« Vu ses conditions de production, il [Nous Quatre] a les qualités de ses défauts : par moment bricolé par moment tellement beau, un peu naïf, mais franchement rafraîchissant, quelquefois déroutant, mais toujours sincère et parfaitement assumé. Pari réussi ! »
Aborder la présentation d’un film que nous suivons pas à pas depuis trois ans maintenant, n’est pas chose aisée. C’est pourquoi nous avons décidé de la commencer par un extrait d’une réaction publiée par Philippe Reynaert sur Facebook qui a fait grand bruit après la formidable Première liégeoise du 18 septembre. Car, en fait, si nous voulions être concis et nous contenter de trois petites lignes pour évoquer le premier long métrage de Stéphane Hénocque, nous aurions nous contenter de cette analyse définitive.
Mais la concision n’a jamais été notre qualité la plus flagrante, vous ne l’ignorez plus… 😉
Nous Quatre qui sort en salles mercredi prochain et sera la vedette belge des BNP Paribas Fortis Filmdays dès ce dimanche est en effet un long métrage atypique, imparfait, mais dont les imperfections mêmes font le charme tant il nous embarque au-delà de la raison en nous prenant par la main, pour ne pas dire par les tripes. Pour faire court, Nous Quatre est le prototype du film a voir (à vivre) en salles, tant il a été tourné avec un seul espoir en tête : plaire au public, amuser le spectateur pas forcément cinéphile, le toucher, l’émouvoir, le marquer…
On commence maintenant à connaître le pitch, mais il n’est pas inutile de le rappeler ici, une dernière fois, pour tous ceux qui découvriraient seulement l’existence du film : quand David apprend qu’il est atteint d’une maladie grave et doit subir une greffe de moelle osseuse, sa vie bascule. Désemparé, son père adoptif lui révèle l’identité de son père biologique qui pourrait être donneur compatible. Il y a peu de chances, mais sait-on jamais…
Avant de partir à sa recherche, David demande de l’aide à ses trois meilleurs amis, Vincent, Léo et Chloé, dont la relation s’est dégradée avec le temps. Il réussit à les convaincre de faire avec lui ce qu’il pense être une virée d’une après-midi… mais qui va se transformer en voyage inattendu à travers le pays, semé d’embûches et de rencontres insolites.
Nous Quatre est-il un film sur la maladie ? Pas du tout ! La maladie de David n’est pas le sujet du scénario, mais une épée de Damoclès qui pend au-dessus de sa tête et va le pousser à faire des choses urgentes de façon un peu précipitée et notamment de se rabibocher avec ses meilleurs amis. Ou tenter de le faire. Beaucoup de gens comparent Nous Quatre aux Petits Mouchoirs et l’analogie est loin d’être idiote : il y a de vrais points communs entre les deux sujets.
Cela dit, les films ne se ressemblent pas complètement : Les Petits mouchoirs est une grosse production française dotée d’un joli paquet de millions d’euro et boostée par un casting quatre étoiles tandis que (excusez-nous de le répéter) Nous Quatre a été tourné avec huit mille euros par un réalisateur et des acteurs tout à fait débutants. De là à conclure que l’un est une réussite et l’autre une pâle copie, il y a un énorme pas qu’aucun critique un peu sensé ne franchira. Les deux films tracent leur sillon et, au final, laissent une marque indélébile chez les très nombreux spectateurs qui les ont aimés. Pas forcément les mêmes d’ailleurs (l’auteur de ces lignes avouant volontiers une indifférence assez inexplicable vis-à-vis du blockbuster français).
Nous Quatre est donc un film sur l’amitié. Avant tout. C’est aussi un road movie d’autant plus amusant qu’il se cantonne à la Belgique. Au départ, il aurait même dû se limiter à un voyage express entre Liège et Namur, mais les circonstances en ayant décidé autrement, les quatre amis seront amenés à découvrir des endroits inattendus au fil d’un périple tendre, parfois surréaliste, et souvent porteur d’émotions fortes.
Comme le dit (en préambule) Philippe Reynaert, le film a donc « les qualités de ses défauts : par moment bricolé par moment tellement beau, un peu naïf, mais franchement rafraîchissant, quelquefois déroutant, mais toujours sincère et parfaitement assumé. »
Et même si de prime abord on peut juger cette analyse mitigée, dans les faits elle ne l’est pas du tout comme le confirme la fin de son texte : « Pari réussi ! ».
Le film est-il bricolé ? Évidemment ! Quand on tourne en quinze jours sans pouvoir recommencer mille et une fois les scènes, on est forcément obligé de parer parfois au plus pressé. Mais le bricolage peut être génial et à de nombreux moments il l’est ici.
Un peu naïf, Nous Quatre? Attendez-vous qu’un premier film réalisé par un nouveau venu autodidacte de 27 ans avec de tout jeunes acteurs qui n’ont jamais tourné soit un opus parfaitement équilibré qui ne loupe jamais sa cible ?
