« Manu »: mémoire(s) de l’homme à la caméra

On a appris hier la disparition de Manu Bonmariage. En 2018, sa fille, la cinéaste Emmanuelle Bonmariage, signait un documentaire poignant sur ce père qui n’avait jamais lâché sa caméra, malgré les coups durs de la vie, malgré la maladie. Le film, magnifique hommage, est rediffusé ce dimanche 7 novembre à 21h05 sur La Trois.

Avec Manu, l’homme qui ne voulait pas lâcher sa caméra, Emmanuelle Bonmariage livre un film profond et multiple, à la fois portrait de cinéaste, oeuvre de mémoire, histoire d’amour filial, film héritage, sur les chemins de la mémoire d’un cinéaste – et d’un homme – hors du commun.

« Vous n’allez pas tourner un film sur des vieux encore?! » « Un film sur un vieux con! » Ainsi débute Manu, animé des douces paroles de Manu Bonmariage et Jean Libon, en Dupont et Dupond du cinéma direct. Le ton est donné, on n’est pas ici dans l’hagiographie, mais bien dans un voyage au coeur du geste créatif d’un cinéaste qui a fait de ses failles ses forces et son moteur. Emmanuelle Bonmariage accompagne son père sur les chemins de la mémoire, des chemins parfois escarpés, toujours foulés avec envie, respect et curiosité. Comme on le découvre rapidement – pour ceux qui ne le connaissaient pas encore -, Manu Bonmariage est l’un des pères spirituels de Strip-Tease, de ce cinéma direct, sans artifices esthétiques comme la musique ou la voix off, en prise avec le réel (un réel?), et souvent, l’humanité des petites gens, ceux qu’on ne voit pas d’habitude à l’écran. Il est aussi l’homme à la caméra, celui qui après avoir perdu un oeil enfant, ne pouvait que devenir caméraman, car il fait le point plus facilement.

La caméra d’ailleurs tient un rôle prépondérant dans son rapport au monde. Presque toujours greffée au bout de son bras (même quand il est le sujet du film, il continue à filmer), elle lui sert d’outil de médiation avec le monde. « La caméra est ma maîtresse, j’aime la sentir dans mes mains, j’ai l’impression de caresser les gens avec, » se confie-t-il. L’un des enjeux du film tourne alors autour de cette question: qui est l’homme derrière, voire sans sa caméra?

Car la vie réserve des coïncidences souvent plus fortes que nos desseins. Alors qu’Emmanuelle se retrouve dépositaire de l’oeil de la caméra que son père lui confie, Manu peu à peu voit ses capacités à tenir la sienne décliner. Manu sera surement son dernier film. Car s’il n’en est plus le réalisateur, il en est l’acteur. Et ce qu’il offre par fulgurances à sa réalisatrice, c’est du pur cinéma, comme cette scène proprement hallucinante au fond de la mine, où sans crier gare, il s’anime.

Car Manu n’est pas seulement le cinéaste des gens, qui a su les filmer avec empathie et bienveillance, balayant du revers de la main toute condescendance ou moquerie, il est aussi un homme hors du commun, un sujet idéal pour son propre cinéma. Loin d’être un long fleuve tranquille, sa vie (et sa personnalité) affleure au fil du récit, d’épisode en épisode, épisodes souvent spectaculaires qui semblent nourrir son oeuvre.

Son oeuvre justement trouve une belle place dans la narration, la réalisatrice l’intègre de manière organique à son récit, laissant aux extraits choisis le temps d’exister. S’ils ne viennent jamais expliquer le cinéma de Manu, ils donnent à le ressentir. On remonte également sur ses traces, à la rencontre des témoins de l’époque, ou des collègues de Manu. Ces rencontres sont souvent l’occasion d’interroger le cinéma de Bonmariage. L’un de ses ingénieurs du son s’interroge sur le risque de manipulation, ne risque-t-on pas de trahir la confiance des gens qui se mettent à nu devant la caméra? La question revient avec l’une de ses monteuses. Mais la vision des Amants d’Assise apporte un début de réponse. L’émotion palpable du cinéaste devant ces images vieilles de plusieurs décennies, devant le témoignage d’un homme qui livre l’entièreté de sa douleur face à la caméra, renvoie à l’une des forces majeures du réalisateur: jamais il ne juge ou ne condamne.

Le film est aussi le théâtre d’une relation père/fille complexe mais vivante, pleine d’amour et de contradictions. Celle qui porte le nom de son père, qui hérite de sa caméra, le choisit comme premier objet, ou plutôt sujet de son oeuvre, faisant acte à la fois de mémoire et de transmission, entre souvenir et avenir. Un peu comme si comme ultime présent pour son père qui la perd, elle lui offrait sa mémoire sur grand écran.

Manu sort le 6 juin prochain à Bruxelles, Namur et Louvain-la-Neuve, et fera l’objet de nombreuses séances un peu partout en Wallonie.

 

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