Où va la Nuit:
Yolande Moreau, femme fatale

Dans Séraphine, Yolande Moreau peignait avec les doigts pour incarner une peintre oubliée, passée aujourd’hui à la postérité grâce au cinéma. En 2009, cette première aventure commune du duo Yolande Moreau – Martin Provost vaut aux deux artistes la reconnaissance de tous les professionnels et… sept César. Excusez du peu. Avant Provost, ils n’étaient qu’une poignée à avoir réalisé ce type d’exploit: Alain Resnais, Louis Malle, Roman Polanski, Alain Corneau et le couple Bacri-Jaoui. Soit quelques uns des plus grands noms du 7e Art. Pour Yolande, il s’agissait d’une deuxième consécration après Quand la mer monte pour lequel elle avait doublé son prix d’interprétation d’un trophée de la meilleure première œuvre en tant que réalisatrice.

Après un tel coup de force, il était écrit que ces deux amis se retrouveraient forcément. Sans attendre trop longtemps. C’est déjà chose faite avec Où va la Nuit qui sort ce mercredi sur les écrans belges. Ce film noir, émouvant, troublant même, est adapté du livre Mauvaise Pente de l’irlandais Keith Ridgway (éditions Phébus), Prix Femina étranger et Prix du 1er roman étranger en 2001.

« Ce qui m’a touché d’abord à la lecture du roman », explique Yolande Moreau au Midi Libre, « c’était le fait que ce soit une femme battue. Mais il ne s’agissait pas de tomber dans la plainte. J’ai eu envie, pour l’incarner, de parler très bas, comme les femmes en dépression, qui n’ont plus de voix. C’est une femme qui ressasse. C’est un personnage plus sombre, plus intérieur, plus difficile que celui de Séraphine. »

Alors que le roman se déroule dans les années 70, Martin Provost a transposé son scénario à notre époque. Histoire de dire que rien n’a changé. Surtout pas la violence faite aux femmes, un thème qui a terriblement intéressé Yolande Moreau.

Où va la Nuit a été coproduit chez nous par Artémis. Outre Yolande Moreau, la plus belge des Normandes d’adoption, on trouve au générique des acteurs de chez nous comme Jan Hammenecker ou Laurent Capelluto. Même si ce n’est jamais précisé, les scènes filmées à la campagne l’ont été dans la région de Couvin. Mais c’est surtout Bruxelles qu’on voit dans le film, décidément une ville qui devient fort à la mode sur le grand écran. Ici, elle est la toile de fond d’une partie du récit, presque un personnage à part entière, en contrepoint de l’héroïne en fugue.

C’est là, en effet, que Rose Mayer (Yolande Moreau) vient se réfugier après avoir tué son mari. Il faut dire qu’elle a de sérieuses circonstances atténuantes, Rose. Pendant de longues années, son insupportable conjoint, violent et alcoolique, l’a battue sans relâche, la réduisant au silence et à la soumission. Lorsqu’un soir, l’occasion se présente, Rose n’a donc aucune hésitation: après 32 ans de brimades, elle saisit l’opportunité unique de se débarrasser de son bourreau et, sans demander son reste, s’exile en Belgique où elle retrouve son fils: de bars en musées, dans les rues chargées d’une atmosphère trouble, elle erre dans un Bruxelles plutôt arty, étrange, presque incongru au contact de cette femme blessée, un peu frustre. Et traquée.

Ce rôle de meurtrière n’est d’ailleurs pas une nouveauté pour la grande Yolande Moreau puisqu’elle avait déjà du sang sur les mains dans Sale Affaire, un one woman show qu’elle écrivit et interpréta en… 1982. Preuve que ce talent que tout le monde lui reconnaît aujourd’hui ne date pas d’hier.

Sans surprise, l’actrice est à nouveau formidable dans ce portrait complexe d’une épouse en cavale, brisée: décalée, elle compose avec sobriété un personnage qui s’ouvre à la vie après avoir été réduite au silence pendant des années.

« Ce trajet s’accompagne, écrit Adrien Gombaud dans les Echos, d’un travail sur le son où la musique de la ville enlace une partition aérienne d’Hugues Tabar-Noual. Où va la nuit est aussi un beau film de chef opérateur. La lumière d’Agnès Godard coulisse de séquences nocturnes en contre-jours pour se terminer par une explosion cristalline, façon Thelma et Louise en Wallonie. Où va la nuit ? Vers le jour. »

On l’a compris: encore une fois l’essentiel de la critique française a accueilli le film avec enthousiasme. Chez nos voisins, le film est sorti depuis le 4 mai. On a failli attendre…

 

A voir à partir du 1er juin au Vendome à Bruxelles, à Liège au Parc, au Caméo 2 namurois et au Plaza Art à Mons

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