Rencontre avec Marie Mc Court, lauréate d’un Oscar étudiant pour « I Was Still There When You Left Me »

Nous avons discuté avec la jeune cinéaste Marie Mc Court, à quelques heures de la Cérémonie à l’occasion de laquelle elle recevra un Oscar étudiant pour son film de fin d’études à l’IAD, I Was Still There When You Left Me, film que vous pourrez d’ailleurs retrouver demain soir dans ‘Tout Court » sur La Trois, et sur Auvio bien sûr. Elle revient pour nous sur son parcours, et ce premier film fort et viscéral.

Le film, porté par deux comédien·nes débutant·es, Joël Bunganga et Anaé Romyns, conclut ainsi une belle carrière nationale et internationale, après de belles sélections à San Sebastian notamment, ou encore un prix au FIDEC de Huy. C’est la première fois qu’un·e étudiant·e de l’IAD remporte un Student Academy Award! Dans la liste des lauréat·es passé·es, on retrouve notamment Spike Lee, Robert Zemeckis ou Patricia Cardoso.

D’où venez-vous Marie?

J’ai 29 ans, je suis née à Paris, j’y ai vécu toute ma vie. Ma mère est danoise, mon père est franco-américain. J’ai quitté la France pour venir faire mes études en Belgique, le master en réalisation à l’IAD.

D’où est venue l’envie de faire du cinéma?

Ce n’est pas très clair pour moi, je ne pense pas qu’il y ait une raison particulière, mais plutôt une multitude de petites choses. A l’âge de 22 ans, après avoir fait des études de graphisme qui ne m’on pas vraiment plus, c’était trop concret et je me sentais trop seule dans cette pratique, j’ai travaillé pendant un an et demi dans une boutique de vêtements pour économiser et pouvoir partir en voyage. Comme je voyageais seule, j’ai cherché un moyen de rentrer en contact avec les gens, et j’ai acheté une petite caméra, en l’utilisant comme une excuse pour me rapprocher des autres. Il me semble que c’est assez symptomatique de la raison pour laquelle j’ai voulu faire du cinéma en fait, créer du lien avec le monde, faire en sorte que mes histoires soient liées au monde dans lequel je vis.

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D’où vient l’envie de raconter cette histoire, celle d’une petite fille secourue d’un immeuble en flamme par un jeune garçon avec lequel elle va tisser une relation particulière?

Au tout début, je voulais écrire un film sur un groupe de mecs, vu à travers le regard d’une enfant, parler d’une relation privilégiée entre eux, mais je n’arrivais pas à en trouver le cadre. Et en fait à ce moment-là, des immeubles se sont effondrés à Marseille, rue d’Aubagne, ce qui m’a rappelé ce qui c’était passé à la Grenfell Tower à Londres. Je me suis dit qu’il fallait que je parle de ça.

Ce qui s’est passé à la Grenfell Tower est assez symptomatique de l’impact que peut avoir la gentrification sur certains quartiers. En fait des travaux avaient été fait à l’extérieur de la tour, pour des raisons esthétiques donc, qui ne concernaient pas directement ses habitants, et ce sont ces travaux qui ont précipité le drame. Moi j’ai grandi dans un quartier populaire, et mes parents sont des gentrificateurs, ce sont des sujets qui me parlent depuis longtemps.

Je me demandais comment parler de ça, sachant que c’est lié à un système, et qu’un système, ce n’est pas un personnage évident à identifier dans un film. Or, en choisissant de désigner une enfant comme responsable de l’incendie, je mettais de côté toute question de responsabilité individuelle, ce qui permettait de se demander où était la vraie responsabilité. Cela ne m’intéressait pas de faire frontalement un film sur un sujet social, ça crée trop de distance avec le spectateur. Et là, j’avais trouvé mes personnages, et le point d’entrée pour le spectateur.

D’où venait l’envie de mettre en scène cette relation entre une petite fille et de jeunes garçons, c’était aussi une façon d’interroger des questions de genre?

Je voulais parler de masculinité, et je trouvais que le faire du point de vue d’une enfant, cela permettait plus de choses. Je pense que la libération des femmes passe aussi par la libération des hommes. Plus on crée des images où les hommes peuvent se permettre d’être vulnérables, et peuvent laisser de côté une certaine masculinité toxique, plus cela permettra aux hommes de l’être dans la vraie vie. Je crois que le cinéma, ça sert aussi à ça, planter les graines d’un monde dans lequel on aimerait vivre.

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Pouvez-vous nous parler du casting, et du choix de ces personnages?

J’ai décidé de travailler avec des acteurs non professionnels parce que j’ai pu constater pendant mes études que c’était toujours les mêmes profils que l’on retrouvait dans les agences de casting, de même que dans mon école d’ailleurs. J’avais moi-même du mal à me reconnaître dans ces profils, et je trouvais que ce n’était vraiment pas représentatif du monde dans lequel on vit. Je me rends compte aussi que le casting fait intensément partie de mon processus créatif. D’ailleurs pour mon nouveau court métrage, j’ai commencé le casting avant même d’avoir fini l’écriture. Transmettre l’authenticité des personnes me permet de créer mes personnages.

