Cette fois ça y’est, on connaît la programmation de toutes les sections de cette nouvelle édition du Festival de Cannes qui s’annonce forte et prometteuse. Hissant haut le pavillon de la Belgique, on retrouve des cinéastes belges dans les trois grandes sections du festival, les Dardenne en Sélection officielle, César Diaz à la Semaine de la Critique, et Bas Devos à la Quinzaine des Réalisateurs. Trois films très différents qui illustrent la diversité du cinéma belge.
D’autant que ce cinéma est riche de talents à tous les niveaux. En réalisation bien sûr (on y revient), en interprétation (des valeurs sûres comme Virginie Efira ou Jérémie Renier, aux jeunes pousses prometteuses comme Salomé Richard ou Yoann Zimmer que l’on retrouvera dans Rêves de jeunesse à l’ACID), mais aussi en production et coproduction, puisque l’on relève pas moins de 10 coproductions belges parmi toutes les sélections.
Les frères Dardenne, vétérans de Cannes, et leur Jeune Ahmed
« Tout le monde sait que c’est le plus grand festival du monde, et que quand ça se passe bien, ça ne peut qu’aider la sortie en salle. On verra comment le film sera reçu par la presse, qui a un rôle crucial. On peut difficilement se passer de la presse sur nos films », explique Jean-Pierre Dardenne, à l’occasion de la conférence de presse organisée par le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel. Personne n’a encore vu le film, et il n’est pas question d’en parler. Alors quand on leur demande pourquoi pas d’autres festivals comme Venise ou Berlin, Jean-Pierre s’en sort par une pirouette: « C’est mon frère qui veut toujours aller à Cannes! Non, mais c’est là que notre cinéma est né. Le marché principal de nos films, c’est le marché français, et Cannes est crucial à cet égard pour nous. »
Luc Dardenne renchérit: « C’est le plus grand festival du monde et il le restera. Les Américains sont intéressés par Venise à cause de l’agenda, ce sont de meilleures dates pour les Oscars par exemple. Mais les cinéastes eux aiment venir à Cannes. Et je pense qu’en Europe, le problème du rapport entre Netflix et les salles de cinéma va se résoudre là-bas. Je crois que seul Cannes peut imposer aux films une fenêtre de diffusion en salles pour pouvoir être sélectionné. Et ce n’est pas rien ».
Pour rappel, Le Jeune Ahmed se passe en Belgique, aujourd’hui, on y suit le destin d’un jeune garçon de 13 ans, pris entre les idéaux de pureté de son imam et les appels de la vie. le film sort déjà le 22 mai dans les salles belges, françaises et suisses, on vous en reparle donc très vite.
1er long métrage, 1ère sélection: Nuestras Madres de César Diaz
Face aux 8 sélections des Dardenne et les 20 ans de leur première Palme d’Or Rosetta, on retrouve le réalisateur belgo-guatélmatèque
« C’est l’histoire d’un jeune homme qui cherche son père, disparu pendant la guerre, construit comme un thriller, explique le réalisateur. Cela parle d’un volet récent de l’histoire contemporaine du Guatemala. Il est dédié à « nos mères » (nuestras madres), car ce sont souvent les femmes qui sont gardiennes de la mémoire et la tradition. «
« On a beaucoup entendu parlé de tout ce qui a eu lieu en Amérique centrale et en Amérique latine, mais les 200.000 morts recensés entre 1966 et 1990 au Guatemala, on n’en avait jamais entendu parler ici, ajoute la productrice, Géraldine Sprimont (Need Productions). Et puis la vision cinématographique de César était très claire, et ce parcours émotionnel d’un personnage en quête de ses origines était éminemment universel. On a dû trouver des coproducteurs au Guatemala pour nous aider à tourner au Guatemala, qui est un pays encore assez violent, où l’on avait besoin de protection policière. Mais on est est ravis de pouvoir porter aujourd’hui devant le monde les voix de ces femmes guatémaltèques.
Valentina Maurel, retour à Cannes avec Lucia en el limbo
« C’est un grand honneur de pouvoir retourner à Cannes avec un deuxième court métrage, confie la réalisatrice, jointe par Skype au Costa Rica, dont elle est originaire. La Cinéfondation me permettait normalement de me présenter mon premier long métrage à Cannes, mais j’ai préféré prendre mon temps et essayer d’autres choses avec ce deuxième court métrage assez différent du premier, tourné au Costa Rica et en espagnol. J’en ai profité pour explorer d’autres façons de filmer. Ca parle d’une adolescente pressée de grandir et de devenir une femme, et prête à se faire violence pour y arriver. »
Lucia en el limbo, court métrage produit par Wrong Men, sera présenté à la Semaine de Cannes.
Après Berlin, direction Cannes pour Bas Devos
Quelques semaines à peine après la présentation à Berlin et la sortie en salle de son deuxième film, Hellhole, Bas Devos revient déjà avec Ghost Tropic, un nouveau film tourné dans l’urgence et en quelques jours seulement cet hiver, un projet hors des sentiers battus où l’on retrouve visiblement l’exigence et la beauté formelle qui font la marque de fabrique du réalisateur (qui retrouve ici son chef opérateur GrimmVandekerckhove). Après Hellhole, Bas Devos a choisi de dresser un portrait plein d’espoir d’une Bruxelloise. Khadija, 58 ans, s’endort dans le métro après une longue journée de travail. Lorsqu’elle se réveille au terminus, elle n’a d’autre choix que de rentrer chez elle à pied. Cette errance nocturne va l’obliger à demander et recevoir de l’aide des autres habitants de la nuit.
