Pleins feux sur un obscur objet du désir :
L’univers de Jaco Van Dormael

Pleins feux sur Jaco Van Dormael, du 16 avril au 26 mai 2012, au Centre Wallonie Bruxelles 127-129, rue Saint Martin 75004 Paris 01 53 01 96 96

En cette période d’élections,  la France a plutôt multiplié les cartons rouges que les cartes blanches. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de celle que le Centre Wallonie Bruxelles de Paris offre à Jaco Van Dormael depuis le 16 avril et qui court jusqu’au 26 mai 2012.

Par Maryline Laurin, correspondante de Cinevox outre-Quiévrain.

 

Connaissant le bonhomme et son goût pour toutes les formes artistiques, on se doutait bien qu’il ne pouvait pas se contenter de rester sagement cantonné dans le domaine du cinéma qui lui a pourtant valu une reconnaissance internationale avec Toto le héros et Le Huitième jour. En dehors d’une magnifique rétrospective de ses propres œuvres, des films qui ont marqué son parcours de cinéaste, et d’une magistrale leçon de cinéma, Jaco nous a ouvert plus largement les portes de son univers artistique en redistribuant à son tour les cartes blanches du théâtre, des arts visuel, de la musique, de la littérature à ses amis.

 

[Photo Maryline Laurin]


Jaco van Dormael était sollicité depuis longtemps par Louis Héliot (conseiller cinéma au CWB) pour venir présenter son travail au dynamique centre belge parisien. Sur le mode « Pleins feux sur…», il a accepté avec en tête cette idée du partage de l’affiche et la possibilité de mettre en lumière des personnes qui lui sont proches.

Car le réalisateur  fonctionne en tribu. Tel un patriarche, il convoque sa famille à se réunir à chacun de ses projets. Sa famille de cinéma se confondant d’ailleurs facilement avec sa famille personnelle. Cet homme fort généreux ne fait rien sans amour, il monte ses projets dans l’amitié, les élève à la force des sentiments, ne se dévoile que dans l’intimité.

Dès lors, ce n’est pas seulement la persévérance de Louis Héliot et de Christian Bourgoignie (Directeur du CWB) qui ont payé, mais leur force de persuasion, consistant à prouver à Jaco qu’il serait chez lui au CWB. Une confiance réciproque qui bâtit les fondations de ce projet en forme de feux d’artifice artistiques préparés pendant un an.

 

[Photo Centre Wallonie-Bruxelles à Paris]

 

Comme le souligne Louis Héliot : « le principe de nos « Pleins feux sur…» est de concevoir un programme qui fasse plaisir à l’artiste. Il y a une idée de don mutuel, d’échanges. De mise à disposition de moyens, d’une certaine liberté qui pousse l’artiste à innover. Il n‘y a que pour l’exposition que nous lui avons mis une contrainte, celle du musée partenaire, l’inclassable Art) & (marges Bruxelles. Cette institution soutient depuis plus de 25 ans des créateurs qui ne s’inscrivent pas dans le circuit culturel officiel. Cela nous semblait coller parfaitement à l’univers de Jaco ».

 

 

[Louis Héliot et Jaco – Photo Maryline Laurin]

 

La classe de cinéma, menée par le même Louis Héliot, formé par André Delvaux à cet exercice, fait salle comble. Nous y retrouvons des étudiants en cinéma, en théâtre, des aficionados, et des curieux. Jaco, confiant, s’est livré plus qu’à l’accoutumée. Reprenant ses thèmes de prédilections comme la notion de beauté, le sens de la vie, la question du choix et de ses répercussions, le réel et l’imaginaire, il charme l’assistance.

«  Je ne sais pas pourquoi je pense que le réel est incernable. Alors je filme la perception que l’on a du réel plutôt que la réalité. Je crois que le cinéma et la vie n’ont rien à voir ». Non sans humour, il se décrit comme un enfant gâté par l’existence, qui croyait qu’elle se déclinerait toujours ainsi : un film réalisé, un prix reçu !

