On reproche souvent aux films flamands de ne pas se risquer au-delà de leur frontière linguistique, leur zone de confort. Il y a plusieurs raisons objectives à cela: les œuvres belges francophones n’affolent pas le box-office sur leur terre et les longs métrages flamands font en général encore beaucoup moins bien. Pourquoi dès lors dépenser de l’énergie pour essayer d’attirer quelques spectateurs qui auraient échappé aux griffes de l’agent 007 ou résisteraient vaillamment aux morsures du dernier épisode de la saga Twilight? D’autant que le territoire flamand suffit en général à assurer le succès d’un film produit là-bas.
La probabilité que le grand public francophone décide l’aller voir Offline est proche de zéro. Mais quid du public cinéphile, fort choyé ces temps-ci ? La Chasse de Thomas Vinterberg (Festen) est également sorti ce mercredi dans énormément de salles, auréolé du prix d’interprétation masculine glané à Cannes par l’excellent Mads Mikkelsen tandis qu’Olivier Assayas nous présente Après Mai dans un circuit plus hardcore. L’homme a ses fans, ses fidèles. Amour, Caesar must die, Holy Motors, Dans La Maison, Reality ou… Tango Libre tentent de s’arracher les autres amateurs de 7e Art ambitieux.
C’est dire que Lumiere a bien du mérite à tenter sa chance chez nous avec Offline qu’on peut découvrir non seulement à Bruxelles (Vendome), mais aussi à Liège et Mons. Son atout? La qualité artistique d’un drame sombre et sans concession que Kurt Vandemaele, rédacteur en chef de l’édition flamande de Cinevox, a récemment qualifié de « film de classe mondiale ». Il a même compilé hier les 20 raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas manquer ce film (lire ICI)
Le pitch? Il est noir et implacable. A faire passer n’importe quelle œuvre des Frères Dardenne pour un ersatz de La Vérité si je Mens : Rudy Vandekerckhove, un ex-détenu assez lunatique, tente de remettre son existence sur les rails après sept années derrière les barreaux. Il espère reprendre son ancien boulot de réparateur de machines à laver et se rabibocher avec la famille qu’il a laissée dans son sillage à l’époque. Bien qu’il puisse compter pour cela sur l’aide de Denise, coiffeuse pensionnée, et de son ami Rachid, son sombre passé menace de le rattraper à nouveau.
Aussi bizarre que cela semble, Offline est le premier long métrage de Peter Monsaert. Il a essuyé les plâtres à l’occasion du 39e Festival du Film de Gand (du 9 au 20 octobre) en clôturant la compétition officielle. Avec à la clef une standing ovation délirante dont Kurt Vandemaele nous assure qu’elle a secoué les fondations du Kinepolis local qui naturellement lui a offert une belle salle pour sa sortie officielle.
C’est que dans la foulée de The Broken Circle Breakdown, les spécialistes du cinéma flamands s’attendent à un nouveau raz de marée. Peut-être pas de la même ampleur que le drame country de Felix van Groeningen qui avait attiré 100.000 aficionados pour ses 13 premiers jours d’exploitation, mais on serait étonné que le film ne fasse pas trois ou quatre fois mieux qu’A Perdre la raison qui devrait rester le plus gros succès francophone de l’année autour des 35.000 spectateurs.
Premier long métrage donc, pour un metteur en scène qui vient du théâtre et de l’art vidéo, mais premier très grand rôle flamand aussi pour Wim Willaert qu’on a découvert dans la production franco-belge Quand la mer monte, de Yolande Moreau et Gilles Porte. Le public flamand, lui, connaît surtout Wim Willaert pour ses rôles dans des films de Koen Mortier, Ex Drummer et 22 mei. À travers son interprétation de Rudy, l’acteur originaire de Flandre occidentale montre qu’il peut faire passer une touche de légèreté dans de grandes émotions, d’une façon très personnelle. Il faut dire que son rôle est dur et difficile. Beaucoup de charisme était nécessaire pour le mettre en valeur. Autour de lui, de nouveaux talents : Anemone Valcke, révélée par Moscow, Belgium et Oxygène/Adem et Robrecht Vanden Thoren, vu dans Hasta la Vista.
Un autre atout d’Offline est la bande originale, que Triggerfinger a composée. La tonalité s’écarte parfois de ce à quoi nous a accoutumés le groupe anversois le plus en vue du moment. Ruben Block et les siens ont enregistré cette B.O. au cours de leur tournée internationale dans un studio mobile. À côté du rock engagé et tonitruant dont ils sont friands, Triggerfinger propose une série de morceaux plus classiques, voire un rien mélancoliques, et même une plage inattendue qui n’est pas sans évoquer Chemical Brothers. En présentant son projet, Peter Monsaert a justifié son choix de Triggerfinger en déclarant que le groupe réunissait dans sa musique les extrêmes qui caractérisaient Rudy Vandekerckhove, son héros : « colère et désolation, doublées de résignation et de mélancolie ».
En Flandre, Offline va naturellement s’offrir la tournée des Grands Ducs. Tous les complexes lui ouvrent les bras, programmant désormais deux films flamands majeurs puisque The Broken Circle Breakdown conserve l’essentiel de ses séances. Et dire que dans un gros mois débarque Brasserie Romantiek, calibré pour être le grand succès populaire des fêtes d’Ostende à Genk, de Courtrai à Anvers en passant par Bruges, Gand et Bruxelles. Bienheureux les producteurs, distributeurs et exploitants du Nord qui peuvent compter sur la ferveur d’un public connaisseur et fidèle….