Martine Doyen: « Je trouve que le rire a perdu de sa force subversive. »

Nous avons croisé brièvement la cinéaste belge Martine Doyen à l’occasion de la projection en avant-première au BRIFF de son dernier film, Witz, avec Sandrine Blancke et Sam Louwyck. Elle nous en dit un peu plus sur ce projet atypique et décalé…

D’où vient l’idée du film, cette femme qui perd le sens de l’humour?

C’est une idée qui m’est un peu tombée dessus. J’aime bien ça, les idées qui vous tombent dessus, et dont on n’arrive plus à se débarrasser tant qu’on n’est pas allé jusqu’au bout!

En fait j’étais en train de regarder une émission scientifique à la télévision sur les cérébraux lésés. Un homme qui avait fait une chute à moto témoignait. Il avait perdu son sens de l’humour, mais il ne s’en était pas aperçu immédiatement. En voyant ça j’ai explosé de rire, et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser.

J’ai commencé à raconter une histoire, mais je ne voulais pas tomber dans l’illustration d’un syndrome. Moi ce sont les personnages qui m’inspirent, je les suis, et je vois où ils me mènent… J’ai donc créé ce personnage féminin qui a perdu son sens de l’humour, et qui doit changer de vie pour le retrouver. J’avais une impulsion, il fallait que je l’incarne.

Et finalement, c’est une comédie romantique avec un twist?

Au départ, je ne voulais pas forcément faire une comédie romantique, ou pas uniquement ça. Mais finalement, c’était assez stimulant de décliner les codes du genre.

Quand j’étais petite, je regardais beaucoup de films avec ma grand-mère, et notamment sur la BBC l’après-midi pendant les vacances. Que des vieux films! A 14 ans, je connaissais par coeur ce cinema-là, ces comédies romantiques américaines des années trente à soixante, de Capra à Hitchcock, souvent des films avec des univers visuels très marqués, et qui tourne autour d’une rencontre explosive.

C’est une réflexion sur le rire, et la façon dont il nous détermine?

J’ai beaucoup gambergé: qu’est-ce que ça veut dire rire? Ne plus rire? J’ai lu des philosophes, des sociologues, je me suis intéressée aux implications neurologiques du rire. J’ai découvert que cela avait aussi un impact très physique. On a testé le yoga du rire avec Sandrine Blancke, on a été assez étonnées, ça marche en fait! Même en faisant semblant de rire, on se sent beaucoup mieux après.

Le sens de l’humour, est vraiment constitutif de la personnalité de quelqu’un, on peut tomber amoureux de quelqu’un pour son sens de l’humour.

C’est aussi une façon d’envisager que la société elle-même a un peu perdu son sens de l’humour…

J’ai fait un bref passage dans la publicité en sortant de l’école, un boulot purement alimentaire, et là on était vraiment dans un rire forcé. C’est quelque chose que je retrouve beaucoup aujourd’hui même hors du domaine publicitaire, dans certains spectacles de stand-up, un peu partout en fait, et c’est une façon de rire qui me crispe beaucoup. Je trouve que le rire a perdu de sa force subversive.

On notera qu’ici, c’est à une femme qu’est attribué ce caractère, le sens de l’humour. C’est rare finalement.

Oui, il faut dire que je choisis toujours la difficulté! Au début j’étais partie sur un personnage masculin, mais je me suis dit que cela amènerait une autre profondeur si c’était une femme. C’est clair qu’il n’y a pas beaucoup d’humoristes femmes. On ne peut pas dire que le sens de l’humour soit un trait de caractère que l’on attend en priorité chez les femmes.

Les costumes ont aussi beaucoup d’importance dans le film.

Oui, j’ai beaucoup travaillé avec ma costumière Isabelle Lhoas que je connais bien et qui a fait tous mes films. L’une de nos références, c’était La Prisonnière du désert, et les tailles hautes de l’héroïne. Stella est comédienne, elle aime se déguiser, elle a plein de fringues récupérées sur des plateaux, des fripes. Et ses tenues incarne la fantaisie qu’elle a perdue, et crée le contraste. Comme en plus quand on n’a plus d’humour, on n’a plus peur du ridicule, elle se plonge dans le déguisement. Et puis c’est un décalage esthétique supplémentaire.

Comment avez-vous fait le casting?

Sandrine je la connais depuis des années, je n’ai cessé de la redécouvrir dans des films, et elle m’a toujours impressionnée. Je l’ai revue récemment, et je trouvais qu’elle avait un peu mûri, et que l’âge lui allait bien. Et puis j’aimais bien l’idée d’avoir un visage relativement neuf sur grand écran. J’avais aussi très envie d’accueillir Abel & Gordon, qu’ils puissent se balader dans d’autres univers que le leur, et j’aime beaucoup ce qu’ils ont fait sur le film.

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