 

[Toto Le Héros]

 

En effet il a commencé par l’Oscar 1981 du meilleur film étudiant étranger avec Maedeli-la-bréche …Puis vint, la Caméra d’or…Une magique habitude qui se brisa sur l’accueil mitigé que reçut son dernier film Mr Nobody. Jusqu’à ce que les Magritte viennent réparer l’erreur avec une pluie de récompenses majeures.

 

[Le Huitième Jour]

 

Une aubaine, car c’est précisément celui-là qu’il préfère. « C’est de loin le plus abouti dans la structure narrative, celui auquel j’ai pu donner un maximum de liberté dans la forme ». Dans la salle des adolescents clament l’avoir adoré et largement téléchargé ! (ndC. Pour le coup, on vous conseille quand même de l’acheter en Bluray: ce chef d’œuvre vaut bien la toute petite dépense)

 

[Mr Nobody]


Discret sur son enfance Jaco  parle volontiers de ses premiers films sur les handicapés mentaux qui font partie de sa rétrospective: Stade 81, L’imitateur. De petits bijoux rarement montrés de même que l’ovni qu’est De boot, une comédie musicale étrange à la beauté picturale, mettant en scène des enfants naufragés. Quel choc de voir que tout est déjà dans ses premiers travaux comme une ébauche ou mieux une partie du puzzle que constituera le cinéma de Jaco Van Dormael, peuplé de volontaires répétitions, d’onirisme, d’humour, de liberté et d’amusement.

 

Jaco insiste sur ce dernier aspect, expliquant que sa direction d’acteur est basée là-dessus surtout lorsqu’il fait tourner des enfants ou des comédiens « particuliers ». « Par rapport à la direction d’acteur, je n’ai pas de méthode. J’essaie de m’amuser et qu’ils s’amusent. Le plus difficile c’est lorsque l’acteur se met en scène et qu’il s’inquiète de sa mèche ! ». Sourire.

 

[Photo Maryline Laurin]

 

 

« Pascal (Duquenne, photo ci-dessus), par exemple, est super carré. L’énergie y est, mais il a du mal avec la longueur. Alors on fait des petits sprints pour compenser l’insuffisance de mémoire. Pascal ne joue que s’il s’amuse donc nous communiquons cela à tout le monde ».

 

Présent dans la salle, Pascal acquiesce et rejoint sur scène son « grand pote ». Il est venu présenter ses monotypes dans le cadre de  l’exposition « Vision du  8e jour » pensé par Jaco. Des gravures d’une rare intensité flirtant du côté de Munch ou de Bacon. (Photoci-contre). Pascal n’a pas hésité à réaliser un dessin spécialement pour Cinevox. (Photo ci-dessous).

 

Appliqué, il nous explique la technique du monotype, du dessin sur plaque, puis s’isole pour croquer ces femmes. Chez lui aussi, comme chez son mentor, il est question du double. Huguette et Papy, ses parents veillent, heureux de cette nouvelle exposition avant celle qui lui sera consacrée à Bourges*.

 

Retenons également Célestin Pierret qui propose ses magnifiques sculptures de bois, ciselées comme de la dentelle de Bruges, puissantes comme du marbre. Sans oublier Thierry De Mey, le beau-frère de Jaco, compositeur, réalisateur qui présente son installation vidéo Rémanences , mettant en scène des danseurs spectralisés grâce à un système de captation par camera thermique.

Jaco se dégage de quelques questions par humour, place encore quelques anecdotes plaisantes: « Lorsque nous sommes revenus de Cannes tous les trisomiques de Belgique signaient des autographes en disant qu’ils étaient Pascal Duquenne. »

Au-delà du pied de nez  transparaît la fierté de la chance donnée, le bonheur de faire de l’extraordinaire avec du banal voir du « à la marge ».

Personne ne peut percer le mystère des goûts cinématographiques actuels de Jaco puisqu’il ne parle que de sa fille Juliette qui vient de réaliser un court métrage (lire ici) et de son ami Harry Cleven figurant dans la carte blanche cinéma avec un film inédit en France Pourquoi se marier le jour de la fin du monde.

