Puppylove : rencontre avec Delphine Lehericey

Puppylove a mis énormément de temps à sortir en salles : Delphine Lehericey en a d’ailleurs longuement parlé sur ce site (lire ici). Mais à partir du 7 mai, le public belge pourra enfin découvrir ce très attachant long métrage. Il s’agit pour la réalisatrice d’un premier véritable long métrage de fiction, elle qui a déjà réalisé des documentaires et même un moyen métrage, Comme à Ostende.

 

Ce nouveau projet, la jeune réalisatrice le porte donc en elle depuis des années: d’interminables mois d’écriture, un casting sans fin, le financement délicat, le tournage et puis l’attente, l’attente, l’attente avant la sortie en salles; heureusement ponctuée de quelques avant-premières et de festivals, de rencontres et d’encouragements.

 

[Cette photo et celle qui ouvre l’article – Photo FIFF 2013]

 

C’est au FIFF que nous avons croisé la cinéaste avant ses récents trips en Suisse pour la sortie nationale du film coproduit là-bas ou au Mexique où elle présentait Puppylove au festival de Guadalaraja. Une rencontre chaleureuse avec une réalisatrice vraiment sympathique et touchée par les réactions des premiers spectateurs qui semblaient parfaitement comprendre ses objectifs et apprécier ce film sensible et drôle, mais aussi émouvant, douloureux parfois, qui évoque les affres de l’adolescence, les rapports familiaux, une amitié teintée d’une vague ambiguïté et même les différences de classe.

« Je vois où tu veux en venir », sourit-elle. « On me parle beaucoup de La Vie d’Adèle, mais je n’ai évidemment pas été influencée par ce film. D’abord La Vie d’Adèle et Puppy Love ont été tournés en même temps. Jeune et Jolie, aussi d’ailleurs qu’on évoque parfois. Ensuite, mon film n’est pas une histoire d’amour comme celui d’Abdelatif Kechiche et puis surtout je ne pose pas le même regard que lui sur mon actrice. Mais alors pas du tout ». Elle rit. Sans en dire plus, on sent qu’elle n’est pas très fan du film-fleuve présenté en ouverture du FIFF, Palme d’or à Cannes. Loin de nous l’idée de la contredire…

 

Delphine en plein tournage – Photo Kaos

 

Puppylove s’inscrit en effet dans une tout autre dynamique. Le film se focalise sur des adolescents, mais sans jamais adopter un regard extérieur et concupiscent. Il cherche le naturalisme, mais avec une grammaire moins faussement révolutionnaire, en tout cas beaucoup plus authentique. Pour preuve cette première scène qui désarçonne où on voit Diane, l’héroïne du film sur le point de perdre sa virginité avec un jeune garçon lui aussi très inexpérimenté.

 

« Au tout début, j’avais écrit une scène qui ne devait pas se trouver en ouverture du film. Elle était beaucoup plus crue et moins drôle. Le garçon qui incarne Antoine n’avait jamais joué de sa vie et il était extrêmement mal à l’aise. Solène et lui se sont glissés dans les draps avec deux slips et ils devaient en enlever un. Ils étaient empêtrés dans les draps et on s’est vite rendu compte que leur maladresse était à la fois drôle, tendre. Juste et touchante. Beaucoup de moments de l’adolescence sont plus burlesques que réellement dramatiques. »

 

Finalement, la scène a presque complètement changé le ton du film tandis que les réactions instantanées donnaient à la réalisatrice une nouvelle confiance.

 

Delphine et le groupe Soldout qui signe la B.O. du film au festival de Guadalaraja

 

« Après cette première scène, beaucoup de membres de l’équipe sont venus me raconter leur première fois. C’était à la fois cocasse et totalement inattendu. J’étais submergée de confidences. Ça m’a surprise au départ, mais en même temps, ça m’a donné beaucoup de force. J’ai réalisé que si sur une seule scène, le film provoquait une telle envie de se confier, je touchais à quelque chose d’essentiel. Ça n’a d’ailleurs jamais arrêté depuis. Quand je montre le film en festival j’ai immédiatement des retours très forts et très francs. Les gens comprennent qu’on ne triche pas, que ce n’est pas une représentation faussée ou déformée de la vérité. Ça m’a immédiatement donné l’envie de laisser plus de liberté aux acteurs et de voir ce qui allait les déranger sur le tournage pour saisir les moments de vérité qui allaient vraiment nourrir le film et lui donner son authenticité. »

