« Petites »: génération traumatisée

Avec Petites, Pauline Beugnies dresse l’anatomie de l’empreinte du récit médiatique sur toute une génération d’enfants, celle qui a grandi avec l’affaire Dutroux. 

C’était au temps des VHS, quand les enfants riaient, chantaient, dansaient, en toute innocence. Une vie insouciante, au grand air. A la vue de tous. Jusqu’aux interférence. A l’interférant. Pour tous les enfants belges nés dans les années 80, il y a un avant, et un après Marc Dutroux. Une nouvelle normalité s’est imposée, comme une déflagration.

C’est toute leur vision du monde qui en est bouleversée. Et c’est l’histoire d’un échec collectif.

Retour aux faits. Juin 1995. La Belgique est en alerte. Julie et Melissa ont disparu, alors qu’elles se promenaient près d’un pont. L’enquête va durer 14 mois, avant que les corps des fillettes ne soient retrouvés dans la maison de Marc Dutroux. Le pays est sous le choc, elle a découvert le visage du diable, et les deux petits filles deviennent malgré elles des « héroïnes » de la culture pop. Pendant ces 14 mois –  et ceux qui suivront – la presse s’interroge sur le (dis)fonctionnement de l’enquête, les politiques se déchirent, les parents tremblent pour leur progéniture. Et les enfants, dans tout ça? Tous les autres enfants?

L’affaire Dutroux, bien qu’elle se déroule sur un temps long, à l’impact d’une déflagration, d’un attentat. Elle va changer la vie des enfants, soudain assignés à résidence, empêchés d’enfourcher leur vélo pour aller se promener librement, comme ils en avaient l’habitude.

Ce sont ces témoignages, leurs témoignages que Pauline Beugnies a réuni dans Petites, des témoignages mis en images à travers des films d’archive familiaux, où l’on voit l’insouciance faire place à l’inquiétude. Actualités d’époque et souvenirs de famille s’entremêlent, au fil des récits. Des récits qui soulignent la peur, l’incompréhension, et petit à petit, des sentiments beaucoup plus complexes et profonds.

Au commencement, la médiatisation de la disparition de Julie et Melissa fait surgir à la télévision des visages d’enfants, et se mettent à coloniser l’imaginaire collectif. C’est un drôle d’appel alors que jusque là les enfants étaient plutôt absents de l’espace médiatique. Et puis quand Dutroux est arrêté, que l’on découvre l’ampleur de ses agissements, c’est comme une « bombe atomique émotionnelle » qui explose. Les enfants sont imprégnés du discours destinés aux adultes, que l’on tente souvent vainement de leur cacher.

On n’a pas écouté les enfants, on ne les pas fait parler, on n’a pas chercher à les faire exprimer leur ressenti. Si les adultes ont eu leu r catharsis à travers le débat politique, et la mise en cause des institution qui ont pu se révéler fautive, les enfants eux ont été mis face à des questions auxquelles ils n’étaient pas préparé, et pour lesquelles on ne leur a donné aucune réponses.

Beaucoup d’entre eux ont découvert la sexualité par le biais de la maltraitance sexuelle, ce qui a changé leur vision des choses. On leur a légué une image de la police et de la gendarmerie terriblement sombre, de la justice, aussi. Image que l’évasion de Dutroux est venue assombrir encore un peu plus, s’il en était besoin. C’est toute une génération qui perd confiance en la politique avant même d’avoir pensée à la politique. « J’étais en colère et j’avais honte » dit l’une des témoins.

Difficile pour cette génération abimée par ce fait divers devenu fait de société de devenir parents à son tour, héritière d’une inaction collective, d’une société qui n’a pas pu ou pas su ouvrir un débat précieux sur l’inceste et la pédophilie, clarifiant les termes et les contextes, et s’est contenté d’enfermer les enfants.

 

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