Mweze Ngangura: « Eviter l’exotisme et faire du cinéma tout court »

La rétrospective 50 ans du Festival Panafricain FESPACO était lancée hier par la Cinematek avec une soirée consacrée au cinéaste congolais installé à Bruxelles Mweze Ngangura, double lauréat au Festival du Cinéma Panafricain de Ouagadougou. Compagnon de route de figures marquantes de la culture pop congolaise de ces dernières années telles que Chéri Samba ou Papa Wemba, nous l’avons rencontré hier à la veille du lancement de la rétrospective. Il revient pour nous sur son parcours, et les cinémas africains d’hier et de demain.

Comment êtes-vous arrivé à l’IAD il y a près de 50 ans déjà?

Je suis arrivé le 7 octobre 1970! Je venais d’achever mes études secondaires dans un collège jésuite de Bukavu. J’y avais gagné une bourse d’études de la coopération belge qui me permettait de faire des études supérieures en Belgique, mais uniquement des études n’existant pas au Congo.

J’ai vite pensé au cinéma car c’est un domaine qui m’intéressait beaucoup. J’avais eu deux professeurs qui nous avaient projeté de nombreux films, de vieux films français comme Jeux Interdits ou Le Président, mais aussi Le Cuirassé Potemkine, et nous avaient enseigné quelques rudiments du cinéma. Les gens de l’administration m’ont tout de suite parlé de l’INSAS, qui était au pied de leurs bureaux, mais entre temps, j’ai rencontré à la Maison Africaine un compatriote qui m’a parlé de l’IAD. Arrivé le vendredi soir à Bruxelles, le lundi matin, je débutais l’IAD!

Y’avait-il une communauté congolaise à l’époque à Bruxelles, active dans le secteur audiovisuel?

J’ai rencontré deux camarades à l’IAD, Roger Kwami et Victor Matondo. Celui-ci est finalement rentré à Kinshasa travailler pour la télévision, mais Roger Kwami a reçu un Prix au Fespaco pour son film de fin d’études, Moseka. J’étais aussi dans la classe du petit frère de Marian Handwerker, et je suivais des cours avec Thierry Michel! Mais il faut dire qu’à l’époque, les fonds pour produire des films dits africains se trouvaient surtout en France.

Comment vous êtes-vous lancé après vos études?

Je suis d’abord retourné travailler à Kinshasa, dans un centre de formation pour adultes. J’avais réalisé, avec mes étudiants, un film sur le peintre Chéri Samba, qui était passé à la télévision. Des collègues m’ont informé de l’existence d’un concours de films, dans le cadre duquel j’ai réalisé mon premier court métrage documentaire professionnel. Il s’agissait de demander à des cinéastes locaux de réaliser des films sur les villes du tiers monde. Il y avait même un apport d’Antenne 2 à l’époque, soit de la télévision française! Kin Kiesse, qui a été sélectionné au FESPACO, a d’ailleurs gagné là-bas!

Suite à ça, j’ai reçu de l’argent de France pour l’écriture de La Vie est belle

cinematek 0512 8 copyright CINEMATEK / Bea borgers

Un film finalement produit en partie en Belgique?

Oui! J’ai fait lire à l’époque le scénario à mon ancien professeur, Benoît Lamy. Celui-ci m’a proposé de produire le film en Belgique, et pour recevoir les aides, il fallait qu’il soit crédité comme co-réalisateur. Ce n’était pas vraiment comme ça que je voyais les choses, mais toujours est-il que c’est effectivement comme cela que le film s’est retrouvé produit en Belgique.

Dans ce premier film, on retrouve un comédien et chanteur qui est devenu une vraie star au Congo…

Oui, déjà dans Kin Kiesse, il y avait Chéri Samba, mais il y avait aussi Papa Wemba. D’ailleurs, dans le film, on retrouve aussi les musiciens de Staff Benda Bililli. Finalement, le film s’inscrivait dans une certaine marginalité, et pas franchement dans le contexte officiel du Zaïre de l’époque. Il n’y avait aucune allusion au parti unique, en plein mobutisme. Un petit crime de lèse-majesté en soi. On n’étais pas les voix officielles du régime… Plus tard, j’ai retrouvé Papa Wemba dans La Vie est belle, dont il est le héros. Il fait aussi des apparitions dans mes films suivants.