 

Au final, Puppylove est un petit bijou, joliment mis en scène et superbement interprété. À côté des adultes très différents les uns des autres (Jan Hammenecker vs Vincent Perez) et de seconds rôles marquants (on pense notamment au très physique Thomas Coumans), il donne l’occasion de découvert un duo de jeunes actrices épatantes.

 

« J’ai mis assez longtemps à trouver mes comédiennes, puis ça s’est débloqué d’un coup. On a fait plus de neuf mois de casting en Belgique, en Suisse et en France. J’ai tout d’abord rencontré Audrey Bastien qui incarne Julia. Ça m’a permis de passer à l’étape suivante et de chercher Diane car les deux personnages existent l’un par rapport à l’autre. Même si elles ont une vraie complicité, Julia domine et influence Diane. Le fait de connaître un des deux personnages me facilitait la tâche pour la suite. Il se fait que Solène et Audrey se connaissaient. Elles avaient même joué ensemble dans une série (NDLR Xanadu). C’est Audrey qui m’a persuadé de la contacter, car en fait Solène avait lu et initialement refusé le scénario. Mais Audrey était persuadée que sa présence sur le film la ferait changer d’avis. Et c’est effectivement ce qui s’est passé. Quand je les ai vues ensemble, il était évident que je tenais mon duo et alors que je pensais encore devoir chercher pendant des semaines, voire des mois, je me trouvais tout à coup prête à commencer à travailler avec elles. »

 

 

L’autre surprise du film est de retrouver Vincent Pérez dans un fort joli rôle, bien mieux mis en valeur que lors de la plupart de ces dernières prestations.

 

« À la base, pour moi, le personnage du film, c’était Patrick Dewaere », confie Delphine en souriant. « C’est naturellement un rêve que je ne pourrai jamais concrétiser. Mais j’avais vu Vincent Pérez dans plusieurs films dont ceux de Patrice Chéreau et je le trouvais extraordinaire, très proche de Dewaere dans l’intensité qu’il pouvait apporter à ses rôles ou dégager par ses attitudes. Or, depuis quelques années, il n’apparaissait plus dans des films très marquants, ce que je trouvais décevant. Même si ce que j’avais vu de lui n’était pas ce que je voulais le faire jouer, j’étais persuadée que je pourrais l’amener à faire exactement ce que j’avais en tête, qu’il était le bon comédien pour ça. Le déclic est venu quand je suis allée le voir au théâtre. On s’est rencontré après la représentation et j’étais assez fascinée de le voir toujours en mouvement. C’est ça que je voulais capter de lui dans le film : Vincent Perez au naturel. Évidemment, je ne perdais pas de vue que Puppylove serait un tout petit film en termes de budgets et d’équipe, mais ça ne l’a pas dérangé, bien au contraire: il s’est terriblement investi, s’est beaucoup démené et n’a jamais ménagé sa peine. »

 

DJ aux Machins 2014

 

Accueilli de façon dithyrambique en Suisse, Puppylove évoque un peu Beau-Père, un des grands classiques de Bertrand Blier. Un des plus beaux films de l’histoire du cinéma, sans doute.

 

« C’est drôle que tu évoques Beau-Père parce que c’est un film que j’ai toujours eu en tête. C’est pour cela que je te parlais de Patrick Dewaere. Évidemment, c’était une autre époque, une époque où on pouvait se permettre beaucoup de choses au cinéma. Ce n’est absolument plus possible aujourd’hui. J’ai quand même demandé aux acteurs de le regarder parce que sans le copier du tout, je sentais que le film que j’avais en tête allait un peu dans la même direction.  »

 

Le 7 mai, Puppylove débarquera donc sur les écrans belges, en même temps que Pas son genre, un film très différent, mais non moins réussi. Une belle journée à marquer déjà d’une grande croix dans votre calendrier cinéphile.

 

 

 

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