Non, la naïveté qui émane de Nous Quatre fait intégralement partie de sa réussite. Et oui, comme le précise Philippe Reynaert elle est rafraîchissante dans un monde où certains aimeraient que rien ne dépasse, que tout soit parfait, lisse. Et emmerdant aussi.
Non, mais franchement, vous avez envie de voir un film parfait ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’un film parfait ? Le film parfait n’existe pas, car sa définition varie selon le ressenti de chaque spectateur. Et puis, un film parfait se juge avec la tête alors qu’ici, Stéphane Hénocque d’adresse aux tripes.
Le film est-il déroutant ? En tous cas, il a étonné quelques cinéphiles en brisant les codes : la musique, totalement dans l’air du temps, est omniprésente et parfois le réalisateur préfère l’explication à l’ellipse ce qui peut sembler lourd. Mais quand on voit ses voisin(e)s écraser leurs larmes à la sauvette avec un kleenex, on se dit que ces scènes sont ce que le spectateur attend pour s’enflammer et que c’est peut-être ce qui manque à certains films pour pénétrer le cœur du public.
Parfaitement assumé, tout ce qui pourrait sembler être des défauts devient tout à coup atouts pour le film. C’est ce qui nous a immédiatement plu dans Nous Quatre : de toute évidence, le réalisateur sait comment réaliser un film pour le grand public et le fait sans complexe, avec les moyens du bord certes, mais avec une sincérité qui force l’admiration. Il l’expliquait d’ailleurs dans une de nos capsules directors cut les plus émouvantes que vous pouvez voir sur le site de Cinevox (ICI).
En visant le grand public, il s’adresse aux 7 à 77 ans selon l’expression consacrée, avec une propension à séduire sa génération, les 20/35, précisément ceux qui se déplacent en salles. Mais sans épargner personne. Parce que ce qu’il raconte est universel. Bien qu’on ne l’ait jamais vu raconté comme cela, « à la belge ».
Au-delà du savoir-faire de Stéphane, la réussite du film repose naturellement sur l’interprétation : la chef de meute, Justine Louis, seule femme du film ou presque, le silencieux Pierre Olivier, l’hilarant Florian Pâque et le tonitruant François Huberty étaient tous débutants quand le film s’est tourné.
Depuis, les trois premiers ont terminé le cours Florent et trouvent des rôles sur les planches ou au cinéma. Justine a même écrit et réalisé une websérie dans laquelle elle joue. François, prof de gym à Liège, commence à avoir de solides touches dans le milieu.
Ces quatre-là, chacun dans un registre très particulier apporte au film sa petite musique pour composer une mélodie bien plus inhabituelle qu’on pourrait le croire a priori. Devenus amis dans la vie comme dans le film où ils se sont découverts, ces quatre-là ont une belle carrière devant eux.
À leurs côtés, road movie oblige, une poignée d’acteurs trouvent tous leur meilleur rôle à l’écran. Pour préserver les surprises du développement, nous vous laisserons le plaisir de les rencontrer un à un sur grand écran au fil du film, mais nous citerons néanmoins ici celui qui ouvre les débats et tient une bonne place dans la bande-annonce, un Renaud Rutten, inattendu, bouleversant dans un rôle sobre et douloureux.
Le contre-emploi est formidable et nous révèle une facette méconnue de l’humoriste grinçant qui a toujours fait confiance au réalisateur avec qui il est lié depuis longtemps. Avec pudeur, Renaud Rutten apporte d’emblée au film la tension émotionnelle qui est sa principale caractéristique : car si Nous Quatre n’est pas du tout un film triste (on rit parfois… aux larmes), c’est un film incroyablement touchant qui rougit les yeux des spectateurs apparemment ravis de s’être laissés manipuler (le cinéma n’est pas également l’art de la manipulation ?).
On n’oubliera pas d’associer à la réussite globale Simon Fransquet qui a signé l’essentiel de la B.O. avec Henry Bliss et le groupe Till u faint. Mais aussi le chef op Michiel Blanchart et ceux qui ont travaillé sur le son, particulièrement soigné et monté avec une beaucoup d’imagination. Plus les petits génies qui ont peaufiné tout cet été la postprod du film et donne au film son allure définitive.
Depuis le lancement de Cinevox, avouons-le, nous n’avons pas eu souvent l’occasion de soutenir d’excellents films populaires tournés vers le grand public, écrits et tournés sans aucune arrière-pensée, réserve ou envie d’en rajouter une couche artistique pour plaire à qui de droit. Ce n’est apparemment pas dans l’ADN du cinéma belge francophone tel qu’il est plus ou moins formaté aujourd’hui.
Du coup, Nous Quatre est un OVNI, mais un OVNI étincelant qui pourrait illuminer vos nuits comme il illumine déjà d’un sourire béat le visage de tous ceux qui l’ont fait et n’en reviennent pas du bonheur que le film suscite autour d’eux.
Imparfait, magique et indispensable !