Ce soir sera présenté à l’ACID Seule à mon mariage, le premier long métrage de fiction de la réalisatrice Marta Bergman, née à Bucarest, diplômée de l’INSAS. Nous l’avons rencontrée quelques jours avant le Festival de Cannes. Elle se confie sur cette expérience marquante et bouleversante.
Comment avez-vous « rencontré » le personnage de Pamela?
C’est plutôt Pamela qui est venue me chercher! Pamela est née des films documentaires que j’ai faits précédemment, notamment en Roumanie, et de certaines situations que j’ai pu rencontrer. J’ai repensé à ces filles que j’avais filmées, sans doute parties se prostituer, et cette idée m’est restée en tête, je me suis demandé ce qu’elles étaient devenues. Le personnage de Pamela est né de ce magma, de ces images, ces rencontres, ces émotions.
Au final c’est l’histoire d’une femme qui s’émancipe, qui pense qu’elle doit le faire à travers un homme, et qui découvre qu’elle peut le faire par elle-même.
Car finalement, Pamela est déchirée entre sa féminité et sa maternité?
Exactement, ce déchirement infuse toutes les séquences. Sa grand-mère, sa communauté, c’est quelque chose qu’elle fuit et qu’elle recherche en même temps. Elle voudrait être libre, comme elle imagine que les femmes le sont en Belgique, et comme elle a le sentiment de ne pas pouvoir l’être dans son village, où elle ne suit pas la route toute tracée.
Le film semble osciller avec fluidité entre documentaire et fiction?
Ce n’est pas un premier long métrage pour moi, j’ai déjà fait de nombreux documentaires, mais c’est un premier long métrage de fiction. Je ne fais pas de frontière franche entre documentaire et fiction, l’un se nourrit de l’autre. Dans mes documentaires, je regarde les gens comme des personnages, je pratique des découpages qui entretiennent une narration, j’aime bien les films pas uniquement réalistes. Quant à mes films de fiction, j’entends qu’ils s’inscrivent dans une certaine vérité que je recherche.
On a d’ailleurs fait un casting de village, et puis finalement on a été dans le village de naissance d’Alina Serban, mon héroïne. On y a été bien accueillis, et on a rencontré Rebecca, la petite fille qui joue dans le film. On a noué des liens, et le tournage s’est fait en collaboration avec les habitants du village, dont beaucoup figurent dans le film.
Et comment avez-vous composé votre casting justement?
Alina Serban qui joue le rôle de Pamela est une grande comédienne de théâtre, il s’agit ici de son premier film. J’avais fait un teaser avec une autre comédienne, et puis un agent de casting roumain nous a proposé de nombreuses comédiennes, dont Alina. Mais à ce moment-là, j’ai trouvé le processus de casting trop classique, et on a tout repris en main avec ma productrice Cassandre Warnauts. J’ai voulu revoir Alina, qui répétait dans un théâtre à 3h de Bucarest, et en la voyant arriver, j’ai eu un flash, c’était elle. Pour l’anecdote, elle s’est disputée avec le directeur de casting, dont les propos l’avaient choquée, c’est une fervente militante Rom. Elle avait tout oublié, le film, la pièce, un vrai volcan. Son tempérament a achevé de me convaincre.
Marian Samu, qui joue Marian justement, on l’a trouvé dans une troupe de comédiens amateurs. Et la grand-mère, Viorica Rudareasa, est musicienne, elle a notamment chanté avec Taraf de Haidouks dans un groupe très connu en Roumanie.
Pour le rôle de Bruno, j’ai vu très peu de comédiens, et en découvrant Belgica, on s’est dit que Tom Vermeir serait un super acteur, mais qu’il était peut-être un peu trop séduisant. Et puis finalement, on a trouvé ça intéressant que Bruno ne soit pas vu comme un pauvre mec qui ne peut pas trouver de femme autrement. Il fallait trouver ses failles, sa fragilité, ce qui fait qu’il se lance dans cette démarche. J’ai rencontré Tom, il m’a beaucoup touchée. On a décidé de faire « avec »! Il a un peu grossi, on a gardé son accent. Bruno aussi évolue et s’émancipe, finalement. On a réfléchi à son intériorité, sa fragilité, son look…
Cette solitude, c’est ce qui les rattache. Bruno est quelqu’un de très seul, et quand Pamela fait irruption auprès de lui, la vie qu’elle amène change peu à peu son regard. Bruno est un homme qui n’a pas encore trouvé la flamme, le courage de quitter ses parents, d’être qui il est. Cette histoire n’est pas un échec, mais un vecteur de changement pour les deux. Au village déjà, Pamela était isolée par sa différence, elle n’était pas comme les autres filles, elle n’obéit pas aux règles, n’endosse pas le rôle qu’on attend d’elle. Et en Belgique bien sûr, elle est seule.
La musique a beaucoup de place dans la narration
Ce travail a commencé à être réfléchi avant le tournage. J’ai fait appel à un compositeur roumain qui a composé toute la musique, Vlaicu Golcea . Il est plutôt électro, mais il a aussi été arrangeur pour un groupe de musique tzigane. On l’a rencontré avant le film, et il nous a fait de premières propositions. Puis après avoir vu de premières images de montage, il a retravaillé les propositions électro de départ. Moi je tenais beaucoup à avoir des musiques plus roots. Je suis retournée enregistrer avec un violoniste traditionnel, et Vlaicu a incorporé ces violons à sa musique. Ces compositions musicales sont aussi les états d’esprit et les émotions de Pamela.
Quel effet vous a fait cette sélection à l’ACID?
Je suis ravie, bien sûr, et le fait que ce soit à l’ACID? C’est super car ils accompagnent le film. Ce sont des gens qui correspondent au film. Ils ont tout un réseau de salles et un circuit de distribution en dehors des salles, pour rencontrer un autre type de publics. Ce qui me plait aussi, c’est que c’est une programmation de cinéastes.