LA_VIE_EST_BELLE

Puis c’est le retour à Bruxelles dans les années 90?

Je suis revenu en Belgique après Kin Kiesse pour des raisons personnelles, mais aussi parce que nombre de mes congénères cinéastes africains étaient installés en Europe, tout en continuant à faire leurs films en Afrique. L’accès aux sources de financement y était plus direct. J’avais dans ma besace le scénario de mon long métrage suivant, Pièces d’identité, mais comme ça prenait du temps à produire, je me suis dit que j’allais d’abord réaliser un documentaire sur la musique, à Bruxelles. Je trouvais qu’à une époque où on parlait beaucoup de multi-culturalisme et d’ouverture à d’autres cultures, je trouvais que c’était la musique qui véhiculait cela le mieux. Changa Changa parle de musique et de rencontre des cultures africaines et européennes à Bruxelles. Le premier titre du film était d’ailleurs Bruxelles en black et blanc.

On retrouve d’ailleurs la musique dans Pièces d’identités, avec lequel vous retournez d’ailleurs au Fespaco?

Oui, c’était un beau moment. Je me souviens, j’étais assis avec feu mon ami Idrissa Ouedraogo, qui me dit soudain: « Mweze, tu as la tête d’un cinéaste qui va gagner l’Etalon d’or ». Et sa prophétie s’est réalisée! C’est un festival important pour moi, qui a permis de lancer ma carrière.

cinematek 0512 6 cinematek 0512 8 copyright CINEMATEK / Bea borgers

Rétrospectivement, comment voyez-vous l’évolution des cinémas africains depuis vos débuts, et comment envisagez-vous l’avenir?

Les cinéastes qui ont précédé ma génération voulaient raconter l’Afrique avec un côté un peu donneur de leçons, je crois qu’ils se sentaient investis d’une mission, celle de conscientiser leurs peuple aux problèmes du développement, à la lutte anti-coloniale, à l’image de Sembène Ousmane.

Pour les cinéastes de ma génération, on ne se sentait plus cette responsabilité, mais plutôt l’envie d’aller à la rencontre de nos spectateurs en Afrique. Parce que le cinéma africain étant essentiellement financé en Europe, il nous semblait devoir nous reconnecter avec les publics sur place, ce qui était rendu compliqué par le fait qu’il n’y avait pas vraiment de circuits de distribution. La question pour nous, c’était: « Pour qui filme-t-on? Et pour quelle diffusion? Comment amener nos films vers notre public? »

Récemment, j’ai rencontré un jeune Congolais qui vit à Paris, qui produit actuellement son film avec des financements de Canal Plus et de sociétés françaises. Il fait un cinéma que je décrirais comme métissé, capable de parler aussi bien aux publics européens qu’africains. Je crois qu’il faut considérer qu’entre notre génération qui essayait de se couper du passé militant du cinéma africain, et de faire un cinéma peut-être trop fermé sur l’Afrique, et les jeunes générations, la différence, c’est la volonté de toucher un public résolument international.

Il n’y a plus d’obsession d’écrire l’histoire du cinéma africain pour le public africain. Il faut que les jeunes générations évitent le piège d’un cinéma qui serait trop exotisant. Il leur faut absorber et s’approprier les codes du cinéma tout court, d’où qu’ils viennent. On a longtemps échafaudé des théories sur ce que doit ou ne doit pas être le cinéma africain, mais c’est une perte de temps. Il faut juste se donner les moyens de faire des films pour tous. Cet exotisme dans lequel les cinéastes africains avaient tendance à s’enfermer, je pense que c’est un obstacle à l’éclosion d’un vrai cinéma africain, mature et durable.

 

Crédit photos rétrospective FESPACO: Cinematek/ Bea Borgers

 

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