donc décrété ici qu’un sexe en érection réduirait le film à un public confidentiel tandis que le même film sans sexe en érection élargirait ce dernier. Et un bain de sang alors ? Une séance de torture ? Une tuerie ? Ca fait quoi ? Ca élargit le public ou ça le réduit ? Un sexe masculin, ça reste toujours moins traumatisant qu’un coup de couteau. Une bite, ça se caresse, ça se prend en main et ça se prend même en bouche, ça permet même de faire des enfants si on en a envie. Je ne vois pas en quoi ce bel engin reléguerait le film dans un « ghetto ». Et puis de quel ghetto on parle ? Le ghetto juif ? Le ghetto noir ? Le « ghetto », l’auteur de l’article qui le crée de toute pièce qui le crée de toute pièce et il y a des mots, chargés d’histoire, qu’il faut manipuler avec précaution. Que Cinevox divise le monde en une pensée dominante qui serait la sienne et des supposés ghettos me chagrine. Evitons de mettre des films dans des cases qui appartiennent à un autre siècle, ça ne leur rend vraiment pas service.
Dans « Je suis à toi », le protagoniste s’avère être un prostitué. Il se considère et est considéré par les autres comme une bite sur patte. Toute la trajectoire du film consiste à passer d’une bite à un visage. C’est un personnage qui peu à peu se réapproprie son cerveau, son cœur, qui réapprend la caresse et la tendresse. Je ne fais pas ici preuve d’audace, j’essaie juste de faire un film est c’est déjà beaucoup. Imaginez vous mettre en scène un génie des maths sans avoir un seul plan avec des chiffres…Compliqué, n’est-ce pas ? Eh bien c’est la même chose avec un personnage qui travaille avec sa bite. Il faut bien, à un moment, montrer comment il travaille. Il n’y a là ni audace, ni provoc, ni toupet comme le proclame l’article, que je cite à nouveau :
« Ce n’est pas de la pudibonderie que de dire que ces images dérangeantes (parce qu’elles moquent les conventions) vont provoquer la discussion quand il s’agira de définir si le film est visible par tous. Ce n’est pas un jugement moral que de prétendre que dans un marché complexe où les films belges ont toutes les difficultés à trouver un public, il s’agit d’une témérité qui le ghettoïse inutilement. Alors qu’il fait mine de s’assagir après ce départ en fanfare, David nous bombarde un peu plus tard d’un second plan qui fera à nouveau débat: homo ou hétéro, ce n’est vraiment pas la question. Le (gros) plan est là pour nous mettre mal à l’aise. La volonté de provoquer ce sentiment a un sens dans l’histoire, mais il y avait tellement de manières de provoquer ce type de réactions qu’on hésite à congratuler le réalisateur pour son toupet. »
Je vis avec mon époque, j’observe les images qu’elle produit et parfois je les redéploye dans une œuvre de cinéma. J’essaie de lever le voile sur une réalité compliquée et de mettre en scène des situations au delà des fantasmes et des illusions qu’on peut se faire sur le sexe tarifé. Il est inutile de penser à me congratuler, je n’en attends pas autant. J’aimerais par contre qu’on cesse de jeter un sort sur mon film, de lui prédire une visibilité toute tracée à coup d’idées reçues, de clichés sur le marché et d’un public fantasmé. Qu’appelle-t-on un public conséquent ? Des gens qui, comme Cinévox, ne veulent pas voir de sexualité à l’écran ? Ou alors c’est la loi du nombre ? A partir de quel chiffre on est conséquent ? 50 000 entrées salles ? 500 000 ? Et combien en VOD ? Le même nombre ? Plus ? Moins ? Quels sont les critères ?
Mon premier film « Hors les murs » est encore regardé par toute une série de gens sur le net, de manière légale ou illégale. J’ai régulièrement des messages Facebook de fans du film venant d’endroits improbables comme l’Ukraine, Puerto Rico ou le fin fond du Texas. Outre les sorties DVD et VOD en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Hollande, en France et même à Taiwan, le film est disponible sur Netflix USA, sur Youtube si on cherche un peu. Il y a même des pirates qui ont passé leur temps à bricoler des sous titres en espagnol. J’imagine que cette visibilité mondiale n’est pas assez conséquente, que ça reste dans ce fameux « ghetto » que le rédacteur de l’article ne prend pas la peine de définir.
En identifiant des plans précis du film, en les incriminant et en argumentant sur l’opportunité de leur suppression sous prétexte d’atteindre un soi-disant public large, Cinevox, média reconnu de la profession, tente d’exercer une censure sur le film, censure d’autant plus insoutenable qu’elle ne dit pas son nom et qu’elle est enrobée de « coolitude » et de compliments.
La conclusion du texte est claire sur la tentative d’intervention, je cite une dernière fois : « …ce nouveau long de David est une belle réussite, peut-être plus ouvert, fluide et cohérent que son premier essai. Mais ses audaces nous forcent à relativiser : en l’état, il n’est pas à placer devant tous les yeux ». Mais de quel état parle-t-on ? C’est comme s’il était question ici d’une version de montage qui allait être modifiée. L’article se conclue sur une exclusion des futurs spectateurs, comme si ces derniers allaient commettre un acte terrible de transgression en allant voir le film ou comme s’il fallait repartir en salle de montage pour rendre mon film acceptable.
Ce n’est pas aider le cinéma belge que de stigmatiser des œuvres et décréter leur place dans le monde avant même leur sortie. Ce n’est pas non plus aider le cinéma belge que de voir des journalistes s’improviser producteur et suggérer des coupes à une œuvre qui a été longuement pensée et réfléchie par son auteur mais aussi par toute l’équipe qui l’entoure et le soutient depuis cinq ans.
David Lambert