Le rôle principal est interprété par Saadia Bentaïeb. Parmi les rôles secondaires, on trouve Nora Dari, Maaike Neuville et Willy Thomas. Le film est produit par Quetzalcoatl, Minds Meet, et 1080 Films, la société fondée par Nabil Ben Yadir et Benoît Roland (également producteur de Wrong Men).
Comédiennes et comédiens: des valeurs sûres comme Virginie Efira ou Jérémie Renier, aux jeunes pousses
On l’a découvert la semaine dernière, Virginie Efira sera de retour sur la Croisette avec Sibyl. Deux ans après avoir ébloui le Festival, et donné une nouvelle impulsion à sa carrière avec Victoria de la cinéaste Justine Triet, qui lui a ouvert encore un peu plus les portes du cinéma d’auteurs, elle revient toujours sous la houlette de sa réalisatrice fétiche sous les traits de Sibyl, une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir en plein tournage. Elle est enceinte de l’acteur principal… qui est en couple avec la réalisatrice du film… Succession d’imbroglios en vue pour ce nouvel opus au casting flamboyant au générique duquel on retrouve également Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel, Niels Schneider ou encore Laure Calamy.
Autre figure mémorable de Cannes, on retrouve Jérémie Renier, découvert en 1996 dans La Promesse des frères Dardenne, alors sélectionné à La Quinzaine des Réalisateurs, puis revu dans la deuxième palme des frères, L’Enfant, en 2005, dans un film américain, Frankie, d’Ira Sachs, un drame familial dans lequel il joue le fils d’Isabelle Huppert – Cannes sans Isabelle Huppert, est-ce vraiment Cannes? Un rôle qui devrait lui rappeler quelques souvenirs du tournage de Nue Propriété de Joachim Lafosse, où il incarnait déjà le fils de l’actrice française.
Autre comédienne belge en haut de l’affiche, Lubna Azabal partage celle d’Adam, premier long métrage de la réalisatrice marocaine Maryam Touzani, avec Nisrine Erradi. L’histoire d’une mère célibataire obligée de faire adopter son enfant. Enceinte, elle sait qu’elle doit se débarrasser de cet enfant parce qu’il n’a pas sa place dans la société. Cette dernière va rencontrer une autre femme et, ensemble, elles vont faire un trajet de ré-apprentissage. L’une va réapprendre à aimer la vie et l’autre, la plus âgée, va tenter de la convaincre d’accueillir l’enfant qu’elle porte. Le film est sélectionné dans la section Un certain regard.
Matthias Schoenaert quant à lui poursuit sa belle carrière américaine à l’affiche de A Hidden Life, nouveau film de guerre du maître du cinéma américain Terence Malick, retenu en Sélection officielle.
Enfin, alors qu’on croisera quelques comédiens belges, et notamment Jean-Henri Compère dans Oleg de Juris Kursietis (Quinzaine des Réalisateurs), on pourra découvrir deux jeunes talents prometteurs Salomé Richard (vue notamment dans Baden Baden et La Part Sauvage), et Yoann Zimmer (Les Fauves, La Fille Inconnue) dans Rêves de Jeunesse de Alain Raoust, sélectionné à l’ACID.
Trio de choix pour la chef opératrice Virginie Surdej
Les techniciens belges sont présents sur de nombreuses productions internationales, et jouissent d’une belle réputation. On retiendra cette année la présence exceptionnelle de la chef opératrice Virginie Surdej, l’une des héroïnes de l’ombre du Festival, qui a signé l’image de pas moins de trois films sélectionnés cette année, dont Nuestras Madres, de César Diaz. La chef opératrice belge, Magritte de la Meilleure photographie en 2018 pour sont travail remarquable sur Insyriated de Philippe Van Leeuw, revient pour nous sur son parcours et son travail dans cet article publié il y a quelques jours.
Le cinéma belge dépasse ses frontières
Mais ces différentes sélections cannoises permettent surtout de constater la grande vivacité des producteurs belges, présents sur tous les fronts, de l’Officielle à la Quinzaine, de la Lettonie au Sénégal en passant par l’Irlande ou le Maroc.
Irlande bien sûr, celle de Ken Loach, fidèle compagnon de route des frères Dardenne et de leur société de production Les Films du Fleuve, qui produisent le cinéaste irlandais depuis Looking for Eric en 2009 et qui l’accompagnent donc pour la 6e (!) fois sur la Croisette avec Sorry we missed you.
Irlande toujours avec Vivarium, film de genre très attendu du jeune réalisateur gaélique Lorcan Finnegan, coproduit en Belgique par la société liégeoise Frakas Productions, qui continue ainsi sur sa belle lancée de coproductions cannoises après Grave de Julia Ducournau en 2017 et Girl de Lukas Dhont en 2018. Frakas place d’ailleurs un deuxième film, le très intrigant Atlantique, premier long de la réalisatrice d’origine sénégalaise Mati Diop, une histoire d’amour et de fantômes.
A la Quinzaine des Réalisateurs, on retrouvera donc Oleg de Juris Kursietis, film letton en partie tourné à Bruxelles, produit ici par Isabelle Truc pour iota Production. En Compétition Officielle, Frankie, dont on parlait ci-dessus, est coproduit par Beluga Tree, tandis qu’Adam (Un certain regard) est coproduit par Artemis Production. Enfin, Sibyl est coproduit par Scope Pictures, qui soutient 3 autres films présentés à Cannes cette année, le film algérien Papicha de Mounia Meddour (Un Certain Regard), Chambre 212 de Christophe Honoré (Un Certain Regard) et Alice et le maire de Nicolas Pariser (Quinzaine des Réalisateurs).
Rendez-vous à Cannes du 14 au 25 mai!