 

Selon Jaco « Tout est voué à l’oubli …».

Ainsi, il a à cœur de ne pas laisser se perdre les travaux des aimés comme ceux de son frère Pierre (décédé en 2008), musicien de jazz qui a signé la totalité de ses musiques de film et a accompagné de nombreux musiciens, dont Philip Catherine.

Le  concert hommage à Pierre Van Dormael, en présence de sa femme, est mené par Hervé Samb. Un mélange de jazz et de mélodies sensibles et mélancoliques à l’instar du thème Mr Nobody. Quelques  têtes connues étaient dans la salle dont Natacha Régnier.

« Ce qui fait lien dans mes trois films, c’est la musique. Chaque fois, la structure du film correspond à la structure de la musique. Pour Mr Nobody justement ce sont des cycles qui se décalent par rapport aux autres. Parfois les rythmes commencent ensemble puis les rythmes sont divergents et convergents ».

 

Les projets de Jaco ? « Faire un film avec moins d’argent ! » plaisante-t-il. « J’ai déjà commencé avec Kiss and Cry* (photo ci-dessous), une espèce de long métrage fait directement sur scène avec 150 euros de décor. Ou comment tourner un long métrage sur la table de la cuisine ».

 

[Photo Centre Wallonie-Bruxelles à Paris]

 

 

Une fois de plus il s’agit d’une création collective de Jaco Van Dormael – Michèle Anne De Mey – Thomas Gunzig… Ce même Thomas Gunzig que Jaco invita dans sa « Formule Bistrot » utilisant la voix de la pétillante Isabelle Wéry pour donner vie à trois nouvelles de Thomas dont la truculente La circoncision des crocodiles, sorte d’excuse littéraire à l’absence de l’écrivain. Jaco interpelle le public par cette phrase cabotine: « On peut m’accuser de prosélytisme. J’ai invité Pascal …et Thomas… ! Mais avant d’être des amis, ce sont des personnes dont j’appréciais le travail ». Il ne pouvait donc en être autrement.

 

[Kiss and Cry]

 

Thomas Gunzig avec qui il s’est lancé dans un scénario à quatre mains pour son prochain film. D’ordinaire solitaire dans cet exercice, il confie: « J’aurais dû commencer avant. On s’amuse là aussi …en écrivant. Et au moins quand on n’a pas une bonne idée on passe une bonne journée. »

Jaco questionne constamment la notion de beauté. « Par exemple,  le Miroir de Tarkovski. Je suis ému par ce film, mais je ne sais pas pourquoi.  Rachel, Rachel de Paul Newman c’est un film qui a un rapport à la pensée ». Cela s’avère être une des autres obsessions de Jaco : savoir comment fonctionne la pensée pour que s’efface le réel. Un surréaliste de l’âme.

Il restera de ces deux jours passés avec Jaco, de la tendresse, le bonheur des retrouvailles, de formidables rencontres humaines, des surprises : Kaatji Van Damme la maquilleuse de Jaco depuis ses débuts (mais aussi du film Cloclo et Sur la piste du Marsupilami) venue sans le prévenir…Et la trace d’une œuvre marquante dans le cinéma belge qui est un kaléidoscope d’univers artistiques différents et complémentaires.

Si certains l’ignoraient : on ne met pas Jaco Van Dormael en boîte avec étiquette !

 

 

[Maryline Laurin]

 

 

 

 

Si vous regrettez d’avoir raté cet événement, vous pouvez vous consoler en vous procurant le très complet DVD Hors limites de Olivier Van Malderghem (réalisateur de Rondo) dans La collection de la Cinémathèque de la Communauté française, un portrait du cinéaste.

*Kiss & Cry (NanoDanse) sera présenté au Théâtre du Rond Point à Paris en juin 2013.

*Exposition Monotypes Pascal Duquenne à la Bibliothèque de Saint Martin d’Auxigny –  Du 4 au 30 juin 2012

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