Un story-board?
C’est, nous apprend Wikipedia, « la représentation illustrée d’un film avant sa réalisation. Il s’agit d’un document technique généralement utilisé au cinéma en préproduction afin de planifier l’ensemble des plans qui constitueront le film.
On y décrit l’ensemble des paramètres cinématographiques (cadrages, mouvements de caméra et de personnages, raccords, etc.) avec la plus grande exactitude possible, afin de visualiser et planifier le tournage du film. Il est très pratique, car il améliore la circulation des informations entre les équipes de tournage, et constitue donc un outil de référence lors de la production du film. »
C’est bien Wikipédia. C’est bien aussi un story-board…
Ce support artistique est très courant aux États-Unis, pratiqué en France, mais très peu usité en Belgique. La faute sans doute à des budgets trop riquiquis qui n’incitent pas au recrutement d’artistes spécialisés dans ce genre d’exercice.
Et pourtant…
Et pourtant comme on dit souvent, un petit croquis vaut mieux qu’un long discours. Un réalisateur peut avoir clairement en tête les axes et les mouvements de caméra, les cadrages, qui serviraient le mieux son propos, encore faut-il que tout le monde comprenne l’intention et les subtilités de la scène.
Au bout du compte, le temps ainsi gagné sur le plateau représente une économie rationnelle en plus d’être évidemment un gage de qualité pour le film.
Moins de place pour l’impro, OK. Mais plus de précision, ça c’est certain. Au prix de l’heure de tournage, ce n’est pas… un luxe.
En Belgique, quelques cinéastes gribouillent de temps à autre un story-board, seul ou avec un pote, mais pour certains, c’est un métier. Même s’il est difficile à exercer ici.
Olivier Legrain, peintre et dessinateur compulsif, est connu pour avoir coscénarisé et storyboardé Dikkenek. Plus récemment, il a aussi dessiné pas mal de plans d’Alelluia, le quatrième long métrage de Fabrice Du Welz qui sort aujourd’hui en salles.
STORYBOARDING
« À la base, je suis dessinateur, illustrateur, » explique Olivier, jeune quadra dynamique et sympa, très enthousiaste. « J’ai fait une formation à StLuc dans les années 80/90. J’ai toujours adoré le cinéma et un jour je suis tombé à la Fnac sur un livre du story-board intégral d’IP5 de Jean-Jacques Beineix, le dernier film d’Yves Montand. J’ai été scotché par ce livre qui coûtait très très cher et que je n’ai pas pu m’offrir alors. Heureusement, je l’ai retrouvé ensuite dans une brocante (il rit).
J’ai immédiatement trouvé ça très fascinant: ce n’était pas de la BD, mais ça en avait la forme. Par contre, le trait était sauvage, pas vraiment terminé et ça m’a captivé. L’envie de raconter des histoires est venue après, mais ce que j’aime avant tout, c’est créer des atmosphères, des ambiances de films pour que les gens comprennent, au-delà du scénario, l’intention du réalisateur.
Pour Dikkenek, (les deux dessins ci-dessus) j’avais storyboardé des séquences seul dans mon coin pour enrichir le dossier de présentation quand nous avons amené le projet à Luc Besson. Ça a été utile pour convaincre des actrices comme Catherine Jacob, ou Marion Cotillard. Ce n’est qu’ensuite que j’ai travaillé sur le story-board technique qui reprenait toutes les consignes, les mouvements de caméra… Comme je l’ai fait avec Fabrice sur Alelluia. Fabrice est un cinéaste très précis qui sait parfaitement où il va. C’est un incroyable plaisir de bosser avec lui. »
ALLÉLUIA
« On s’était rencontré il y a quelques années quand il réalisait des reportages pour l’émission Kulturo. Il avait tourné un sujet sur une de mes expos de peintures. On s’est immédiatement bien entendu, mais on n’est pas parvenu à travailler ensemble sur Calvaire. Je pense qu’on était trop jeunes et trop orgueilleux.
Heureusement, les années ont passé, chacun a mûri sans doute et notre collaboration sur Alleluia a été facile, amusante et très excitante.
