« Nos Batailles », métamorphose d’un père

Avec Nos Batailles, Guillaume Senez livre le portrait fort et émouvant d’un homme qui se révèle père dans l’adversité, renouant le lien distendu qui l’unissait à ses enfants quand leur mère disparait soudainement. Une nouvelle responsabilité qui agit comme une véritable révélation.

Nos Batailles, c’est l’histoire d’une épiphanie forcée. Une de ces farces de la vie qui vous pousse à prendre conscience malgré vous d’un manque tapi au fond de vous, sur lequel vous n’aviez jamais mis le doigt.

Olivier est un peu perdu. Il surnage laborieusement, alourdi par un quotidien exigeant. Hyper impliqué dans son travail, attentif au bien-être de ses collègues avant le sien, partant tôt et rentrant tard, sa famille et lui mènent une vie en décalage. Il voit à peine Laura, sa femme, et leurs deux enfants. Laura souffre visiblement de ces absences. Elle marche sur un fil. On la sent à fleur de peau, mélancolique, et même fuyante. D’ailleurs un soir, Laura ne va pas chercher les enfants à l’école. Elle ne rentre pas non plus à la maison. Le fragile équilibre qui faisait tenir la famille sur un fil rompt brusquement avec cette disparition aussi fulgurante qu’inattendue.

Alors au jour le jour, Olivier va tenter de retisser le lien délicat qui l’unit à ses enfants, et surtout, de trouver des solutions concrètes et très logistiques à cette équation quasi-insoluble: comment mener de front une vie professionnelle exigeante et une vie de famille épanouie quand on est parent isolé? Par chance, isolé, Olivier ne l’est pas tant que ça. Il est même entouré de présences féminines fortes qui l’épaulent de leur amour et leur présence, sa mère, sa soeur, ou même sa collègue, témoignent de leur solidarité pour aider Olivier à modeler un nouvel écosystème familial. Toutes l’aident avec volonté, détermination et puissance, alors que lui se sent si impuissant quand il s’agit d’aider les autres.

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Nos batailles suit les atermoiements d’un père de famille qui doit faire le difficile apprentissage des codes qui régissent une société nouvelle qu’il n’a pas anticipée. Sans même s’en apercevoir, il reproduit de vieux schémas patriarcaux, là où sa situation voudrait qu’il voit les choses d’un oeil neuf. La famille est à repenser, le travail aussi. Le film mêle  avec délicatesse l’intime et le social, la sphère privée et la sphère publique, la famille et le travail.

Il plonge d’ailleurs son personnage au coeur du monde du travail, d’une société ubérisée, où lutter pour ses valeurs demande une énergie dévorante. Si Olivier se retrouve devoir faire face à une situation nouvelle dans sa sphère privée, il est également confronté aux effets du capitalisme 2.0, qui mettent à mal son engagement syndical et ses convictions les plus profondes.

L’une des réussites de Nos Batailles tient aussi au traitement de l’absence. Comment parler d’une désertion, sans condamner la déserteuse? Comment laisser imaginer sans forcément l’expliquer la détresse de cette mère démissionnaire? Guillaume Senez s’en sort notamment en entourant son héros de personnages féminins forts, qui portent un discours et un regard franc et bienveillant sur le choix de Laura. Sans en connaître les motivations, aucune ne doute de la vérité de son geste. Là où elle est, elle souffre certainement. Il faut laisser le temps de la guérison, et trouver sur le chemin un nouvel équilibre.

La direction d’acteur est à la hauteur de ces zones de doutes où le jugement doit rester suspendu. Dans le rôle d’Olivier, autour duquel gravite tous les autres personnages, on retrouve un Romain Duris renversant. Le comédien y est impeccable, et semble s’être particulièrement épanoui dans la composition de ce rôle fort, et la méthode de travail prônée par le réalisateur, qui ne fournit pas les dialogues aux comédiens, mais les construit avec eux sur le plateaux.

Autour de lui, les comédiennes sont exceptionnelles. Lucie Debay (King of the Belgians, Melody) endosse le rôle difficile de Laura, la mère démissionnaire, et parvient en quelques scènes à incarner toute la complexité de son personnage. Laetitia Dosch (Jeune femme, Gaspard va au mariage), déjà à l’affiche de Keeper, excelle une fois de plus, de même que la désarmante Laure Calamy (Embrasse-moi, Pour le réconfort, Dix pour cent), dans le rôle de la collègue de travail en pleine remise en question personnelle et professionnelle, et Dominique Valadié (Un chat un chat, Au bout du compte) dans le rôle de la mère d’Olivier. Mention spéciale également aux deux jeunes enfants dont c’est le premier rôle, Basile Grunberger et Lena Girard Voss, et qui sont confondants de naturel.

Nos Batailles est produit par Isabelle Truc, qui accompagne le réalisateur depuis ses débuts, pour Iota Production. Il est coproduit en Belgique par Savage Film, et en France par Les Films Pelleas. Il a reçu du Centre du cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la RTBF, BETV, Casa Kafka, le VAF, la Région Rhône-Alpes, Indefilm, Ciné +, et le support de Média Développement. Il est vendu à l’international par Be For Films, et sera distribué au Benelux par Cineart (sortie Belgique le 3 octobre), et en France par Haut et Court (sortie le 10 octobre).

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