Dans I Was Still There When You Left Me, la scène d’ouverture où Anaé danse au milieu du groupe, je n’y aurai jamais pensé sans elle. Quand je l’ai vu danser avec des adultes, ça m’a procuré tellement d’émotions, que je me suis demandé comment les transformer en histoire, pour que ça raconte quelque chose.

Anaé, je l’ai rencontrée dans un festival de danse, et les jeunes garçons du groupe, on les a rencontrés lors de castings de rue, sur Instagram, dans des maisons de jeune. Je voulais aller chercher d’autres visages, d’autres personnalités, des gens venus de milieux différents, et qui du coup avaient d’autres choses à raconter, forcément.

Ca m’intéresse de me laisser inspirer par leurs particularités. D’en faire des personnages moins construits, auxquels on peut s’identifier. La manière dont la cinéaste Lynne Ramsay filme des détails, des corps, son regard sur l’humain m’inspire beaucoup. Ce sont de vraies personnes qui m’inspirent mes personnages et me permettent de les préciser et les incarner encore plus à l’écran.

Sur le papier, tourner un film de fin d’études qui raconte l’incendie d’une gigantesque tour d’habitation, cela peut faire peur. Comment avez-vous abordé ce défi en termes d’écriture et de mise-en-scène?

C’est vrai que ça a été assez compliqué à faire passer à la commission de l’IAD à l’origine. J’ai beaucoup tourné autour de ces questions à l’écriture, mais finalement, je pense que cette contrainte a beaucoup servi ma façon d’aborder le récit. On a énormément réécrit au montage. Je voulais faire un film immersif pour déconstruire les questions liées au système et à la société, et ça a fini par motiver tout mon processus d’écriture et de réalisation. C’était très intuitif, mais cette volonté immersive a permis de faire éclore l’histoire.

Et puis ça ne m’intéressait pas de faire un film sur un sujet. Pour parler d’un contexte, en fait le mieux est encore de parler des gens qui vivent ce contexte. Qui vivent l’évènement et l’environnement, plutôt que de se mettre à distance. Ca peut paraître un peu primaire, mais du coup c’est vrai que je me suis sentie à l’aise en restant très proche des personnages, dès l’image.

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Quelles sont les cinéastes ou les oeuvres qui vous nourrissent et vous inspirent?

Et il y a le cinéma de Lynne Ramsay dont je parlais tout à l’heure, ce sont surtout des cinéastes actuels, Ruben Ostlund, les frères Safdie. J’aime beaucoup les oeuvres de Toni Morrison aussi, et les disques de James Blake. J’écris beaucoup avec de la musique, le titre du film vient d’ailleurs d’une chanson. J’avais le titre avant même de savoir de quoi le film allait parler, et ça a un peu servi de guide pendant l’écriture et la réalisation.

Que représente pour vous cet Oscar étudiant?

C’est un peu dur à réaliser, car comme tout se fait en ligne, je vis tout de ma chambre, c’est très irréel! Il y a deux ans, je n’aurais jamais osé l’imaginer, mais ça m’a donné pas mal de force pour continuer, à un moment où je termine mes études, en plein crise sanitaire… Ca me donne du courage, et j’espère aussi que ce sera motivant pour les jeunes professionnels qui me sont proches.

C’est une chance incroyable, et beaucoup de choses sont mises en place pour nous accompagner. Il y a notamment un tuteur qui va nous suivre pendant 8 mois. Ca donne finalement du sens à mes 5 ans d’études. Et puis ce prix nous donne la possibilité de nous inscrire pour les Oscars, ce qui implique de faire campagne pour être sélectionné. Ca ouvre le champ des possibles, c’est assez excitant.

Quels sont vos projets?

Parallèlement à mes projets personnels, je fais des castings pour un long métrage et une web série.

J’ai commencé l’écriture d’un court métrage à la fin du confinement. Ca part d’une situation qui se passe dans en banlieue parisienne, où une Maire a décidé de détruire un terrain de foot au milieu d’une cité, car il s’était vu trop ré-approprier par les jeunes du quartier. J’ai passé du temps avec ces jeunes, et j’ai commencé les castings avec eux.

Je suis aussi en train de monter un documentaire que j’ai tourné il y a deux ans, et j’ai commencé l’écriture de mon premier long métrage. Les thèmes tournent à nouveau autour de la gentrification, c’est assez inspiré de mon histoire, de l’immeuble où j’ai grandi dans le 18e arrondissement. Je vais pouvoir bénéficier du tutorat des Oscars, et j’aimerais bien pouvoir dans 6 mois envoyer le scénario dans différents ateliers et lab, et tourner mon court métrage au début de l’année prochaine. Ca me manque trop de tourner!

 

I Was Still There When You Left Me est à retrouver dès le 21 octobre ici sur Auvio. Et pour en savoir plus sur le parcours de Marie Mc Court et son actualité, rendez-vous sur son site

 

 

 

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