J’ai d’abord dévoré le scénario qu’il m’a filé, puis je me suis mis à dessiner avec Fabrice à mes côtés qui me donnait plein d’indications. On avait une vraie proximité.
Je sentais son souffle dans mon cou (il rit). On travaillait vite et beaucoup, mais il y avait aussi une super ambiance. On a pas mal déconné. Il était très précis, conscient de ce qu’il voulait, mais également ouvert à la discussion et à certaines de mes idées à l’occasion.
Fabrice espérait un maximum de croquis, parfois des esquisses très très rough, parfois même des machins assez vilains. Évidemment, moi j’aime les beaux story-boards, très soignés, mais il avait raison, bien sûr.
Vu le budget étriqué, on ne pouvait pas tout se permettre. On avait un choix de base qui était de se concentrer sur quelques scènes clefs ou au contraire, de dessiner un maximum de scènes, hormis les champs/contrechamps plus classiques qui ont moins d’intérêt.
Au bout du compte, j’ai pu storyboarder environ 8/10e de son film. Tout cela au feeling, sans encore avoir effectué les repérages.
Malgré ce handicap, quand tu vois Alleluia et que tu fais la comparaison, tu te rends compte qu’on est quand même très proche de notre travail initial. Je dirais que 65% des scènes sont conformes à ce que nous avions imaginé. Après, bien sûr, il y a d’autres impératifs qui interviennent. Nous avions dessiné une scène dans un dancing qui a été filmée. J’y étais pour faire un peu de figu : il y avait une atmosphère dingue et c’était très raccord avec l’univers global d’Alleluia. Mais finalement, la scène n’a pas passé le stade du montage: question de rythme, sans doute; ça ne le faisait pas dans le récit. À un moment, le monteur et le réalisateur doivent trancher. Même si c’est toujours compliqué. Tu sais: une moitié de Dikkenek a été coupée. Elle doit dormir quelque part dans une cave d’Europa Corps. Mais on ne la verra jamais.
ENVIE DE RÉALISER
Dans le passé, j’ai aussi travaillé sur Go fast (ci-dessus et ci-dessous) , le deuxième long d’Olivier Van Hoofstadt. Là, c’était un boulot totalement différent. J’avais des photos de repérages et j’ai bossé seul dans mon coin, mais avec du temps et dans un certain confort. Bon, ce n’était pas trop mon truc à la base, cette histoire de dealers et de malfrats, mais j’ai dessiné dans des conditions optimales pour un résultat aux petits oignons. D’ailleurs, quasi tout le story-board est au final sur l’écran. C’est là que je me suis dit que je pourrais sans doute passer à la réalisation.
Cet été, j’ai filmé un teaser pour un court métrage que je voudrais tourner avec Jean-Luc Couchard. Le dossier fort détaillé avec naturellement pas mal d’illustrations a été proposé à la commission qui ne l’a pas retenu lors du premier passage. Mais je ne désespère pas: j’écouterai les remarques et je l’adapterai en conséquence, même si bien sûr je ne compte pas édulcorer l’idée de base qui est de mêler horreur et humour. Je veux qu’on ait peur puis qu’on rigole. J’aime ce mélange. J’avais également un projet de série pour l’appel opéré par la RTBF et la Fédération, mais là aussi, c’était sans doute un peu trop décalé (il rit)
À l’avenir, j’adorerais bien sûr réaliser d’autres story-boards, mais le contexte des productions belges fait qu’il y a peu de demandes. C’est donc moi qui tente de démarcher les producteurs et les réals. Je profite à fond de toutes les ressources d’Internet.
J’ai un site évidemment (voir ici NDLR). Il est assez ancien et devrait être mis à jour, mais on peut y voir des tas de choses que j’ai faites: des dessins ou des affiches, des toiles et même quelques vidéos. Je suis persuadé que ce travail préparatoire constitue au final une économie et surtout une garantie d’obtenir un univers plus fort. »
Ce qui est quand même l’essence du cinéma… Et peut-être un des moyens d’augmenter l’impact visuel de nos films, qui sait?
Si quelqu’un d’aussi exigeant et pointilleux que Fabrice du Welz décide de passer par cette étape, c’est sans doute qu’il s’agit d’une voie à suivre.
La preuve à l’écran…