Marie Le floc’h: « regarder ce qui se passe après, quand l’urgence d’obtenir les papiers n’est plus là »

La réalisatrice Marie Le floc'h avec le comédien Jalal Al Tawil.

Les César, J-2! A deux jours de la Cérémonie, rencontre avec la jeune réalisatrice Marie Le floc’h, en lice pour son court métrage Je serai parmi les amandiers, diffusé cette semaine dans « Tout Court », ce soir à 23h10 sur La trois, puis à rattraper sur Auvio.

Je serai parmi les amandiers suit les pas de Maysan, jeune femme syrienne exilée en France, qui alors qu’elle est sur le point d’obtenir pour elle et sa famille les papiers tant attendus, doit faire face à un drame personnel qui remet en perspective cette nouvelle vie tant espérée.

Dévoilé en 2019 au Brussels Short Film Festival, nommé aux Magritte l’année dernière, le film enchaîne les festivals, et voit avec cette sélection aux César une fin de carrière en apothéose. Marie Le floc’h revient pour nous sur son parcours, et cette aventure extraordinaire.

Bonjour Marie, pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours?

Quand je suis rentrée au lycée, j’ai choisi un peu par hasard l’option cinéma. J’avais un prof passionnant, qui nous a fait découvrir plein de films très rares, ça a été une révélation. Mais à l’époque, je ne pensais pas que c’était une voie possible pour moi, je venais d’un milieu qui n’était pas du tout artistique. Du coup j’ai fait Sciences-Po/ Histoire, après avoir négocié de ne pas faire droit!

Pendant ces études, j’ai rencontré un chef opérateur qui m’a redonné envie de me tourner vers le cinéma. J’ai réalisé quelques films de bric et de broc, et j’ai passé le concours de l’IAD, que j’ai réussi, c’est comme ça que je me suis installée à Bruxelles.

Pendant ces 5 ans d’études, j’ai fait deux films qui m’ont permis de rencontrer pas mal de gens, dont ma productrice belge Julie Esparbes (ndlr: Hélicotronc). A la fin de mes études, j’ai eu très envie de retourner à Lorient, la ville dont est originaire ma famille. Je me suis retrouvée au port de pêche de Keroman, un lieu fascinant, avec une atmosphère très particulière. Je ne savais pas encore ce que j’avais envie de faire, ça aurait pu être un documentaire… J’y ai découvert toute une partie du port dont on ne parle que très peu, ces magasins de marée où des fileteuses travaillent à la chaîne.

En parallèle, j’avais fait un atelier vidéo dans un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile à Marseille où j’avais rencontré une femme syrienne qui était dans la situation inverse de l’héroïne de Je serai sous les amandiers, elle voulait se séparer de son mari, et on lui conseillait d’attendre d’avoir son statut. J’avais déjà fait un film à l’école qui approchait la question de l’exil et de la famille, ce sont des questions qui m’interpellent beaucoup.

C’est comme ça que l’est venue l’histoire de ce couple, et qu’elle s’est inscrite dans ce port de pêche…

Comment s’est cristallisée cette rencontre entre les deux récits?

Quand je travaillais au port, où j’étais moi-même fileteuse, je ne trouvais pas l’histoire que j’avais envie de raconter. Mais quand j’ai rencontré cette femme, c’est devenu évident, ce paradoxe entre la réponse purement administrative qu’elle attend, et la séparation d’une famille… Cela m’intéressait de regarder ce qui se passe après, quand l’urgence d’obtenir les papiers n’est plus là, et que l’intime reprend le dessus. Et je trouvais que l’atelier, ce contexte pouvait révéler beaucoup de choses de l’histoire.

Comment avez-vous choisi vos acteurs?

Au début, je voulais travailler avec des acteurs non-professionnels, on a fait un casting pour ça à Bruxelles. Ces rencontres m’ont beaucoup enrichie, mais je n’ai pas trouvé mes personnages. Un peu par hasard, on m’a parlé d’un monsieur qui travaillait à l’Office du cinéma en Syrie, qui existe bien qu’il n’y ait pas de liberté de faire du cinéma en ce moment, et qui m’a donné les contacts de plusieurs comédien·nes syrien·nes exilé·es en France. Grâce à lui, j’ai rencontré Masa Zaher et Jalal Al Tawil, le même jour d’ailleurs, et ça a tout de suite été évident que ce serait eux.

On a fait beaucoup de lectures en amont, on a beaucoup discuté, ce qui leur a permis de donner des retours, des idées. Ils ont beaucoup enrichi le scénario en proposant de petits détails plus proches de leur culture. Avoir travaillé avec eux sur le texte et l’histoire m’a permis sur le tournage de me sentir libre d’aller jusqu’au bout de ce que je voulais faire.

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Quel était le plus grand défi pour vous sur ce premier film professionnel?

C’était d’essayer d’aller vers un cinéma qui me parle, et dans lequel j’essaie de me trouver, même si j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Mon rapport à la mise en scène est assez instinctif, l’essentiel est d’essayer de ne pas démontrer, mais plutôt de mettre en lumière, avec pudeur, de retrouver avec l’équipe la simplicité que j’avais en tête lors de l’écriture. Et au final, être le moins démonstratif possible, tout en essayant de lâcher prise, et d’être ouverte aux imprévus, de prendre de la liberté.

Le film a été beaucoup vu, qu’est-ce qui vous a le plus surprise dans les retours?

En fait, je crois que cela m’a permis de renouer avec le film. Quand on termine un film, il a fallu abandonné pas mal de choses, et je ressens quelque chose de l’ordre du deuil, quand il faut faire la part des choses entre le film rêvé et le film qui existe… Alors quand on a fait la première projection du film, avec les fileteuses avec lesquelles j’avais travaillé au port, ça a été un moment très important pour moi. Les voir se voir, la façon dont elles ont ressenti l’histoire, j’ai vraiment renoué avec le film à ce moment-là.

Que représente les César pour vous?

C’est une deuxième vie pour le film, il est rediffusé, et repartagé, c’est une magnifique occasion de le montrer. Ca met en valeur tous ceux qui y ont participé. Et c’est évidemment un encouragement pour la suite.

La suite, c’est quoi justement?

Je suis en train d’écrire mon premier long métrage. Mais j’aimerais beaucoup refaire un court avant. Une façon de tester des choses, de manière légère, avant de me lancer dans une écriture qui dure 3 ans. J’ai aussi des envies de documentaire. J’aimerais ne pas attendre des années avant de refaire un film…

 

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