Marchons sous la pluie.

En 1983, un groupe de marcheurs déboule au cœur de Paris. Les images télé restent gravées dans les esprits: ils sont des dizaines, des centaines, des milliers, des dizaines de milliers, plus de cent mille, réunis dans un même élan positif. Une marée humaine qui veut célébrer l’union entre les hommes à travers une France qui souffre plus que jamais de la gangrène du racisme imbécile. Il y a là des immigrés, mais aussi des Français « de souche » comme on continue à les appeler; beaucoup! Qui en ont marre qu’on dresse les gens les uns contre les autres pour occulter tous les problèmes et surtout l’incapacité des gouvernants à gérer les affaires courantes.

De tout temps, rejeter la faute sur l’autre, sur l’étranger a été la solution la plus honteusement facile à utiliser, car exacerber le sentiment d’injustice distillé à coup de sous-entendus chez des gens qui vivent en situation difficile (ou pas) est d’une simplicité enfantine. On est toujours l’étranger de quelqu’un et il est plus aisé de haïr l’autre, celui qu’on ne connaît pas, que de se poser des questions plus douloureuses.
L’observation est valable dans le monde entier et dans tous les sens.

 

[Toutes les photos de cet article © P.Pierquin/Cinevox 2013]

 

 

Alors, un jour de 1983, après une énième bavure policière comme on disait à l’époque, des jeunes résidents du quartier des Minguettes, une cité lyonnaise défavorisée, décident de partir sillonner la France. Pacifiquement; unis. Leur idée est de relier Marseille à Paris pour alerter l’opinion publique sur la situation souvent intenable des Français issus de l’immigration.

 

 

 

Cette marche s’achèvera le 3 décembre 1983 à Paris. Et alors que les marcheurs dont les rangs ont inexorablement grossi rêvent d’être soutenus par quelques centaines de personnes à leur arrivée, des amis, la famille, qui auraient rallié la capitale en train ou en car, c’est une marée humaine qui les accueille. L’espoir d’une nouvelle société égalitaire, unie est né. L’espoir d’une France meilleure qui donnerait l’exemple aux autres pays.

 

 

[Nabil Ben Yadir , toujours à l’écoute]

 

Un formidable élan vient de se dessiner, mais trente ans plus tard, on sait ce qu’il est advenu de ce rêve. De fausses crises en vraies exclusions, des hordes de manipulateurs ont continué à stigmatiser les mêmes personnes, à rejeter leur incompétence sur ceux qu’ils ont précarisés à force de les ostraciser.

 

Le 3 décembre 2013, trente ans, jour pour jour après cet incroyable rassemblement, un film sortira dans les salles belges et françaises pour rappeler ce que fut cet évènement unique et pourquoi il est important, plus que jamais sans doute, de revenir aux fondements de solidarité : La Marche.

 

 

 

Ce film, c’est donc le Belge Nabil Ben Yadir qui le met en scène actuellement. Pour ce projet dingue qu’il tourne en France, il a réuni un casting formidable: Hafsia Herzi, Olivier Gourmet, Lubna Azabal, Charlotte Le Bon, Tewfik Jallab, Vincent Rottiers, M’Barek Belkouk, Nader Boussandel, Philippe Nahon et un certain Jamel Debbouze qui l’a contacté après avoir « kiffé sa race » en voyant Les Barons.

 

 

[Danny Elsen, le chef opérateur avait déjà travaillé sur les Barons]

 

Ce mardi, l’équipe de Cinevox était à Nogent-sur-Marne où le tournage s’était installé dans un décor industriel. Un petit groupe couvert de sacs-poubelle noirs marche sous une pluie battante, suivi par la camionnette que pilote un Philippe Nahon qui, l’air de rien, se la coule douce comparé à ses potes qui frappent le macadam détrempé.
A l’exception de Jamel, tous les comédiens sont présents.

 

 

Nous en avons évidemment profité pour interviewer Nabil, mais aussi le formidable chef opérateur Danny Elsen (Loft, de Zaak Alzheimer, Les Barons, Dead Man Talking…), Olivier Gourmet et Lubna Azabal (qui filme le tournage avec son smartphone). Soit les Magritte 2013 et 2012 du meilleur acteur et de la meilleure actrice. Idéal pour un Cinevox de légende dans les salles de cinéma!

 

 

[Danny Elsen et Nabil Ben Yadir devant le combo décortiquent la prise]

 

Ce casting de rêve correspond très exactement à ce que voulait Nabil, même s’il a dû batailler pour que tous les noms qu’il avait en tête se retrouvent en haut de l’affiche. Mais batailler, Nabil sait le faire: sous ses airs bonhommes, le réalisateur est un battant, un guerrier, un vrai chef de meute. La scène qu’il dirigeait ce jour-là autour d’un traveling de 70m avec des mouvements de personnages assez complexes demanda des heures de mise en place et trois autres de tournage. Sous la pluie pour les comédiens frigorifiés. Et pourtant, trente minutes  après le clap de fin, tout le monde souriait, prêt à repartir au combat.

 

En général, en débarquant sur un plateau, il ne faut pas plus de quelques heures pour avoir un avis très favorable ou les pires craintes sur le film qui en découlera. Autant vous dire que pour La Marche, le feeling est excellent et que nous attendons déjà avec une vraie impatience de découvrir ce long métrage qui, malgré son ampleur, semble totalement sous contrôle. Mais surtout terriblement exaltant. Habité.

 

Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne?…

 

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